Nouvelle Constitution apostolique: la révolution du pape François

Publiée le 19 mars 2022, la Constitution apostolique Praedicate Evangelium réforme en profondeur la Curie romaine. Elle intègre de nombreux changements opérés par le pape François par décrets (Motu proprio) ces dernières années mais propose aussi plusieurs nouveautés significatives.

I. Changements de la structure générale de la Curie

Secrétairerie d’État

La place prééminente de la Secrétairerie d’État – depuis la constitution Regimini Ecclesiae universae (1967) – est ramenée à celle d’un simple «Secrétariat papal» dans l’article 44. Elle est placée à égalité d’importance avec tous les autres dicastères et organismes de la Curie dans l’article 12.

La Secrétairerie d’État intègre formellement la création d’une troisième section en charge du personnel diplomatique opérée le 21 novembre 2017. Elle perd la plus grande partie de son pouvoir économique, comme prévu par le Motu proprio du 26 décembre 2020. Elle ne s’occupe plus de la gestion du personnel de la Curie, cette compétence étant désormais assumée par le Secrétariat pour l’économie.

Dicastères

Désormais, il n’existe plus de «congrégations» ou de «conseils pontificaux» mais uniquement des «dicastères».

La Congrégation pour l’évangélisation des peuples devient le Dicastère pour l’évangélisation, absorbant le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation. Ce «super-dicastère», dirigé en personne par le Souverain pontife, dispose de deux sections dirigées par des pro-préfets : une pour « les questions fondamentales de l’évangélisation du monde », une pour la « Première évangélisation et les nouvelles Églises particulières ». 

La Congrégation pour la doctrine de la foi devient le Dicastère pour la doctrine de la foi. Comme prévu par le Motu proprio du 11 février 2022, il comporte désormais deux sections autonomes, une section doctrinale et une section disciplinaire. La Commission pontificale pour la protection des mineurs, fondée par un chirographe en 2014, est intégrée au Dicastère pour la doctrine de la foi.

L’Aumônerie apostolique devient un dicastère sous le nom de Dicastère de la charité et garde intacte sa mission. Son préfet est l’aumônier apostolique.

Ces trois dicastères – évangélisation, foi, charité – représentent une « triade », a expliqué le cardinal Marcello Semeraro, qui a travaillé plusieurs années sur ce texte en tant que secrétaire du Conseil des cardinaux. Mais tous les dicastères sont « juridiquement paritaires », a-t-il ajouté.

La Congrégation pour l’éducation catholique fusionne avec le Conseil pontifical pour la culture et devient le Dicastère pour la culture et l’éducation. Elle est divisée en deux sections : une pour la culture, une pour l’éducation.

Le Dicastère pour le clergé aura désormais compétence sur les prélatures personnelles, comme l’Opus Dei, qui dépendaient auparavant de la Congrégation pour les évêques. Pour le prêtre canoniste Gianfranco Ghirlanda, cette décision apporte de la « cohérence » car cette structure a un caractère « clérical » dans le Code de droit canonique.

Les statuts des trois «super-dicastères» créés par le pape François – celui de la Communication en 2015, celui des Laïcs, de la Famille et de la Vie en 2016 et celui du Service du développement humain intégral en 2016 – sont intégrés à la nouvelle constitution.

Bureaux

Il existe désormais trois bureaux : la Préfecture de la maison pontificale, le Bureau des célébrations liturgiques et le Camerlingue de la Sainte Église romaine (qui remplace la «Chambre apostolique»). La Chapelle musicale pontificale a été insérée au sein du Bureau des célébrations. Une nouveauté qui date de janvier 2019 et qui est ici prise en compte. 

II. Un nouveau pôle économique

Une des grandes nouveautés de la constitution concerne les organismes économiques qui font l’objet d’une section à part entière. Cinq nouveaux organismes sont formellement inscrits dans la constitution : le Conseil pour l’économie (créé en 2015), le Secrétariat pour l’économie (2014), le Bureau du réviseur général (2015), la Commission pour les matières réservées (2020) et le Comité pour les investissements.

Seul ce dernier est nouveau : il avait été annoncé mais pas formellement constitué. Dans son bilan 2020 publié en juillet 2021, l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA) évoquait ce comité qui aurait pour fonction de veiller sur les investissements immobiliers du Vatican. L’organe, précise la constitution, doit « garantir la nature éthique », de ces investissements ainsi que « leur rentabilité, leur pertinence et leur niveau de risque ».

L’article 219 de la nouvelle constitution enlève à l’APSA toute compétence en matière d’opérations financières. Celles-ci sont désormais confiées à l’Institut pour les œuvres de religion (IOR) qui devient donc l’unique banque du Vatican.

Autre nouveauté : le Secrétariat pour l’économie est présenté comme le « secrétariat papal pour les matières économiques et financières ». Il a droit de contrôle sur le Denier de Saint-Pierre et les autres fonds papaux.

En présentant la Constitution à la presse, Mgr Marco Mellino, secrétaire du Conseil des cardinaux, a souligné que toutes les structures économiques existantes de la Curie avaient été créées par François, à l’exception de l’APSA qu’il a largement réformée.

III. Généralisation du quinquénium et ouverture aux laïcs et aux femmes

L’article 14 généralise le quinquénium – mission de cinq ans – renouvelable une seule fois à tous les officiaux de la Curie. L’article 17 le confirme pour tous les préfets ou équivalents, membres, secrétaires, sous-secrétaires, et autres officiaux majeurs. Mais parmi ces derniers seuls les clercs et religieux sont concernés, les laïcs ne sont pas soumis à cette règle des cinq ans.

Cet article de la constitution insiste aussi sur la nécessité pour les membres de la Curie de « retourner à la pastorale dans leur diocèse/éparchie, ou dans les Instituts ou Sociétés auxquels ils appartiennent » à la fin de leur mission. Cette notion de pastoralité est d’ailleurs particulièrement mise en avant dans les normes générales de la nouvelle constitution. 

L’extension du quinquénium a pour objectif d’éviter le carriérisme au sein de la Curie et la création de «centres de pouvoir» aux mains des mêmes personnes, comme l’a expliqué le prêtre canoniste Gianfranco Ghirlanda. En revanche, a-t-il précisé, si l’employé est compétent et qu’il ne recherche pas ses intérêts propres, le renouvellement de son contrat de cinq ans est possible sans limite d’occurence. 

Tous les postes de gouvernance de la Curie romaine sont désormais ouverts aux laïcs et aux femmes, affirme le pape François dans le point numéro 5 du préambule. Une ouverture qui, si elle n’exclut plus ces derniers du pouvoir comme le faisait Pastor Bonus, ne devient pas « automatique », a cependant précisé le cardinal Marcello Semeraro. « Cela dépend de la compétence du dicastère », a-t-il assuré en plaidant « le bon sens ».

Cas à part inscrit dans la constitution : le Tribunal suprême de la signature apostolique est ouvert uniquement aux cardinaux, évêques et prêtres, qui sont nommés directement par le pape. Aucune précision similaire n’est présente concernant les deux autres tribunaux de la Curie – la Rote romaine et Pénitencerie apostolique. 

À noter à ce propos que le Synode des évêques, qui ne fait pas partie de la Curie romaine, est mentionné comme simple Synode et non plus «des évêques». Le secrétaire du Conseil des cardinaux Mgr Marco Mellino a confirmé que l’ouverture aux laïcs dans la Curie allait entraîner également une réflexion en ce sens au sein de la structure du Synode.

IV. Quelques changements en cas de «Sede Vacante«

Dans le cas d’un conclave et donc d’une situation de Sede vacante, un changement est à noter. Le camerlingue, le cardinal qui administre l’État en l’absence de pape – actuellement le cardinal Kevin Farrell – sera assisté de trois cardinaux. L’un d’eux étant le président du Conseil pour l’économie, qui a une connaissance technique de l’administration vaticane.

Ce poste sera donc de facto réservé à un cardinal, contrairement aux Dicastères où les charges de hauts responsables n’ont plus de caractère cardinalice – y compris la Secrétairerie d’État.

V. Décentralisation et synodalité

Le texte crée un cadre légal pour la coopération entre les dicastères de la Curie dans les affaires qui impliquent plusieurs compétences et qui doivent être examinées « conjointement », peut-on lire à l’article 28. Une commission interdicastérielle peut même être créée dans les cas qui exigent une consultation mutuelle « fréquente ». Il s’agit notamment, précise l’article suivant, de parvenir à un accord sur le document qui sera soumis au pape. La révision par la Secrétairerie d’État n’est requise que sur des documents qui traitent de relations avec les États.

De même, les organes de la Curie sont invités à collaborer avec le Secrétariat général du synode (33) ou encore à coopérer avec les Églises particulières. La nouvelle constitution insiste sur l’importance des visites ad limina des évêques du monde pour renforcer les liens au sein de la hiérarchie et l’unité du Collège épiscopal (article 39).

À la lecture de cette nouvelle constitution constate moins de verticalité et plus d’échanges : si les responsables du Vatican sont conviés à prodiguer des conseils aux évêques, ils doivent aussi accueillir les suggestions de ces derniers pour offrir « un service toujours plus efficace » (article 42).

Dernière innovation, l’intégration, pour la première fois, des relations avec les unions épiscopales régionales et continentales au fonctionnement de la Curie. La constitution déclare qu’elle sont « d’une grande utilité pastorale et expriment la communion affective et effective entre les évêques ». Le texte insiste sur l’importance d’une plus grande collaboration avec elles : « la Curie romaine n’est pas située entre le pape et les évêques » mais « se met au service des deux, selon des modalités propres à la nature de chacun ».

I.MEDIA

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