Consacrer signifie dédier à un but sacré. Le terme revient très souvent dans le vocabulaire de l’Église catholique que ce soit pour les lieux (églises), les personnes (religieux ou laïcs consacrés) et les objets liturgiques, ou encore, cœur de la foi chrétienne, pour la consécration eucharistique. Par dévotion, on peut aussi se consacrer personnellement (on parle de consécration votive) au Christ par Marie. Cette démarche personnelle s’est étendue dès le Moyen Âge à des villes. Louis XIII a par la suite consacré la France à Marie en 1638, une démarche imitée depuis par des évêques ou des papes pour des pays et lieux définis, voire pour le monde entier.
Le Cœur immaculé de Marie est une dévotion catholique spécifique à un aspect de la sainteté de la Mère de Dieu, sa pureté totale – confirmée par le dogme récent de l’Immaculée conception en 1854. Cette dévotion est très récente, même si elle a été bâtie a posteriori, au XIXe siècle, à partir des principes mariologiques de théologiens médiévaux tels que saint Anselme de Cantorbéry et saint Bernard de Clairvaux. Elle connaît un essor important en France à partir de 1830 et l’apparition de la Rue du Bac, pendant laquelle la nature immaculée de l’âme de la Vierge aurait été révélée à sainte Catherine Labouré. Mais c’est surtout avec les apparitions mariales de Fatima (Portugal) à partir de 1917 que la dévotion au Cœur immaculé de Marie prend une ampleur importante. Lors d’une apparition, la Vierge aurait déclaré que pour sauver les hommes de l’enfer, Dieu souhaitait «établir dans le monde la dévotion de [son] Cœur Immaculé».
Pour comprendre ce lien, il faut reprendre la suite de la révélation du 13 juillet 1917, dans laquelle l’apparition aurait prophétisé «une nuit illuminée par une lumière inconnue» annonciatrice de la punition du monde par Dieu «par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père». Pour empêcher ces calamités et assurer au monde «un certain temps de paix», la Vierge aurait demandé «la consécration de la Russie à [son] cœur immaculé» ainsi qu’une «communion réparatrice» chaque premiers samedis du mois.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Pie XII – à la demande d’une des voyantes de Fatima, Lucie – décide de consacrer le monde au Cœur immaculé de Marie. Suivront Paul VI en 1964, Jean Paul II en 1982 puis en communion avec tous les évêques du monde en 1984. Enfin, François avait fait le même acte le 13 octobre 2013, au début de son pontificat. La consécration au monde du 25 mars 1984 par Jean Paul II, dans un contexte de guerre froide, a été sujette à de nombreuses polémiques voire des théories du complot. À l’origine de celles-ci, le choix du pape de ne pas citer expressément la Russie lors de la cérémonie de consécration, quand bien même elle était particulièrement évoquée par le texte. Quoi qu’il en soit, la consécration spécifique à la Russie a déjà été effectuée par Pie XII en 1952 comme en témoigne sa lettre apostolique Sacro Vergente Anno. De plus, la voyante Lucie a affirmé que la demande de consécration de la Vierge avait bien été exaucée en 1984.
Une «re-consécration» est possible dans deux cas de figure: d’abord pour répondre à une désacralisation, d’autre part afin de réaffirmer avec force sa dévotion. Concernant la consécration à venir, le Saint-Siège n’a pas apporté de précisions claires et il peut s’agir des deux cas. La Russie et l’Ukraine peuvent d’abord être vus comme «désacralisées» par la guerre qui les déchire. Le plus probable est cependant que le pape François veuille renouveler les demandes d’intercession faites par ses prédécesseurs face à la gravité de la situation actuelle.
La préface du cardinal Levada de 2011 au sujet des «Normes procédurales pour le discernement des apparitions ou révélations présumées» rappelle que l’Église ne reconnaît que «l’événement Jésus-Christ comme sommet de la Révélation». Il rappelle les paroles de saint Jean de la Croix: «celui qui voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des visions ou révélations, non seulement ferait une folie, mais il ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ et en cherchant autre chose ou quelque nouveauté». Le Synode sur la Parole de Dieu, en 2008, avait été l’occasion d’aborder cette «problématique des expériences liées aux phénomènes surnaturels dans la vie et la mission de l’Église». Dans son exhortation Verbum Domini, Benoît XVI précisait qu’aucune révélation publique ne peut être reconnue comme licite par l’Église, mais qu’une révélation privée peut susciter de nouvelles formes de piété et avoir un certain caractère prophétique. «C’est une aide, qui nous est offerte, mais il n’est pas obligatoire de s’en servir», précisait le pape allemand, connu pour son attachement au lien entre la foi et la raison.
L’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, a réagi dans une déclaration diffusée le 16 mars, en expliquant qu’il s’agissait d’un «acte spirituel attendu depuis beaucoup de temps par le peuple ukrainien», non seulement depuis le début de l’offensive russe actuelle mais depuis le début de la guerre en 2014. «Au fur et à mesure de mes rencontres avec le Saint-Père, j’ai transmis ce désir des fidèles de notre Église», a assuré l’archevêque. Il rappelle que lors de son apparition du 13 juillet 1917, la Vierge avait demandé d’arrêter «les erreurs de la Russie, qui provoque des guerres et des persécutions».
«Nous confions au Cœur immaculé de Marie toutes nos souffrances et nos espérances pour la paix dans notre peuple martyrisé», a déclaré le chef spirituel de la minorité gréco-catholique ukrainienne, forte de quatre à cinq millions de fidèles. Il avait lui-même accompli un acte de consécration de l’Ukraine au Cœur immaculé de Marie le 23 octobre 2016 à Fatima.
Pour sa part, Mgr Paolo Pezzi, archevêque du diocèse de Moscou et président de la conférence épiscopale de la Fédération de Russie, a assuré à l’agence Sir avoir accueilli avec «grande joie et gratitude la décision du pape». «Fatima, au moins pour ce qui concerne l’Église catholique, a un lien particulier avec la Russie et aussi avec chaque conflit qui survient dans le monde», a-t-il assuré, en soulignant que la signification symbolique de cette consécration est bien sur liée à la nécessité d’arrêter l’effusion de sang en Ukraine.
L’Église orthodoxe russe n’a pas commenté la nouvelle pour l’instant. (cath.ch/imedia/cv/cd/bh)
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