Sous le feu des critiques, le patriarche de Moscou contre-attaque

Depuis le début du conflit en Ukraine, le patriarche Cyrille de Moscou, chef de l’Eglise orthodoxe russe, affiche publiquement son soutien au président Poutine. Malgré la salve de critiques qui en a résulté, il réitère, dans une lettre au Conseil œcuménique des Eglises (COE), ses arguments sur la responsabilité présumée de l’Occident.

«Les origines de la confrontation [en Ukraine, ndlr.] sont à trouver dans la relation entre l’Occident et la Russie», assure le patriarche Cyrille dans une lettre envoyée au COE, basé à Genève, rendue publique le 10 mars 2022. Il répond ainsi à une missive du révérend Ioan Sauca, secrétaire général du COE (dont est membre le Patriarcat de Moscou) lui demandant de plaider auprès du Kremlin pour un arrêt des hostilités.

La faute à l’OTAN

Une sollicitation sur laquelle le patriarche n’entre pas en matière, justifiant le conflit par des argument très similaires à ceux déployés par le gouvernement russe. Cyrille se dit ainsi «fermement convaincu que ses initiateurs [du conflit, ndlr.] ne sont pas les peuples de Russie et d’Ukraine (…) ». Le patriarche pointe ainsi du doigt «les forces considérant ouvertement la Russie comme leur ennemi.» Pour le dignitaire, ces dernières «se sont rapprochées de ses frontières [de la Russie, ndlr.]. Année après année, mois après mois, les États membres de l’OTAN ont renforcé leur présence militaire, sans tenir compte des préoccupations de la Russie, qui craint que ces armes ne soient un jour utilisées contre elle».

Une guerre contre la tentative de «rééducation» des Ukrainiens

«De plus, les forces politiques qui se sont donné pour objectif de contenir la Russie n’allaient pas la combattre elles-mêmes, argumente le patriarche de Moscou. Elles comptaient utiliser d’autres moyens, après avoir tenté de faire des peuples frères – Russes et Ukrainiens – des ennemis. Elles n’ont épargné aucun effort, aucun budget pour inonder l’Ukraine d’armes et d’instructeurs militaires».

Cependant, pour Cyrille, «le plus terrible n’est pas les armes, mais la tentative de ‘rééducation’, de transformation mentale des Ukrainiens et des Russes vivant en Ukraine en ennemis de la Russie». «Le schisme ecclésiastique créé par le patriarche Bartholomée de Constantinople en 2018 poursuit le même objectif», assure le Moscovite. L’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine a été approuvée en 2018 par le Patriarcat œcuménique de Constantinople, un geste jamais accepté par l’Eglise russe.

Affirmant finalement que «la russophobie se répand dans le monde occidental à un rythme encore jamais vu», le patriarche espère que le COE «sera capable de rester une plateforme pour un dialogue non-biaisé, libre des préférences politiques et des approches unilatérales».

Les évêques d’Europe indignés

L’adresse du responsable du COE, lui-même prêtre orthodoxe, fait écho à une multitude d’appels ayant résonné depuis quelques jours, exhortant le patriarche russe à revenir sur son soutien à l’invasion russe.

Une telle démarche est venue le 10 mars du cardinal Jean-Claude Hollerich, en tant que président de la Commission des conférences épiscopales de l’Union européenne (COMECE). L’archevêque de Luxembourg requiert également dans sa lettre que le dignitaire russe intercède pour la mise en place de «corridors humanitaires sûrs et un accès sans restriction à l’aide humanitaire».

«Rien jamais ne peut justifier que les ‘bons bergers’ que nous devons être cessions d’être ‘des artisans de paix’»

Métropolite Jean de Doubna

Outre la COMECE, les représentants de nombreuses conférences épiscopales d’Europe ont envoyé une lettre à Cyrille comportant les mêmes exhortations. C’est le cas de Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, pour la Conférence des évêques de Suisse (CES), ou encore Mgr Georg Bätzing pour la Conférence des évêques allemands.

Le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Éric Moulins-Beaufort, a pour sa part rencontré dans la cathédrale orthodoxe de la Trinité à Paris le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF), et le Père Maxime Politov, curé de la cathédrale orthodoxe pour discuter de «l’importance du sens de [la] responsabilité» du patriarche dans ce conflit.

Tensions entre le Vatican et le Patriarcat de Moscou

Au Vatican aussi, les critiques contre le chef de l’Eglise orthodoxe russe prennent de l’ampleur. Lors d’un séminaire organisé à l’Université pontificale Angelicum à Rome, le 9 mars, le cardinal-secrétaire d’État Pietro Parolin a qualifié «d’inacceptable» le bombardement d’un hôpital pédiatrique à Marioupol, qui a fait trois victimes, dont une petite fille.

Le «bras droit» du pape François a mis en doute l’organisation d’une rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille dans le contexte actuel, rapporte l’agence de presse ANSA. L’ambassadeur de Russie près le Saint-Siège avait pourtant envisagé, le 18 février dernier, une seconde rencontre des deux hommes – après celle historique de Cuba en 2016 – en juin ou juillet prochain. Le cardinal Parolin a confirmé que «pour le moment il n’y a pas de possibilité» pour cela.

Le cardinal italien a en outre déploré les récentes déclarations du chef religieux russe présentant la guerre comme une croisade défensive contre l’Occident «décadent». Elles risquent, pour le ‘numéro deux du Vatican’ «d’enflammer encore plus les esprits et de conduire à une escalade qui ne permettra pas de résoudre la crise de manière pacifique».

Poutine, «du côté de la lumière»?

Mais un vent de mutinerie vient également du propre camp de Cyrille. Début mars, un groupe de 300 prêtres orthodoxes russes a lancé une pétition ouverte pour un cessez-le-feu immédiat, critiquant la répression des manifestations non-violentes pour la paix. Un prêtre de la paroisse de Kabanovo, à l’est de Moscou, a également été arrêté pour avoir prononcé un prêche dénonçant la guerre.

Le métropolite Jean de Doubna, archevêque des Eglises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, a adressé le 9 mars une lettre ouverte au patriarche de Moscou. Au-delà de sa demande d’intercession pour un arrêt du conflit, le responsable religieux basé à Paris contredit la vision «religieuse» de l’opération russe exprimée par Cyrille. «Vous laissez entendre que vous justifiez cette guerre d’agression cruelle et meurtrière comme ‘un combat métaphysique’, au nom ‘du droit de se tenir du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, de ce que nous révèle la lumière du Christ, sa parole, son Evangile…’, lance Jean de Doubna . Avec tout le respect qui vous est dû, et dont je ne me départis pas, mais aussi avec une infinie douleur, je me dois de porter à votre attention que je ne peux souscrire à une pareille lecture de l’Evangile, martèle l’archevêque orthodoxe. Rien jamais ne peut justifier que les ‘bons bergers’ que nous devons être cessions d’être ‘des artisans de paix’ et cela quelles que soient les circonstances». (cath.ch/ag/com/rz)

Raphaël Zbinden

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