Dans son message du 23 février, il s’interrogeait sur la dissonance forte entre les informations américaines et, dans une moindre mesure, occidentales – sur l’imminence de l’attaque face aux messages rassurants, presque soporifiques, aussi bien russes qu’ukrainiens.
Ce jour là – le dernier de la vie normale de la ville – sur son trajet d’une heure et demie pour aller au travail au centre de Kiev, il s’est appliqué à observer les autres voyageurs. «D’abord je prends un train de banlieue vers Kiev avec les ouvriers qui travaillent dans les usines environnantes. Dans leurs conversations, il n’y a rien qui se réfère à la guerre. Soit, ils dorment, soit ils regardent un film amusant, mais pas de politique. Ensuite, je prends le métro. Les gens que j’y croise rejoignent leurs bureaux, administrations ou entreprises publiques. Mais même là, je n’entends rien qui se réfère à la situation politique ou militaire. Personne ne lit des nouvelles ou analyses politiques».
«Le soutien moral que le monde manifeste à l’égard de l’Ukraine est sans prix»
Silence… je ne pense pas qu’il s’agisse d’indifférence. Vraisemblablement, les Ukrainiens sont déjà habitués aux mauvaises nouvelles, même si jusque-là elle elles venaient d’un peu plus loin. Ils ne sont plus choqués – écrivait-il à la veille de l’agression russe – par les nouvelles quotidiennes sur un soldat tombé sur le front de Donbass ou de Lugansk. Ils sont plus préoccupés par leur situation économique, car les affaires vont mal à cause de l’épidémie et de la possible guerre. «Il n’en demeure pas moins que beaucoup de personnes ont commencé à faire des réserves de nourriture, comme au temps de la dernière guerre: des allumettes, des bougies, du sucre, de la farine. Ces comportements sont le fait des personnes plus âgées, qui se souviennent des temps de l’Union soviétique… Je sais aussi que les achats des devises augmentent, ainsi que le nombre de passeports émis… Il y a aussi les riches. Ils agissent vite, prennent au sérieux le risque de la guerre. Ils ont préparé leur point de chute et sont prêts à tout moment à partir vers l’ouest du pays ou vers l’étranger. Ils sont plus compétents, plus à l’aise financièrement, plus mobiles… »
Trois jours plus tard à peine, le 26 février, il m’écrit: «Nous avons réussi à nous éloigner de Kiev de 300km vers l’ouest. Le soutien moral que le monde manifeste à l’égard de l’Ukraine est sans prix, je veux parler du soutien généreux des populations (les gouvernements c’est autre chose).»
«La communauté mondiale devra épargner un peu pour pouvoir aider l’Ukraine»
Peu de temps après, il revient sur l’idée du soutien populaire en cherchant à lui donner une forme tangible. Ainsi, il suggère le mouvement de la «tirelire pour l’Ukraine». Chaque famille en aurait une et y mettrait la contrevaleur des petits sacrifices quotidiens faits au nom de la solidarité avec ce pays: des enfants qui se privent d’ une glace, des aînés d’une viennoiserie. «En effet, j’ai une petite suggestion pour donner à ce soutien une consistance et l’inscrire dans la durée.»
Même si la guerre n’est pas trop longue, ses blessures mettront du temps à guérir. En conséquence, la communauté mondiale devra donc épargner un peu pour pouvoir aider l’Ukraine. En effet, un soutien régulier est très important, aussi pour le développement spirituel du donateur. Certainement, on peut faire virer ces ressources sur des comptes des organisations. Mais bientôt, vous allez rencontrer dans vos villes des Ukrainiens nécessiteux, et vous pourrez donner de la main à la main le contenu de vos ‘tirelires pour l’Ukraine’. Le don alors serait créateur de lien, signe de l’accueil bienveillant de ceux qui, comme tant d’autres avant eux, ont été arrachés à leur quotidien et jetés sur les routes de l’exil. A l’instar de la piécette de la veuve de l’Evangile, la puissance bienfaitrice de nos dons en sera décuplée.
Profitons du moment où les pochettes de Carême ont fait leur entrée dans nos maisons avec le début de Carême, pour doper nos réflexes du partage en l’inscrivant dans la durée et en alimentant notre «tirelire pour l’Ukraine» qui, il est à craindre, sera nécessaire bien au-delà de Pâques.
Paul Dembinski
9 mars 2022
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