«Notre monastère sera-t-il touché par un missile russe? Serons-nous attaqués? Chaque soir, je me demande si nous serons toujours vivants le lendemain». Au téléphone ce 1er mars 2022, le Frère dominicain Tomasz Samulnik est calme, mais la voix laisse entendre la fatigue et le stress, au cinquième jour de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes.
Le frère Tomasz, un polonais de 40 ans, vit au couvent de la Mère de Dieu, situé tout près du centre de Kiev, avec cinq autres frères, trois compatriotes et deux Ukrainiens. Ils hébergent entre douze et quinze personnes au monastère, dont cinq à six femmes. «Le nombre de réfugiés que nous recueillons varie d’un jour à l’autre: certains décident de quitter la ville, d’autres veulent rester et d’autres viennent pour demander un abri». En particulier ceux qui habitent des quartiers de la ville devenus dangereux et qui ne disposent pas d’une cave dans leur logement.
Malgré la tension qui s’est installée avec le début de la guerre, les dominicains essayent de poursuivre leurs activités aussi normalement que possible. Le 1er mars, le frère Tomasz est allé célébrer la messe pour les six sœurs missionnaires de la Charité et une trentaine de personnes, dans leur maison située à 13 kilomètres du monastère. Un trajet en voiture périlleux, ponctué de trois contrôles méticuleux de l’armée ukrainienne.
Les soldats redoutent la présence de séparatistes russes infiltrés dans la capitale et menant des opérations commando en étant revêtus d’uniformes ukrainiens. «J’ai dû me rendre ensuite de l’autre côté du fleuve Dniepr, à environ 20 kilomètres à l’est, pour visiter une personne et j’ai subi encore trois contrôles. Des combats se déroulent chaque nuit dans cette zone», témoigne le frère polonais. La ville est en état de siège et les déplacements de jour sont déconseillés, sauf nécessité.
Ajoutant à l’anxiété provoquée par les bruits quotidiens d’échange de tirs, le couvre-feu vide les rues de ses habitants entre 8h du soir et 7h du matin. Le silence accentue la violence des explosions et des échanges de tirs. Deux heures avant notre entretien, deux fortes explosions se sont fait entendre près du monastère. Impossible de savoir quel bâtiment du quartier a été touché et s’il y a des morts. La récent bombardement de la tour de la télévision, toute proche du couvent, a encore fait monter la tension. Les nuits sans sommeil accentuent le stress.
Les frères et les réfugiés descendent dans les deux sous-sols du monastère dès que l’alarme retentit. Ils y passent aussi la nuit. Les lieux habituellement utilisés pour la vie de la communauté ont été réaménagés en dortoirs. Les femmes dorment dans une pièce et les frères et les hommes dans l’autre.
Pour l’instant quelques magasins, dont l’accès est étroitement surveillé par les soldats ukrainiens qui craignent des attaques de séparatistes russes, sont encore ouverts, «grâce à Dieu». Dès que c’est possible, les frères vont faire les courses et constituent des réserves. Au fil des jours, les queues s’allongent dans les magasins et il est de plus en plus difficile de trouver une pharmacie ouverte. Les médicaments manquent déjà. «Nous vivons au jour le jour et nous cuisons notre pain», précise le frère polonais.
Outre sa vie religieuse, le frère Tomasz est occupé à écrire à ses parents, aux amis et à fournir des informations à la radio, aux journaux et aux télévisions. Il est allé donner son sang avec un autre frère samedi passé et il accompagne les réfugiés du couvent dans les activités bénévoles qu’ils ont commencé à entreprendre pour aider la population.
Le prieur du monastère, le Père Petro Balog, est quant à lui très inquiet pour l’avenir de la communauté. Les bureaux et le jardin d’enfant privé, situés dans leurs locaux, qu’ils louaient ont en effet fermé avec le début de la guerre, les privant de revenus. Cela impacte la maison d’édition Kairos et l’Institut Saint-Thomas d’Aquin de Kiev que le Père Balog dirige et qu’il ne veut pas voir disparaître. Dans un courrier relayé par le frère Tomasz, il lance un appel à l’aide.
Malgré la peur et la guerre, la liturgie des Heures, l’eucharistie, le rosaire et l’adoration du Saint-Sacrement jalonnent la journée des frères. «Nous gardons un rythme régulier de prière et les personnes présentes se joignent à nous». La petite communauté prend ses repas avec les réfugiés. On passe le temps en regardant des films pour essayer d’oublier la guerre.
Etant polonais, le frère Tomasz pourrait quitter Kiev. Il n’en est pas question: «J’envisage la situation du point de vue de la foi, je veux rester travailler ici. C’est la volonté de Dieu pour moi».
«Je vis dans une tension considérable, comme beaucoup d’habitants de Kiev, mais je prie toujours autant, j’essaie de faire confiance à Dieu, confie le frère Tomasz. J’essaie aussi – comme je le fais tous les jours – de demander à Dieu de nous délivrer de notre peur. Et il nous délivre». (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
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