Les juges du Tribunal de la Cité du Vatican cherchent à comprendre comment la Secrétairerie d’État, «cœur du réacteur» du Saint-Siège, a pu perdre une somme estimée entre 76 et 166 millions d’euros dans l’acquisition d’un immeuble de la capitale britannique. Dix personnes, dont un cardinal, Angelo Becciu, ont été convoquées pour répondre de leurs actes. Mais la procédure connaît d’importantes difficultés depuis son lancement.
«Il faut encore du temps pour commencer, si tant est que nous puissions commencer», déclarait avec une pointe de cynisme le juge Giuseppe Pignatone le 17 novembre dernier, au terme d’une énième audience perdue en procédures. En ouvrant ce que beaucoup décrivent comme un «méga-procès» compte tenu de l’important réseau financier international impliqué et de l’opacité des enjeux de pouvoir au sein de l’administration vaticane, la justice du petit État semble s’être mise en tête de nettoyer les «écuries d’Augias».
Une tâche que le Saint-Siège lui-même, par la voix du directeur éditorial du Dicastère pour la communication, Andrea Tornielli, reconnaît avec humilité comme étant «une épreuve de force, un véritable test de résistance pour le système judiciaire de l’État de la cité du Vatican».
Plusieurs événements illustrent particulièrement les difficultés éprouvées par les magistrats. D’abord, les nombreux revers rencontrés ces derniers mois pour faire aboutir les procédures d’extradition de certains accusés, le Vatican n’ayant pas de traité réglementant ces procédures avec plusieurs pays impliqués, notamment le Royaume-Uni. Si des juges de la République italienne acceptent d’agir en intermédiaire pour le Vatican, reste que ces derniers mois, plusieurs procédures ont été annulées par voie judiciaire au Royaume-Uni comme en Italie.
Les autres difficultés concernent principalement le Promoteur de justice, Alessandro Diddi. Ce dernier, depuis la première audience, est sommé par le juge Pignatone de compléter les actes d’accusation mais semble rencontrer de nombreux obstacles d’ordre juridique, technologique et logistique pour mettre à disposition certaines pièces.
La publication de plusieurs éléments importants du dossier – notamment des vidéos d’interrogatoire – dans la presse italienne donne une impression de désorganisation et accentue la pression sur le Promoteur de justice. Faute de procédures complètes, ce dernier a aussi dû retirer un temps l’inculpation de quatre accusés – dont Raffaele Mincione, l’un des acteurs les plus importants du dossier. Il doit désormais attendre la décision du juge qui pourrait les ré-inculper lors de l’audience du 18 février.
Le procès «de l’immeuble de Londres» enquête sur les conditions d’acquisition d’un immeuble londonien, au 60, Sloane Avenue, par la Secrétairerie d’État – l’administration centrale du Saint-Siège. L’investissement, initié en 2013, a été financé avec l’argent du fond de gestion du Denier de Saint-Pierre, soit les dons des fidèles. L’opération a été confiée à un banquier italo-britannique, Raffaele Mincione, et semble avoir été détournée de son but originel. Dans un deuxième temps, le Saint-Siège se serait vu extorquer 15 millions d’euros par un courtier molisan, Gianluigi Torzi.
Outre les pertes directes préjudiciables au bon fonctionnement d’un Saint-Siège en difficulté financière, l’utilisation de l’argent des fidèles dans l’opération – remboursé ensuite par le Saint-Siège – est un facteur aggravant. Le Vatican craint en effet que les laïcs, à force de scandales, cessent de financer le Saint-Siège. Et de fait, une baisse des dons est déjà observable. Le budget prévisionnel de 2022 envisage une diminution de près de 10 millions d’euros de dons, après une année 2021 à l’issue de laquelle une perte de 9,7 millions d’euros avait déjà été enregistrée.
Face aux risques que représente le scandale financier de Londres, le préfet du Secrétariat pour l’économie, le Père Juan Antonio Guerrero, joue la carte de la transparence et veut démontrer qu’un sens du professionnalisme guide aujourd’hui la gestion des finances papales. «Les gens ont le droit de savoir comment nous dépensons l’argent», déclarait-il ainsi en juillet dernier, évoquant les irrégularités observées dans l’utilisation du Fonds du Denier de Saint-Pierre lors de l’acquisition de l’immeuble de Londres.
Le Saint-Siège a jugé important de se débarrasser rapidement de sa propriété londonienne. Le 28 janvier dernier, le Père Guerrero a ainsi annoncé avoir procédé – dans les règles – à la vente de la propriété, sans pour autant dévoiler le prix de l’opération. Il a cependant affirmé qu’il s’agissait d’un prix supérieur à celui évalué par des experts et que les pertes avaient déjà été intégrées au budget de 2021.
Le sort réservé au cardinal Angelo Becciu, ami personnel du pape François et premier haut prélat à devoir répondre de ses actes devant un tribunal civil au Vatican, met en jeu la crédibilité de l’action de ce dernier contre le «fléau» du cléricalisme, cette rigidité hiérarchique dans l’Église catholique que le pontife n’a de cesse de combattre.
Plus largement, le procès devrait lever le voile sur le fonctionnement de la Curie, alors que la promulgation d’une nouvelle constitution censée la réformer approche, et que l’institution est sous le feu des critiques.
C’est donc surtout la crédibilité morale de l’Église catholique qui semble en jeu. Le grand écart entre les exhortations franciscaines du pape contre la finance globalisée et les dérives mafieuses observées au plus près du trône de Pierre paraît de fait difficilement tenable. (cath.ch/imedia/cd/bh)
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