Le talk-show qui révèle l’ouverture du pape François

La participation du pape François, le 6 février 2022, au talk-show Che tempo che fa de RAI 3 a soulevé de nombreuses réactions – pas seulement en Italie. Une journaliste, un prêtre expert en communication et un psychothérapeute reviennent sur l’impact médiatique et social de cette «première» dans l’histoire des papes.

catt.ch/Cristina Vonzun; adaptatation et traduction: Davide Pesenti

Le journaliste italien Fabio Fazio a l’habitude d’accueillir des personnalités exceptionnelles dans son émission. Il a déjà notamment interviewé Barack Obama, Bill Gates, Lady Gaga et d’autres figures internationalement célèbres. «Mais le pape dans un talk-show télévisé, c’est vraiment une première!», souligne Natascha Fioretti, journaliste freelance et présidente de l’Ecole de journalisme de la Suisse italienne.

«Ce qui a certainement le plus émergé et frappé dans cette interview, c’est la personnalité et l’intention première du pape François: celle d’être le pape de tout le monde».

Empathie papale qui touche

Ce long entretien a rencontré une audience exceptionnelle pour la RAI 3, avec 6,7 millions de téléspectateurs en moyenne et un pic à plus de 8 millions.

Pour la secrétaire de l’Association des journalistes de la Suisse italienne, il en est ressorti un portrait très humain et personnel du pape. Grâce aussi à une approche très empathique de la part de l’animateur.

Ce qui a le plus marqué les téléspectateurs c’est son attitude empathique, sa capacité à s’adresser à tout le monde indistinctement.

Natascha Fioretti, journaliste freelance

«Fabio Fazio a reconfirmé son rôle de ‘maître de maison’ accueillant. Il n’a pas vraiment fait une interview avec des questions pressantes, mais en reprenant plutôt les thèmes proposés par le pape. Et cela, avec un style très familier, comme dans un salon de maison, même si des sujets très sérieux ont été traités, comme les migrants, la guerre ou l’actuelle crise environnementale».

Des thématiques d’actualités mises en parallèle avec des questions plus personnelles sur la vie du pape François, comme sa musique préférée ou son choix de vivre à la Maison Sainte-Marthe.

«Certes, dans l’émission, le pape n’a rien dit de nouveau. Cependant, ce qui a le plus marqué les téléspectateurs c’est son attitude empathique et sympathique, sa capacité à s’adresser à tout le monde indistinctement», observe Natascha Fioretti.

Tomber amoureux de la vie

Une analyse partagée par don Italo Molinaro, ancien co-responsable des émissions religieuses à la RSI. Il estime que l’ouverture envers chacun témoigné par le pape François dans l’émission devrait être une source d’inspiration pour tous les chrétiens.

«Nous avons perçu dans ce pape un croyant passionné dont la foi l’amène à être encore plus passionné par la vie, la Création, l’humain, le monde. La sagesse que François communique peut montrer des chemins accessibles à tous. C’est un art que nous devons apprendre et partager», exhorte le Suisse italien.

La sagesse que François communique peut montrer des chemins accessibles à tous.

Don Italo Molinaro, prêtre et journaliste

Une attitude de fond qui, selon don Italo Molinaro, incite chaque croyant à vivre sa propre foi comme un élan qui fait tomber amoureux de la vie.

«En même temps, cette attitude de François pousse à se retrouver avec tous ceux qui aiment et servent l’existence, sous quelque forme que ce soit, en quelque lieu que ce soit, avec quelque motivation et base spirituelle que ce soit».

Proche de la vie quotidienne

Le prêtre expert en communication souligne à quel point les exemples donnés par le pape sont révélateurs de sa façon directe de communiquer et d’interagir avec le grand public, en se faisant proche du quotidien des personnes.

«La petite-fille du scientifique qui, dans 30 ans, se retrouvera dans un monde invivable à cause de la crise environnementale; les parents d’aujourd’hui qui sont invités à jouer avec leurs enfants; l’invitation à regarder dans les yeux de ceux que l’on aide: autant d’images qui ouvrent la voie à une véritable transformation, tant humaine que spirituelle, explique don Italo Molinaro. Souvent, dans l’Église, nous nous fixons des objectifs élevés, mais nous n’avons aucune idée de la manière de les atteindre. Et l’annonce de l’Evangile reste ainsi une chose abstraite».

Discours trop horizontal?

Mais l’intervention de François n’a pas reçu que des éloges. Parmi les principales critiques adressées au pape: le fait de s’être exprimé de manière «purement horizontale», sans référence à Dieu. Des critiques que le théologien et psychothérapeute Nicola Gianinazzi, considère inappropriées et déplacées.

Critiquer le pape parce qu’il a parlé de socio-politique signifie ne pas avoir à l’esprit que le christianisme a intégré de manière éminente le divin à l’humain.

Nicola Gianinazzi, théologien et psychothérapeute

«Critiquer le pape parce qu’il a parlé d’éco-politique et de socio-politique signifie ne pas avoir à l’esprit que le christianisme a intégré de manière éminente le vertical à l’horizontal, le divin à l’humain, l’immanent au transcendant, précise-t-il. Quand François dit que chaque personne, victime de la migration et/ou de la guerre, doit être accueillie et intégrée et que notre environnement naturel doit être préservé et pas seulement exploité, il le fait en partant d’une ‘sacralité’ et d’un fondement métaphysique de l’être humain, de la nature et de la science, et donc aussi de la politique».

Être pardonné, un droit humain

Pour Nicola Gianinazzi, c’est justement à partir de ce présupposé profondément chrétien que le pape a parlé d’une «Église fondée sur la chair du Christ, sur la prière et la spiritualité non-mondaines».

En tant que psychothérapeute féru de neurosciences, il met finalement en évidence deux déclarations faites par le pape qui témoignent d’une approche personnelle, où un enracinement en Dieu se décline concrètement dans la proximité à l’humain.

Lorsque François définit la capacité à être pardonné comme un droit humain, il la considère comme la capacité de s’ouvrir à un don toujours gratuit.

Nicola Gianinazzi, théologien et psychothérapeute

«Lorsque François définit la capacité à être pardonné comme un droit humain, il ne la considère pas comme un droit exigible, mais comme la capacité de s’ouvrir à un don toujours gratuit que je reçois si je suis capable de l’accueillir et donc de m’ouvrir activement à l’Autre ». Nicola Gianinazzi souligne que cette approche vaut aussi bien pour la dimension théologique que sociologique et psychologique.

«Combien de mes patients – et moi-même en premier – peuvent ressentir le besoin d’être pardonnés ou parviennent à pardonner, se libérant ainsi d’un lien problématique, ou bien ne parviennent toujours pas à se pardonner, à s’accepter, à admettre leur erreur, leur responsabilité et leur culpabilité», déclare-t-il, avant de souligner que l’invitation du pape à toucher la misère et les personnes qui souffrent comme s’il s’agissait de «la chair du Christ» s’insère dans une longue tradition de penseurs chrétiens.

Sagesse qui parle à l’Homme contemporain

«Cette exhortation avait déjà été enseignée par certains moines du désert, comme Joseph Hazzaya (710 après J.-C.) ou par Saint Thomas d’Aquin. Aujourd’hui, elle est confirmée par les neurosciences, précise Nicola Gianinazzi. Toute cognition de l’être humain est en effet générée par les émotions que nous éprouvons, donc par la dimension physique de notre corps. Parmi tous les sens, le toucher est celui qui met le plus en jeu cet aspect d’émotivité; d’où le terme de co-action et de cogitation. En termes scientifiques cela signifie donc l’autre devient une partie de mon expérience, grâce aux fameux ‘neurones miroirs’».

Derrière le message immédiat et authentique de Jorge Maria Bergoglio, on retrouve donc une profonde sagesse, à la fois chrétienne et humaine. Serait-ce finalement la raison de sa capacité à parler à tous et à garder des millions de téléspectateurs devant leur poste, un dimanche soir d’hiver? (cath.ch/catt.ch/cv/dp)

Davide Pesenti

Portail catholique suisse

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