L’être humain a-t-il le droit de sacrifier des animaux pour ses intérêts personnels? Telle est la question au centre de l’initiative populaire intitulée «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès».
Les initiants mettent principalement en avant la souffrance des animaux utilisés dans la recherche. Une réalité qui n’aurait en fait pas lieu d’être, car il existerait «des alternatives et de meilleures possibilités pour parvenir aux conclusions requises».
Cette vision des choses est rejetée par une grande majorité de la communauté scientifique, qui affirme que cette initiative revient à interdire la plupart des médicaments en Suisse et met ainsi en danger la vie de nombreux patients.
Benoît Ischer, partisan du ‘oui’, explique cette position majoritaire par un conditionnement conservateur. «Dans la recherche, comme dans d’autres domaines, quand on dit: ‘on ne peut pas faire autrement’, on veut souvent dire: ‘on ne veut pas faire autrement’, note l’écothéologien, coordinateur pour la Transition écologique et sociale (TES) de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV). Il y a des protocoles qui sont en place, une méthodologie qui est ancrée. Et comme partout, il est difficile de faire évoluer les mentalités et les structures rigides».
«Il faut être conscient de tout ce que notre vie humaine consomme de mort»
Benoît Ischer
Pour le théologien protestant, une acceptation de l’initiative forcerait les scientifiques à se démener pour trouver des alternatives, ce qui ferait finalement progresser la recherche. «Aujourd’hui, il existe déjà plusieurs pistes pour faire de l’expérimentation sans sacrifier des animaux, en utilisant par exemple des échantillons de tissus organiques. Et même si ces méthodes ne sont pas encore pleinement utilisables, il faut pousser la recherche à évoluer dans ce sens, au nom d’une nécessité éthique».
Il note aussi l’influence d’intérêts financiers, pointant un lucratif «marché de l’expérimentation».
Il souscrit en outre à l’argument des initiants selon lequel la plus grande partie des expérimentations ne mènent à rien et sont donc inutiles. «Il faut être conscient de tout ce que notre vie humaine consomme de mort».
Dans le camp du ‘non’, Stève Bobillier, membre de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses (CES), souligne la nécessité de limiter la souffrance animale. Cependant, cela ne peut se faire à tout prix et l’initiative va trop loin: «La science ne peut pas tout se permettre au nom du seul progrès. Nous devons poser des limites claires à ce qu’elle peut faire ou non. Dans ce cas, il n’y a pas de solution parfaite et le but est de concilier au mieux la dignité humaine et le bien-être animal.»
Le scientifique doute des solutions alternatives à l’expérimentation animale. «Certes, la culture de cellule ou de tissu est intéressante car elle permet de réduire le nombre d’expériences sur des animaux vivants. Mais réduire n’est pas supprimer. Une cellule n’est pas un organisme entier et ne réagit évidemment pas de la même façon. Par exemple, les effets secondaires ne peuvent être observés correctement que sur un organisme vivant».
«Cette votation pourra sensibiliser le public à la problématique de l’exploitation des animaux»
Abbé Olivier Jelen
L’éthicien relève enfin que, de sa propre expérience, l’encadrement de la recherche en Suisse est très strict et l’un des meilleurs en comparaison internationale. «Les lois et les commissions d’éthique sont extrêmement sévères. Il est impossible qu’une recherche non-essentielle ou ayant un conflit d’intérêt, par exemple financier, soit acceptée en Suisse. Toutefois, cette initiative risque de déplacer le problème: les chercheurs iront dans d’autres pays moins regardants sur les droits des animaux».
Autant d’éléments «pragmatiques» des expérimentations animales qui joueront certainement un rôle dans le choix du peuple suisse, le 13 février. Ils seront toutefois mis en balance avec des aspects idéologiques et «sentimentaux» peut-être encore plus déterminants.
Ils l’ont en tout cas été pour l’abbé Olivier Jelen, qui confie avoir glissé dans l’enveloppe un ‘oui’ de coeur. «Je me suis toujours tellement engagé pour les animaux et pour l’environnement que je ne pouvais pas faire autrement», reconnaît le prêtre actif dans la Broye, connu en Suisse romande pour son activisme en faveur de la cause animale.
L’abbé assure qu’il n’est toutefois pas un «extrémiste». S’il est rigoureusement contre l’expérimentation sur les animaux «évolués» tels que les primates, il comprend que la recherche ait besoin d’utiliser des créatures plus «primitives» telles que les rongeurs.
Pour lui, le principal problème est la «distanciation» du vivant. Il déplore principalement l’élevage intensif et les pratiques culturelles «cruelles et inutiles» telles que la tauromachie.
L’enjeu est, pour l’abbé Jelen, de se «reconnaître comme partie du vivant». Il cite en exemple certains peuples premiers, qui prononcent un rituel de pardon aux animaux tués.
Les trois personnalités chrétiennes s’accordent quoiqu’il en soit sur un certain nombre d’aspects, tels que la nécessité du respect envers toutes les créatures et la responsabilité que l’homme a vis-à-vis de la création. «L’humain n’est pas maître et possesseur de la nature, note Stève Bobillier. Il doit en être le gardien et le protecteur avisé.»
«Pour l’éthique chrétienne, la recherche est plus importante que le bien-être des animaux, car elle permet la survie de l’homme»
Stève Bobillier
Pour autant l’homme a-t-il le droit de faire passer son espèce avant les autres? Benoît Ischer, qui est végane, ne le pense pas. «Alors que nous avons atteint un niveau technique qui nous le permet, nous devrions éviter de tuer des animaux. Ce serait une occasion pour nous d’évoluer moralement. C’est ce que j’appellerais ‘l’idéal de l’Eden’. La Bible affirme qu’à la Fin des temps, «le loup et l’agnelet paîtront ensemble» (Esaïe 65 :25), que les carnivores deviendront végétariens. Pour moi, il s’agit d’une espérance eschatologique qui doit nous transformer déjà maintenant».
Stève Bobillier met, de son côté, en garde contre la tendance à établir une égalité entre les espèces. «Respecter l’animal, c’est le prendre dans son animalité, arrêter de lui prêter des traits humains et une responsabilité qu’il n’a pas à assumer. Respecter l’homme, c’est ne pas le rabaisser au rang de seul animal. C’est cette différence qui permet de protéger chacun en ce qu’il est. Dans la nature, il est normal que les animaux s’entretuent, mais pas dans une société humaine. Or affirmer que l’homme est un animal entraîne une déshumanisation dont on ne connaît que trop les conséquences depuis le siècle passé ».
Le chercheur souligne encore une fois la nécessité, comme dans toute question éthique, d’une pesée des intérêts. «Nous avons avec cette votation un cas où le respect de l’animal est en contradiction avec la dignité humaine. Or, pour l’éthique chrétienne, la recherche est plus importante que le bien-être des animaux, car elle permet la survie de l’homme».
Pour Benoît Ischer, nul besoin d’une telle opposition. «Il est faux de réduire le débat au dilemme vie humaine contre vie animale. Il est possible de préserver les deux si l’on s’en donne les moyens».
Aussi bien le pasteur que Stève Bobillier et Olivier Jelen s’accordent finalement sur une chose: la complexité de la question. «Il n’y a pas de réponse simple, pas de situation idéale», admet le bioéthicien. Chacun est appelé à décider selon sa conscience et sa raison.
L’abbé Jelen doute fortement que l’initiative soit acceptée, ce que confirme la plupart des sondages. Il espère néanmoins un bon résultat du ‘oui’, «car cela pourrait sensibiliser le public à la problématique de l’exploitation des animaux, qui doit toujours être remise sur la table».
Pour Benoît Ischer également, il est important de se poser ce genre de questions, «car elles renvoient à la nécessité pour l’humanité d’instaurer un mode de vie plus collectif, qui relie les humains entre eux, mais aussi à la création». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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