Les Frères Michel Fontaine et Zdzislaw Szmanda, représentants de la communauté dominicaine, sont fiers et très heureux de faire visiter leur lieu de célébration. L’église St-Paul, à Cologny, dans la banlieue de Genève, a des atouts de beauté certains à faire valoir. Notamment le marouflage qui orne le chœur, réalisé par l’artiste français Maurice Denis en 1916. Il représente des scènes de la vie de saint Paul apôtre, dont sa conversion, son martyre et sa prédication sur une barque, suite au naufrage de son embarcation.
«C’est certainement l’aspect le plus marquant de l’église, celui dont les gens se souviennent après leur visite», remarque le Frère Michel.
Les religieux tiennent à montrer également la mosaïque du même artiste représentant le baptême de Jésus «jaillissant» visuellement du baptistère, datée de 1923. «Un très beau lieu de catéchèse!».
Une reproduction de la plus ancienne représentation de saint Dominique et ses frères est également placée contre l’autel. Installée à l’occasion des 800 ans de sa mort, commémorée en 2021, les Frères n’ont encore pas pu se résoudre à l’enlever.
Le lieu de culte, où se côtoient Paul et Dominique, résonne ainsi au cœur des dominicains de Cologny, dans lequel les deux saints tiennent une place particulière. Leur enseignement respectif se complète pour inspirer les religieux de Cologny dans leur projet pastoral, remarque Frère Michel.
Cette démarche, qui se concrétise petit à petit depuis 2015, est le départ d’un nouveau projet communautaire reposant sur trois axes: la formation, la liturgie et l’accueil. Un accueil qui se veut «de toutes situations» et «compassionnel» précise bien Michel Fontaine, qui occupe la fonction de curé et de prieur. «C’est un aspect central de la pensée de saint Dominique, qui mettait au centre la miséricorde et l’intelligence de la foi».
La notion d’accueil se manifeste aussi dans une dimension internationale, Genève oblige. Cela vient notamment du fait que le couvent de St-Dominique, à Cologny, est depuis presque le début du retour des dominicains à Genève un lieu d’accueil pour le délégué de l’ordre dominicain auprès des Nations unies pour Justice et Paix. Son activité à l’ONU fait remonter au niveau de la paroisse des situations difficiles dans le monde. «Nous souhaiterions profiter de ce lien avec l’ONU pour faire de la paroisse un lieu de réflexion concernant les problèmes de justice et de paix et nous y sensibiliser toujours davantage», note le Frère Michel.
«Nous ne raisonnons pas en terme de pourcentages»
Michel Fontaine
Une internationalité facilitée par la dimension universelle de l’ordre dominicain, présent sur tous les continents. Les septs Frères actuellement présents au couvent de Genève sont d’ailleurs de plusieurs nationalités.
Gerard Timoner, Maître des Frères de l’ordre des Prêcheurs, a fortement encouragé le projet de Cologny lors de son passage en Suisse, mi-janvier 2022, assure Michel Fontaine.
Les Frères sont heureux de pouvoir donner aujourd’hui à la paroisse un visage particulier, en correspondance avec leur charisme. Une possibilité acquise à travers un cheminement original.
La présence dominicaine à Genève dans le cadre d’une paroisse date de la fin des années 1950. Alors que les Frères voulaient revenir dans la ville du bout du lac, l’évêque leur a indiqué la paroisse de Cologny, qui n’avait plus de prêtre et qui était à l’époque assez éloignée de la Cité de Calvin pour ne pas trop attiser les susceptibilités protestantes. Une présence d’une bonne dizaine de Frères s’est donc réalisée, à partir de laquelle trois ou quatre se sont engagés dans la paroisse pendant des décennies. Les religieux résidaient dans le couvent de Saint-Dominique, point d’ancrage des dominicains à Genève, situé à deux pas de l’église St-Paul.
Mais en 2005, au vu du mauvais état de santé du curé et de l’affaiblissement de la relève des Frères, la Province suisse des dominicains a décidé de se retirer de la paroisse.
A débuté alors une période précaire pour les religieux, qui n’avaient plus la jouissance d’un lieu public de célébration. «Ce n’est pas facile à vivre pour un ordre dont la prédication est un pilier», rappelle le Frère Michel, qui est à Cologny depuis 2003.
En 2013, pour différentes raisons, dont un décès, la communauté s’est trouvée réduite à quatre Frères. La question «Que fait-on?» a donc surgi. Il s’en est suivi presque deux ans de réflexions intenses avec un coach. «Nous nous sommes dit que nous étions bien à cet endroit et que nous ne pouvions pas partir. De plus, le Maître de l’ordre insistait pour que les dominicains restent à Genève.»
La reprise de la paroisse par la communauté dominicaine a donc été décidée dans le cadre d’un nouveau projet communautaire commencé en 2015.
La paroisse St-Paul est alors incluse dans l’Unité pastorale (UP) La Seymaz. Une situation toujours pas idéale. «Nous étions convaincus que si nous voulions mener notre projet communautaire en tant que dominicains, il nous fallait sortir de l’UP».
«Insuffler un esprit de famille dans la paroisse n’est pas évident dans un contexte comme le nôtre»
Zdzislaw Szmanda
La demande est acceptée en 2019. Devenue en quelque sorte «extraterritoriale», la paroisse est bien sûr restée au service du canton et des paroisses limitrophes, note le Frère Michel, car la pastorale est désormais «régionale».
Actuellement, quatre Frères parmi les sept présents à Cologny sont directement engagés à la paroisse. Il y a un curé et trois vicaires. «Nous ne raisonnons pas en terme de pourcentages, relève le Frère Michel. La dotation reçue de l’Eglise cantonale est répartie sur plusieurs Frères». «Nous nous répartissons aussi les tâches selon nos intérêts et nos disponibilités, précise Zdzislaw Szmanda». Les deux Frères rappellent dans ce contexte leur fonctionnement de vie religieuse et communautaire.
Un système paroissial original qui a des avantages, estime le Frère polonais. «Notre expérience de la vie communautaire peut sans doute contribuer au développement de la vie paroissiale. Le fait d’être capables de vivre ensemble, malgré des points de vue et des caractères parfois différents, peut être un signe d’espérance pour les fidèles et la société en général». Pour le Frère Zdzislaw, cet exemple est d’autant plus précieux dans une société actuelle atomisée où les liens sont de plus en plus fragiles.
«Notre porte doit rester ouverte»
Zdzislaw Szmanda
«Le défi d’insuffler un esprit de famille dans la paroisse n’est pas évident dans un contexte comme le nôtre. Ici les habitants sont de partout dans le monde, il y a beaucoup de déracinement, note le dominicain polonais». Dans cette commune plutôt privilégiée de la banlieue de Genève, beaucoup de résidants travaillent en outre dans des organisations ou des entreprises internationales et sont très mobiles». Même s’il y a un noyau de paroissiens dont la fréquentation est régulière.
Difficile donc de créer un sentiment de communauté. «Cela donne paradoxalement, une intensité très forte à la notion d’accueil, relève pourtant le Frère Michel. Il s’agit de donner le meilleur de nous-mêmes dans un temps court, car on ne sait pas quand la personne va revenir, ou si même elle reviendra. C’est une exigence d’être dans le présent, d’accueillir les personnes comme elles sont, où elles sont.»
Un engagement à l’accueil qui implique que «notre porte doit rester ouverte», renchérit Zdzislaw Szmanda. «Ce qui signifie être disponible hors des horaires de travail et quand l’on n’en a pas forcément envie».
Le développement du vivre-ensemble a également trouvé un nouvel élan avec le processus synodal lancé par le pape François en automne 2021. A Cologny, «l’objectif est que chacun et chacune se sente accueillis et bien dans la communauté paroissiale. Nous veillons aussi à être à l’écoute des jeunes et des familles, qui sont nombreuses dans cette commune de 7’000 habitants, dont la population connaît une très forte augmentation».
Dans ce cadre, la démarche synodale lancée par le pape François prend tout son sens et la paroisse y répond en organisant notamment un «brunch synodal», le 6 février 2022. «Notre souhait profond est que les paroissiens eux-mêmes prennent en main cette aventure innovante», assure le Frère Michel.
Saint-Paul Cologny-Genève fait donc face à des défis importants. Embarqués sur le frêle esquif de la paroisse, sur la mer houleuse du monde moderne, ses responsables savent pourtant qu’avec leur saint patron pour capitaine, ils garderont le bon cap. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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