Évangile de dimanche: Impasses?

Les traditions juives racontent que la tente d’Abraham avait des ouvertures sur ses quatre côtés afin que Sara et lui puissent rester vigilants au passage de chaque voyageur et leur permettre ainsi d’être tous accueillis. Cette hospitalité légendaire traduit la bienveillance généreuse du premier patriarche grâce à laquelle des foules innombrables le reconnaissent encore aujourd’hui comme «père des croyants» au-delà des appellations et des appartenances religieuses.

Ce comportement largement répandu en Orient contraste pourtant dans cette page d’Évangile avec la cité de Nazareth. Pourtant située dans cette Galilée – carrefour des nations – la ville est flanquée au sud-ouest d’un escarpement rocheux qui lui ferme un accès au reste du monde. Serait-ce ce cul-de-sac géologique qui provoqua parmi les habitants de la bourgade ces étranges sentiments de repli?

Tout avait pourtant bien commencé: Jésus l’enfant du village revient. Il rejoint les siens dans le lieu de rassemblement par excellence, la synagogue, pour partager la Parole et vivre la communion. Mais sa présence au cœur de cette salle intime provoque des réactions de censure. Les appels d’Isaïe au salut pour tous, lus et commentés par Jésus, réveillent des peurs d’avoir moins et d’être oubliés.

Des «nous d’abord» surgissent, défigurant l’appel au soin de l’autre et à la priorité du plus pauvre. La primauté du terroir réclamée par les citoyens occulte le véritable lieu d’origine de Jésus: son Père. La priorité accordée au sang supplante celle de l’Esprit.

«Difficile de quitter la confortable cité des «on a toujours fait comme ça» pour se laisser mener par la voix intérieure de Jésus, l’homme-Dieu qui fait escale et invite au large.»

On crie des «guéris-toi toi-même», comme d’autres au pied de la croix réclameront de manière cynique des «sauve-toi, toi-même.» Deux injonctions qui éjectent Dieu de sa place unique de Sauveur et nient son désir d’implication dans son projet d’alliance avec nous. Même Jésus, toujours, refusera d’être auteur de son propre salut.

Sa voix prophétique ne peut trouver d’écho à Nazareth tant que ses habitants n’ont d’autre horizon que la voie en impasse de l’entre-soi qui les mène au bord du précipice. A leur image, les grands-prêtres s’obstineront, postés sur le pinacle du Temple, à contempler le vide. Trop fiers de leur sommet, incapables d’un demi-tour de conversion pour se remettre en route. Jésus, lui, trouve un chemin parmi les hommes. L’escarpement rocheux du Golgotha pas plus que le bloc massif qui scellera la tombe ne l’enfermeront dans des voies sans issues.

Pourtant ses appels au large, au décentrage, au dépassement des limites du soi, résistent encore et buttent contre des murs d’immobilisme. Difficile de quitter la confortable cité des «on a toujours fait comme ça» pour se laisser mener par la voix intérieure de Jésus, l’homme-Dieu qui fait escale et invite au large. Ses contemporains préfèrent le voir dehors, comme la Parole évacuée sitôt entendue de peur qu’elle ne les touche.

En évitant le piège du gouffre et en passant son chemin, Jésus leur donne et nous donne toujours une chance de s’inviter encore et de guérir nos cœurs en transformant notre regard.

Didier Berret | Vendredi 28 janvier 2022


Lc 4, 21-30

En ce temps-là,
dans la synagogue de Nazareth,
après la lecture du livre d’Isaïe,
    Jésus déclara :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture
que vous venez d’entendre »
    Tous lui rendaient témoignage
et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche.
Ils se disaient :
« N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
    Mais il leur dit :
« Sûrement vous allez me citer le dicton :
›Médecin, guéris-toi toi-même’,
et me dire :  
›Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm :
fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !’ »
    Puis il ajouta :
« Amen, je vous le dis :
aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays..
    En vérité, je vous le dis :
Au temps du prophète Élie,
lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie,
et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre,
il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
    pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles,
mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon,
chez une veuve étrangère.
    Au temps du prophète Élisée,
il y avait beaucoup de lépreux en Israël ;
et aucun d’eux n’a été purifié,
mais bien Naaman le Syrien. »

    À ces mots, dans la synagogue,
tous devinrent furieux.
    Ils se levèrent,
poussèrent Jésus hors de la ville,
et le menèrent jusqu’à un escarpement
de la colline où leur ville est construite,
pour le précipiter en bas.
    Mais lui, passant au milieu d’eux,
allait son chemin.

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