Gerard Francisco Timoner est né le 26 janvier 1968, à Daet, aux Philippines. Il a été nommé maître de l’ordre des Prêcheurs, plus connu sous le nom d’ordre dominicain, le 13 juillet 2019. Il a succédé au Frère Bruno Cadoré. cath.ch a rencontré le souriant religieux philippin le 15 janvier 2022 au couvent Saint-Hyacinthe, à Fribourg.
Est-ce la première fois que vous venez en Suisse?
Gerard Timoner: Non, je suis déjà venu peu de temps après mon élection en tant que maître de l’ordre. J’étais allé notamment à Genève, visiter la mission auprès de l’ONU, et à Fribourg.
Quel est le principal motif de votre venue?
Il s’agit d’une visite canonique, traditionnelle, aux communautés dominicaines du monde entier. Je suis censé visiter les communautés au moins deux fois durant mon mandat de neuf ans. Je n’ai pas pu le faire ces deux dernières années à cause de la situation sanitaire.
Il est nécessaire pour le maître de l’ordre de rencontrer ses confrères, afin de constater les beaux fruits que Dieu engendre dans les communautés. En ce sens, ces visites sont des pèlerinages. Il s’agit aussi de se consulter et de discerner sur l’avenir de certaines communautés. Mon rôle est de les accompagner dans leur évolution.
Quelles sont vos impressions de l’ordre, de l’Église en Suisse?
Je ne suis en Suisse que depuis quelques jours et j’ai surtout vu les Frères et les Sœurs de la Province. Je ne connais pas assez la situation de l’Église ici pour avoir un avis, même si j’ai fait une très bonne rencontre avec Mgr Charles Morerod (ndlr. évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, lui aussi dominicain).
«Ce n’est pas le nombre qui est important, mais la force de la grâce.»
A mon sens, la situation en Suisse et la même que dans beaucoup de pays d’Europe et d’Occident. Il y a un vieillissement des membres, une baisse des vocations. Mes impressions ne sont cependant pas négatives. Car c’est une erreur d’être focalisé sur le nombre. Ce que je peux voir ici, comme ailleurs en Europe, c’est que des jeunes, autant des garçons que des filles, continuent à s’engager, et que l’ordre dominicain continue à propager l’Évangile avec ferveur. Ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Et cette dernière est bien présente. Je vois donc de nombreux signes d’espoir en Occident.
Comment se porte l’ordre dominicain dans le monde?
L’ordre des Prêcheurs compte actuellement plus de 5’000 membres dans le monde. Ce sont des chiffres modestes, mais tout de même réjouissants. Nous avons des vocations, mais il y aussi, comme ailleurs, un vieillissement général. Et beaucoup de Frères sont morts à cause du Covid ces deux dernières années. Je dirais qu’il y a actuellement une situation d’équilibre.
C’est très différent selon les régions et les pays. Même si, dans beaucoup d’endroits d’Europe, comme je l’ai dit, les nombres baissent, dans certains pays, comme la Pologne, ils restent plutôt élevés.
Beaucoup de vocations sont enregistrées en Asie, notamment dans mon pays, aux Philippines, mais aussi au Vietnam et en Indonésie. Elles augmentent aussi en Afrique, notamment en Algérie. Il y a également un taux réjouissant de vocations en Amérique latine. Cela correspond en fait aux tendances de l’Église en général.
Je répète toutefois que ce n’est pas le nombre qui est important, mais la force de la grâce.
Mais qu’est-ce qui fait que les vocations sont plus nombreuses dans les pays que vous venez de citer?
On peut dire, bien sûr, que la sécularisation, dans ces pays, même si elle existe, est moins forte qu’en Occident.
Un facteur est peut-être aussi la taille des familles, qui sont bien plus importantes dans les pays du Sud et aussi aux Philippines. La tradition y perdure que l’un des enfants se lance dans une carrière religieuse.
Il est vrai aussi qu’en Occident, la transmission de la foi s’est beaucoup perdue. Les parents n’envoient plus leurs enfants à l’Eglise et les jeunes doivent trouver la foi tout seuls. Les parents veulent que leurs enfants décident par eux-mêmes. Mais les parents et les grands-parents sont les premiers «prêcheurs» de la foi. Comment les enfants peuvent-ils connaître l’Église sans cela?
Je crois cependant qu’il y a des avantages pour une Église locale de devenir minoritaire, comme c’est le cas à présent en Europe occidentale. C’est après tout ce qu’était l’Église des premiers temps. Et cela lui donnait assurément beaucoup de force.
Vous êtes le premier Philippin, le premier Asiatique, et à vrai dire le premier représentant d’un pays du Sud, à diriger l’ordre des Prêcheurs. Pensez-vous que cela puisse apporter quelque chose de spécifique à l’ordre?
C’est tout d’abord le signe que l’ordre dominicain embrasse la diversité des peuples et des cultures. Par son extension dans le monde entier, il représente pleinement l’Église universelle.
«Ce sens de la communion peut certainement être une inspiration pour un monde et une société où l’individualisme et le sectarisme prennent de plus en plus de place»
Je viens en outre d’une société où le sens de la communauté et de la famille est toujours fort. C’est une dimension qui résonne en moi.
Et c’est aussi essentiel pour les dominicains…
Absolument. Selon la Constitution dominicaine, l’ordre, en tant que société religieuse, a comme missions principales la prédication de l’Évangile et la communion fraternelle. Pour moi, la fraternité fait partie de l’ADN des dominicains. Elle est au service de la mission de prédication. Donc les deux «piliers» de l’ordre sont liés.
Ce sens de la communion peut certainement être une inspiration pour un monde et une société où l’individualisme et le sectarisme prennent de plus en plus de place.
Nous venons de contextes et de cultures très différents, nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout. Mais toujours nous restons frères. L’encyclique du pape Fratelli tutti (2020) est l’un des ouvrages du pape les plus concernants pour les Prêcheurs.
La vérité, qui est également une valeur au cœur de l’ordre, peut être un apport pour un monde où les Fake News envahissent le débat public.
Le Synode sur la synodalité, lancé par le pape en octobre 2021, vous parle alors sans doute particulièrement…
Evidemment. Le pontife a souligné dans sa lettre à l’Ordre des Prêcheurs, en mai 2021, à l’occasion des 800 ans de la mort de son fondateur, saint Dominique Guzman, la pertinence de son système de gouvernance, fondamentalement communautaire et synodal. Il ne parle pas d’un fonctionnement «démocratique», un terme qui relève de la politique. Ce n’est pas la domination de la majorité. Il y a une recherche de consensus. Et tout cela sous la guidance de l’Esprit Saint. C’est donc tout autre chose qu’un parlement.
Je pense que ce mode de discernement synodal peut grandement profiter à l’Église et même à la société actuelle. Il montre que l’on peut avoir des convictions, des points de vue différents, sans pour autant que cela ne débouche sur le conflit et la division. Car finalement ce ne sont pas seulement les dominicains qui sont frères, mais tous les hommes. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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