20 ans après Spotlight, l’Eglise est-elle plus sûre pour les enfants?

En janvier 2002, le journal Boston Globe révélait l’ampleur des abus sexuels et de leur dissimulation dans l’Eglise au Massachusetts. L’affaire inaugurait deux décennies de scandale et de crise pour l’institution, aux Etats-Unis et dans le monde. Une responsable de la démarche de prévention des évêques américains fait le point sur la situation actuelle.

Le 6 janvier 2002, le Boston Globe publiait le premier article issu d’une vaste enquête, aujourd’hui entrée dans l’histoire, menée par l’équipe d’investigation journalistique «Spotlight». Le papier s’intitulait L’Eglise a laissé un prêtre abuseur sévir pendant des années (Church allowed abuse by priest for years). Les articles qui ont suivi ont dénoncé quatre autres prêtres ayant commis des abus pendant des décennies.

Le Boston Globe avait découvert qu’au lieu de retirer ces délinquants de la prêtrise, les autorités ecclésiastiques locales s’étaient contentées de les transférer dans d’autres paroisses. Ils n’avaient été soumis à aucune surveillance ni évaluation psychologique et ont pu continuer, à leur nouveau poste, à agresser sexuellement des mineurs.

La boîte de Pandore

Les parents ayant signalé que leurs enfants avaient été abusés étaient traités par l’Église comme si le problème venait d’eux, et non des prêtres prédateurs. Il a été démontré que des responsables de l’Église ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour éviter le scandale et préserver la confiance du public dans l’institution.

Le travail d’investigation des journalistes bostoniens a été retracé en 2015 dans le film Spotlight. Ces révélations ont profondément choqué les catholiques de la région et du monde entier. Elles ont aussi durablement écorné l’image de l’Eglise dans le monde.

L’onde de choc a aussi provoqué une véritable libération de la parole au niveau mondial. Les enquêtes se sont multipliées, mettant à jour des chiffres d’abus insoupçonnés, augmentant encore le mouvement général d’indignation. Dans un des derniers scandales en date, le rapport Sauvé rendait publiques, en octobre 2021, des estimations selon lesquelles plus de 300’000 personnes avaient pu être abusées dans un contexte ecclésial en France depuis les années 1950.

Aux Etats-Unis, des cas d’abus sont ressortis dans presque tous les diocèses du pays. Les procédures juridiques ont souvent gravement atteint les finances des diocèses, en poussant même certains à la faillite.

Kathleen McChesney a travaillé comme enquêtrice pour le FBI | © fbi.gov

La réponse des évêques

Les événements de Boston ont suscité une réaction sans précédent de la part des évêques américains, souligne Kathleen McChesney dans une chronique publiée par le magazine jésuite America du 5 janvier 2022.

Cette ancienne agente du FBI a été l’une des chevilles ouvrières de la réponse de l’Eglise. Elle a en particulier été choisie par la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (USCCB) pour diriger leur Bureau pour la protection de l’enfance, créé en 2002.

La même année, les évêques américains ont adopté la Charte pour la protection des enfants et des jeunes, communément appelée Charte de Dallas. Le document a mis en place des normes pour répondre aux personnes abusées, prévenir les agressions et établir la responsabilité des contrevenants. Il assurait aussi une transparence sur les allégations d’abus et la situation des prêtres retirés du ministère.

Les évêques ont également créé un Conseil national de révision composé de professionnels rémunérés, chargé de fournir des conseils sur les questions liées aux abus.

L’USCCB a également demandé à Kathleen McChesney de diriger la mise en œuvre de la Charte dans l’ensemble des États-Unis. «Des centaines de femmes et d’hommes, laïcs et religieux, ont commencé à travailler ensemble pour créer des environnements sûrs au sein des différents ministères de l’Eglise et tenter de garantir qu’aucun autre mineur ou adulte vulnérable ne soit abusé à l’avenir».

Résultats encourageants

«La Charte n’était cependant pas une solution miracle, tempère l’ancienne responsable du FBI. Elle n’a pas effacé la douleur et les cicatrices des hommes et des femmes abusés. Elle n’a pas apporté de réconfort à ceux qui avaient signalé leur abus à un adulte de confiance, même un parent ou un représentant de l’église, et qui n’avaient pas été pris au sérieux».

«L’Eglise ne doit pas baisser la garde et maintenir l’objectif ‘zéro cas'»

Kathleen McChesney

Les programmes de la Charte ne pouvaient pas non plus reconstruire la confiance dans l’Eglise sans un effort sincère et continu de chaque évêque pour tendre la main aux victimes.

Depuis 2002, les abus sexuels commis par des prêtres sont des phénomènes bien mieux connus, notamment grâce aux études menées par le John Jay College of Criminal Justice (New York). Ces recherches, effectuées dans le cadre de la Charte, sont devenues une ressource précieuse pour la prévention des abus sexuels au sein de l’Eglise, mais aussi dans d’autres organisations fréquentées par des jeunes et des personnes vulnérables aux Etats-Unis.

Objectif «zéro cas»

Mais l’Eglise américaine est-elle pour autant aujourd’hui un lieu plus sûr pour les enfants? Pour Kathleen McChesney, la réponse est «oui». Comme le révèlent les enquêtes du Center for Applied Research in the Apostolate et d’autres sources crédibles, les cas signalés d’abus sur mineurs par des prêtres ont considérablement diminué depuis 2002.

Les programmes contenus dans la Charte, tels que le dépistage obligatoire des candidats à l’ordination, la formation à la sensibilisation aux abus et le retrait du ministère des hommes n’ayant commis ne serait-ce qu’un seul acte litigieux, semblent avoir été particulièrement efficaces.

L’ancien cardinal Theodore McCarrick a abusé de personnes mineures et majeures | © flickr/usipeace/CC BY-NC 2.0

Pour la directrice du Bureau pour la protection de l’enfance, l’Eglise ne doit cependant pas baisser la garde et doit maintenir l’objectif «zéro cas».

Pour Kathleen McChesney, le combat contre les abus ne doit pas non plus se limiter à la protection des enfants. «L’Église a-t-elle pleinement abordé les problèmes liés aux membres du clergé et aux laïcs, y compris les éducateurs, qui abusent ou exploitent de toute autre manière des adultes vulnérables, des séminaristes, des personnes conseillées, des directeurs spirituels et des étudiants?» Dans ce cas, pour la responsable d’Eglise, la réponse est «pas encore».

Le Vatican en renfort

Le problème a pourtant été soulevé aux Etats-Unis par l’affaire McCarrick, qui a éclaté en 2018. L’ancien cardinal et archevêque de Washington, renvoyé de l’état clérical en 2019, a été convaincu d’agressions sexuelles sur des séminaristes, dont certains étaient mineurs au moment des faits, mais d’autres majeurs. Son procès civil doit débuter le 3 mars 2022. L’ex-prélat avait clairement utilisé sa position d’autorité institutionnelle, morale et spirituelle pour arriver à ses fins.

Kathleen McChesney salue le renfort venu de Rome, sur cette question, par l’intermédiaire du motu proprio du pape François Vos estis lux mundi, en 2019. Le document, qui établit des normes pour lutter contre les abus sexuels, rend notamment attentif aux situations où des personnes adultes pourraient se retrouver en situation de vulnérabilité, dans un contexte pastoral.

Pour Kathleen McChesney, l’épiscopat américain doit prendre pleinement la mesure de ces risques afin de faire de l’Eglise un endroit totalement sûr. Elle relève que «placer la barre plus bas» serait une «forme de mépris» pour les milliers de victimes, de tous âges, du pays. (cath.ch/america/arch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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