Raphaël Rauch, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie?
Ivan Machuzhak: Les sujets dont on parle en public autour de ce conflit ne reflètent pas la réalité des faits. Il ne s’agit pas de la discrimination de la minorité russe en Ukraine. Il ne s’agit pas des conflits intra-ukrainiens entre l’ouest et l’est du pays. Et il ne s’agit pas non plus des personnes qui y vivent.
Mais alors?
Il s’agit uniquement des intérêts de la minorité conduite par Poutine, à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie. Ces gens créent de nouveaux faits pour assurer leur pouvoir et font fi des valeurs de la démocratie et de la société libre.
«Les affaires avec la soi-disant élite politique russe sont florissantes».
Le débat médiatique se résume généralement à: Poutine contre l’Occident. Pourquoi est-ce trop réducteur de votre point de vue ?
L’Occident n’est pas du tout contre Poutine, loin de là. Il est facile de vivre avec Poutine: les affaires avec la soi-disant élite politique russe sont florissantes. Les investisseurs russes sont depuis longtemps devenus fréquentables sur le marché occidental. Le gazoduc et d’autres moyens de transport amènent les sources d’énergie et les marchandises dans les entreprises et les ménages des nations industrielles occidentales. Nous en profitons tous, avec toutes les conséquences que cela implique. Les gens ordinaires en Russie restent sur le carreau. Et les personnes qui s’opposent au régime de Poutine, comme Politkovskaya ou Navalny, sont mises à l’écart.
Pourquoi la paix n’est-elle pas en vue?
Poutine et son entourage ont pratiquement éliminé toute l’opposition et toutes les ONG en Russie. Cela réduit à néant la perspective d’une nouvelle direction politique en Russie dans un avenir proche.
Qu’est-ce qui aiderait concrètement les populations sur place?
Notre aide peut consister à prêter notre voix à l’opposition; à exiger de notre économie qu’elle agisse de manière responsable avec les entreprises russes, qu’elle ne place pas le profit en premier, mais la volonté de coopérer, indépendamment de la proximité avec le régime de Poutine. Que dans toutes les relations politiques et économiques, les critères de la démocratie ne constituent pas seulement un objectif lointain, mais une condition de base.
Comment percevez-vous le rôle de l’Église catholique ?
Dès le début du conflit, l’Église catholique s’est rangée du côté des soldats, de leurs familles et de toute la population touchée par les combats. En Crimée, les prêtres sont restés auprès des gens malgré les intimidations initiales. Dans les régions occupées par les séparatistes, les bureaux paroissiaux et les structures ont d’abord été détruits. Par la suite, les prêtres sont retournés auprès des gens et les nouvelles autorités ne s’y opposent pas de manière offensive. Ainsi, l’Eglise peut faire ressentir aux gens quelque chose de leur patrie habituelle dans les conditions difficiles de la pandémie et de la séparation. Sur la ligne de front, les soldats de l’armée ukrainienne sont pris en charge par la structure de l’aumônerie militaire mise en place entre-temps. De nombreux prêtres se portent volontaires pour ce service aux soldats qui n’est pas sans danger.
Et quel est le rôle de l’Église orthodoxe ?
L’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou a d’abord été du côté de l’agresseur, puis, à mon avis, son rôle et aussi son importance se sont estompés. L’orthodoxie ukrainienne s’est clairement rangée du côté des patriotes de l’Ukraine. Cette position est restée inchangée. L’État a reconnu le rôle de l’Église dans l’encadrement des soldats et des personnes touchées par la guerre. Une infrastructure ecclésiastique d’aumônerie militaire a été mise en place, apportant une contribution importante sur la ligne de front.
«Les blessures de la guerre sont douloureuses».
A quoi cela correspond-il?
Dans l’ensemble, les Églises font beaucoup pour accompagner les soldats, leurs familles et toutes les personnes touchées par la guerre, comme le travail de deuil ou les programmes de réhabilitation pour les personnes souffrant de stress post-traumatique. Les blessures de la guerre n’en restent pas moins douloureuses.
Comment voyez-vous la situation en parlant avec des personnes d’Ukraine et de Russie en Suisse ?
L’évidence du lendemain n’est plus ce qu’elle était avant la guerre. Mais l’évidence du choix de la voie pro-occidentale du pays est plus certaine que jamais, quelle que soit la partie de l’Ukraine d’où viennent les gens. Les Russes se taisent sur cette question, non par conviction, mais par peur. Même face aux menaces actuelles de Poutine, la détermination à défendre le pays et le choix démocratique est perceptible chez chacun et partout. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)
*Ivan Machuzhak (51 ans) est prêtre de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, rattachée à Rome. Cette Église particulière célèbre la liturgie selon le rite byzantin et connaît un clergé marié. Elle rassemble un peu plus de 8% de la population (près de 30% à l’ouest du pays). Ivan Machuzhak travaille comme prêtre et aumônier à la clinique psychiatrique de Zurich et Rheinau.
Rédaction
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