Les événements préoccupants du Kazakhstan, selon le missionnaire joint par I.MEDIA, compromettent l’hypothèse d’une prochaine visite du pape. Il faut que le pays retrouve l’harmonie sociale « à travers le dialogue, la justice et le bien commun», a souhaité le pontife dimanche dernier. Pour le Père Pierre Dumoulin, le pape a eu «raison d’en appeler à la justice». Le grand territoire de steppes vit en effet une profonde injustice sociale : ses réserves très riches de matières premières comme le pétrole et le gaz, ou encore le cuivre, le manganèse, l’uranium, sont confisquées depuis des années au profit de quelques clans d’une «mafia officielle» qui s’enrichit aux dépends d’une population restée dans la misère.
Ces clans fortunés d’origine kazakhe qui maintiennent le pouvoir en place, analyse le prêtre russophone qui a vécu de longues années dans le pays, étaient jusqu’ici confrontés à une majorité silencieuse d’immigrés – Polonais, Ukrainiens, Allemands, Russes. Mais ces dernières décennies, le paysage a changé: dans la région de la Caspienne, où les Kazakhs représentent désormais la majorité de la population, la révolte sourdait parmi les travailleurs et les classes paysannes réfugiées en ville.
Le développement profitait surtout à une poignée de nantis. Dernièrement, l’augmentation du prix du gaz, avec une hausse des coûts en cascade, a mis le feu aux poudres. «C’est terrible, analyse le Père Dumoulin, qu’un pays en vienne à priver ses propres enfants en vendant ses biens à l’extérieur pour que quelques-uns s’enrichissent à l’intérieur». «Dans les aéroports, confie-t-il encore, je suis souvent choqué de voir la richesse et l’arrogance de certains «nouveaux riches», alors que le peuple des villages est opprimé financièrement.»
Mais derrière ces émeutes, c’est l’ombre du fondamentalisme que le gouvernement kazakh redoute par-dessus tout. L’ancienne République soviétique à la population musulmane – 70% – se targue de représenter en Asie centrale un élément de stabilité. L’islam y est modéré car il s’y est implanté en douceur, «en intégrant les religiosités populaires», note le Père Dumoulin.
Depuis le Moyen-Orient non loin peuvent poindre «des tentatives de radicaliser l’islam du Kazakhstan». «Il est possible que certains Etats islamistes fédèrent les insurrections» en s’appuyant notamment sur les réseaux sociaux, estime l’enseignant en théologie.
Selon l’observateur aguerri, se profile le scénario d’un régime dictatorial qui tend à devenir de plus en plus totalitaire pour éviter le fondamentalisme, en risquant paradoxalement de relancer les forces islamistes et les luttes internes.
Le Père Dumoulin s’inquiète alors pour l’avenir de la petite Église du Kazakhstan, qui représente 2 à 2,5% de la population. Bien qu’elle fasse partie des «forces de stabilité» et qu’elle soit fidèle au régime – qui s’appuie sur elle dans sa lutte contre l’intégrisme – cette Église paierait aussi les conséquences d’un durcissement religieux.
Le Kazakhstan était l’une des possibles destinations du pape François cette année: lors de sa visite au Vatican 6 novembre 2021, Maulen Ashinbayev, le président du Sénat kazakh, a transmis au chef de l’Église catholique une invitation officielle au Congrès des leaders des religions traditionnelles qui aura lieu en octobre 2022 dans la capitale Noursultan (ex-Astana).
Mais dans ce contexte, un tel voyage semble vraiment compromis : ce pourrait être considéré comme »une utilisation» du pape, souligne le Père Dumoulin. En outre, la sécurité du pontife serait difficilement assurée par le président Kassym-Jomart Tokaïev, qui ne jouit pas de la notoriété de son prédécesseur, Noursoultan Nazarbaïev, parmi la population.
Alors que le gouvernement a procédé à 8’000 arrestations, pour qu’un projet de visite apostolique se concrétise, il faudrait d’abord que le pays retrouve la paix, «qui ne peut être que le fruit de la justice», conclut le Père Dumoulin. (cath.ch/imedia/ak/mp)
I.MEDIA
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