Anne-Françoise Weber pour cath.ch
«Nous avons un trésor dans notre vie monastique; la difficulté pour nous aujourd’hui est comment le transmettre aux jeunes qui eux, ont beaucoup de mal à s’arrêter», explique la prieure Sœur Marie, d’origine franco-suisse, architecte de formation arrivée à Jérusalem il y a deux ans. Avec Sœur Marie-Bénédicte, Française qui vit dans la Ville sainte depuis plus de 20 ans, elle voudrait partager la richesse de leur monastère, avec des personnes à la recherche d’un lieu de contemplation, près des sites de la passion et de l’ascension de Jésus. «Nous avons beaucoup d’atouts ici, mais pas beaucoup de sœurs. Mais ça va venir!», renchérit, l’économe de la communauté.
L’idée est donc d’accueillir, à l’abri de grands murs, des groupes de pèlerins pour un moment de contemplation tôt le matin, avant qu’ils ne descendent du Mont des Oliviers découvrir la Via dolorosa, l’église du Saint-Sépulcre et les autres trésors de la vieille ville. «Ils pourraient aussi revenir ici tout à la fin de leur pèlerinage, comme c’est le lieu de l’ascension de Jésus», complète Sœur Marie. «Ici, Jésus dit: ›Et maintenant, partez.’ Ça serait un moment de récolte.»
Autour d’une table, les deux religieuses se penchent sur les plans du monastère dans lequel elles se trouvent, celui des Sœurs de Notre-Dame du Calvaire sur le Mont des Oliviers à Jérusalem. Une troisième femme, Lisa Sedlmayr, une théologienne protestante originaire d’Allemagne est venue les aider à penser l’avenir de leur communauté. Car derrière les discussions sur telle ou telle affectation à envisager pour chacune des pièces de la grande bâtisse érigée fin du 19e siècle, se cache bien un changement de fond.
Lisa Sedlmayr, qui a déjà travaillé avec des groupes de pèlerins, observe une demande croissante dans ce domaine: «Souvent, les pèlerins disent à la fin de leur voyage qu’ils n’étaient pas assez bien préparés à tout ce qu’ils allaient vivre, et qu’il leur manquait un moment pour réfléchir à leur expérience.»
Ce qui importe à la prieure surtout, c’est de contrecarrer le tourisme de pèlerinage: «Il faut qu’on apprenne aux pèlerins à dire: On fait moins, on fait plus lentement, et peut-être plus en profondeur. En ayant conscience que plus on voudra faire vite, plus on détruit le pays. Et on n’a pas le droit de détruire une Terre sainte», lance Sœur Marie, récemment réélue prieure présidente de sa congrégation.
Le nom pour le projet est trouvé lors d’une autre séance de travail des deux sœurs avec leur soutien infaillible et bénévole Lisa Sedlmayr: Vacare Deo. «Une phrase qui court dans les monastères, c’est de dire, quand on part faire une retraite: je prends des vacances avec ou pour Dieu. Et un pèlerinage, c’est quand même des vacances, mais des vacances un peu autrement», explique Sœur Marie. «On prend du temps et on offre du temps à nous et à Dieu.»
Pour Lisa Sedlmayr, la particularité du projet est qu’il pourra rapprocher trois groupes différents: les moniales qui ont leur expérience de la contemplation à partager, les pèlerins qui pourront profiter de ce lieu particulier pour vivre leur pèlerinage autrement, et la communauté palestinienne locale. Celle-ci pourra fabriquer des produits du terroir qui seront commercialisés dans le petit magasin du monastère.
Et en tant qu’enseignante dans un institut universitaire à Bethléem, Lisa Sedlmayr a constaté que beaucoup de jeunes femmes palestiniennes sont déboussolées, entre les exigences de leur famille et celles du marché de travail. «Faire un pas en arrière et créer de la place dans son intérieur pour une réflexion spirituelle, cela peut être très intéressant pour ces jeunes femmes», dit-elle.
Reste à savoir comment une communauté constituée actuellement de quatre sœurs sur place – la congrégation ne compte en tout que 30 sœurs, dont la plupart se trouvent dans les trois communautés en France -, va réussir à relever le défi de cette transformation. Pour la prieure, une chose est primordiale, surtout à l’égard des deux sœurs octogénaires qui vivent au monastère: «On ne peut pas faire une rupture de vie ici. Il faut maintenir une vie régulière, bonne, et en même temps dynamisante, qui puisse appeler des jeunes femmes ou des Bénédictines d’ailleurs en disant: Ah, il y a quelque chose qui est un peu nouveau.»
Les sœurs souhaitent donc procéder en deux phases: elles visent un grand projet de rénovation notamment des locaux de l’ancien orphelinat, à l’origine de l’implantation de la communauté à Jérusalem il y a 125 ans. Cela nécessitera plusieurs années de travaux et doit débuter par la recherche d’un financement. En même temps, les sœurs pourront poursuivre les petits projets qui sont déjà établis ou qui se dessinent à l’horizon, impliquant des personnes présentes dans le pays avec lesquelles de belles relations se sont déjà tissées.
Car bien que vivant en clôture et se destinant surtout à la contemplation, les moniales ont toujours ouvert leurs portes et leur belle église à des publics différents. Pendant des années, le monastère accueillait des groupes qui venaient écouter Sœur Marie-Paule, iconographe reconnue qui a également décoré l’église et l’oratoire du monastère de ses icônes multicolores. Depuis son décès en 2019, c’est Sœur Marie-Bénédicte qui a pris la relève, après avoir assisté Sœur Marie-Paule pendant des années dans l’écriture des icônes. L’accueil et le travail accompli avec ces groupes sert un peu de modèle pour les rencontres qu’elles espèrent vivre avec d’autres invités.
«Dans le jardin, nous pouvons tout d’abord enlever ces grillages-là», indique Sœur Marie en montrant sur le plan une zone du grand jardin. La visite des lieux le prouve: une fois l’opération effectuée, il ne restera qu’à installer quelques sièges près des oliviers centenaires, des buissons de romarin et de lavande au parfum délicat. Un premier lieu de contemplation avec une vue magnifique sur la vieille ville de Jérusalem serait né.
Au loin, on distingue le Mont du Temple, et le soleil hivernal fait briller la coupole dorée du dôme du Rocher. Le silence règne, interrompu quelquefois par le son des cloches de l’église du monastère ou l’appel à la prière s’élevant d’une mosquée voisine.
Des femmes juives ont déjà découvert ce bel endroit – elles viennent régulièrement donner un coup de main au jardin. «Et l’une d’entre elles a dit un jour en balayant la terrasse: ›On touche Dieu en regardant Jérusalem.’ C’est magnifique», se réjouit Sœur Marie-Bénédicte.
En attendant de finir l’élaboration de leur grand projet, les sœurs proposent quelques premières occasions d’expérimenter le Vacare Deo – une lecture entre juifs et chrétiens du livre biblique de Ruth en janvier, une halte spirituelle en avril, une retraite-pèlerinage en juillet. Pour des publics différents, mais qui se retrouveront peut-être un jour. Le but ultime, c’est chercher la paix ensemble, la vivre», résume Sœur Marie. «Et si on a des Palestiniens, des juifs, des chrétiens ensemble en contemplation, c’est merveilleux. Après, Dieu fera ce qu’il voudra.» (cath.ch/afw/bh)
Rédaction
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