Horrifique veille de Noël en Birmanie. Le 24 décembre 2021, près de quarante civils sont tués, puis brûlés par les soldats de la junte dans le village de Mo So, dans l’État à majorité chrétienne de Kayah, à l’est du pays. Les victimes, parmi lesquelles se trouvaient des enfants, s’apprêtaient à célébrer la Nativité du Christ.
Deux employés de l’ONG britannique Save The Children, qui étaient dans la localité au moment de l’attaque, sont toujours portés disparus.
Un épisode qui illustre la fuite en avant dans la violence extrême du régime birman. La répression tous azimuts mise sur la terreur pour mater les forces qui se sont soulevées suite au coup d’Etat du 1er février 2021. La ministre Aung San Suu Kyi, garante du pouvoir civil, était alors arrêtée, accusée notamment de fraude électorale lors des élections de novembre 2020.
Après avoir écrasé les mouvements de protestation dans les grandes villes dans les premiers mois, les militaires se sont concentrés sur les soulèvements dans l’arrière-pays. La stratégie de l’armée s’apparente maintenant à celle de la «terre brûlée», note l’Associated Press (AP) qui a enquêté sur place. Les soldats attaquent des villages entiers dans des opérations «punitives» très brutales. Ils mettent le feu aux maisons, enlèvent les jeunes garçons, tuent des habitants et les travailleurs humanitaires qu’ils trouvent.
D’après le Groupe de soutien pour les prisonniers politiques (Association for Political Prisoners Advocacy Group), plus de 1’300 personnes ont été tuées par les forces de sécurité birmanes et 11’000 arrêtées depuis le début du conflit civil.
Une intensification de la répression qui touche principalement les minorités ethniques et religieuses. Les musulmans rohingyas, mais aussi les communautés majoritairement chrétiennes du nord et de l’est du pays sont spécialement ciblées.
Les forces armées du Myanmar sont composées principalement de membres de l’ethnie des Bamas. Aussi appelés «Birmans», ils composent plus de 70% de la population. Parmi les quelque 130 autres ethnies minoritaires, on trouve des communautés dites «montagnardes»: Karen, Kachin, Shan, Chin et Kayah (ou «Karenni»), qui sont elles-mêmes divisées en plusieurs groupes partageant des traditions et une langue commune. Alors que les Birmans et les Shan ont conservé la religion bouddhiste, les Karen, Chin, Katchin et Kayah ont été évangélisés en grand nombre par les missionnaires catholiques au 18e siècle, puis par les baptistes britanniques au 19e.
«Le naturel autoritaire des généraux est tout simplement revenu au galop»
Les affrontements entre groupes majoritairement chrétiens et bouddhistes durent depuis des décennies, au Myanmar. Des milices telles que l’Armée Karen de libération nationale luttent pour l’indépendance de leur région. Suite à la démocratisation du pays, amorcée à partir de 2010, le conflit avec le pouvoir central avait quelque peu marqué le pas. Les violences ont cependant repris de plus belle depuis le coup d’Etat.
Si la répression touche toujours durement les provinces du nord et de l’est, en particulier, elle se développe de moins en moins sur des bases ethniques. L’AP relève en effet que les militaires utilisent à présent les mêmes méthodes de terreur contre des personnes et des villages appartenant à leur propre majorité ethnique bouddhiste.
Cette escalade de la violence est un réveil amer après une décennie marquée par de grands espoirs de démocratisation et de paix en Birmanie. Une ère à laquelle le pape François avait apporté son sceau en visitant le pays fin 2017. Suite à ce voyage, plusieurs responsables avaient parlé de l’héritage de paix et de concorde laissé par le pontife.
Olivier Guillard, spécialiste de la politique asiatique, assurait à l’époque à cath.ch, que la visite de François aiderait le processus de démocratisation. Le pays vivait à ce moment-là une période cruciale de son histoire. La crise dans l’État de l’Arakan semblait se terminer et le pouvoir de Naypyidaw (la capitale) devait redéfinir les relations avec les minorités ethniques. Le gouvernement était également en train d’œuvrer pour améliorer son intégration au sein de la communauté internationale. Le géopolitologue soulignait le pragmatisme des généraux birmans.
Mais, au final, ni les ondes positives envoyées par le pape, ni les pressions internationales n’ont pu éviter que les militaires reprennent brutalement le pouvoir.
Que s’est-il passé? Pour beaucoup d’analystes, le naturel autoritaire des généraux, et spécialement de Min Aung Hlaing – le nouvel homme fort du pays – est tout simplement revenu au galop. «Min Aung Hlaing est un dictateur. Il l’a toujours été», remarque David Mathieson, un analyste politique indépendant cité par le média américain CNN.
Le fait est que le pouvoir d’Aung San Suu Kyi avait toujours été largement «cosmétique». «Rien ne peut se faire dans ce pays sans les militaires, qui tirent pratiquement toutes les ficelles», notait Olivier Guillard.
Tant qu’ils pouvaient diriger les choses en sous-main, avec une vitrine de respectabilité, la situation leur convenait. La donne a cependant changé avec les élections législatives de novembre 2020. La Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, avait alors remporté une victoire écrasante et donc largement augmenté sa légitimité. Des signes montraient également que la Prix Nobel de la paix était de moins en moins encline à se plier à la volonté des militaires.
«Les chrétiens du pays se sont retrouvés dans une situation délicate»
Pour ne pas risquer de perdre définitivement leurs pouvoirs et leurs prérogatives, la junte a donc imposé une solution radicale. Le peuple birman, accoutumé à la démocratie depuis une dizaine d’années, s’est cependant vite mobilisé contre le retour de la dictature. Dans les grandes villes, de larges manifestations sont apparues, très rapidement réprimées par les forces de l’ordre.
Face à la nouvelle donne, les chrétiens du pays se sont retrouvés dans une situation délicate. Déchirés entre le devoir de défendre les droits du peuple et de ne pas attiser la méfiance contre leur minorité. Quelques jours après le putsch, les évêques catholiques du pays ont demandé la libération d’Aung San Suu Kyi et apporté leur soutien aux manifestants. Ils ont néanmoins incité les catholiques à la prudence. La Conférence épiscopale publiait une directive selon laquelle les représentants catholiques pouvaient certes exprimer leur soutien aux citoyens birmans, mais sans utiliser des signes distinctifs de leur appartenance religieuse.
Lors des troubles, une religieuse catholique, Sœur Ann Nu Thawng, était descendue dans les rues de la ville de Myitkyina, la capitale de l’État de Kachin, au nord du pays. Elle s’était interposée entre les forces de sécurité et les manifestants. Une action qui l’avait élevée au statut de modèle de la contestation pacifique au Myanmar.
Moins consensuelle est l’attitude des hautes autorités catholiques de la nation, en particulier du cardinal Charles Maung Bo. Si le prélat avait condamné, au lendemain du coup d’Etat, le «virus de l’autoritarisme», son comportement récent a créé la polémique.
Le cardinal a notamment posté sur Twitter le 24 décembre dernier – soit le jour-même du massacre de Mo So – une photo de lui en train de découper, tout sourire, un gâteau avec le général Hlaing.
Le cardinal a condamné par la suite les violences exercées contre le peuple, parlant de l’attaque de Mo So comme d’une «atrocité horrible, qui brise le cœur». De nombreux fidèles se sont malgré cela déclarés outrés par l’attitude du prélat, associée à de la compromission. Ils ont notamment rappelé que les forces birmanes ciblaient systématiquement les chrétiens et les églises dans plusieurs parties du pays.
Le cardinal Bo ne s’est pas expliqué sur les raisons de sa rencontre cordiale avec le général Hlaing. S’est-il innocemment laissé instrumentalisé par une junte voulant afficher son «souci» des minorités? A-t-il choisi la politique du moindre mal, acceptant de «jouer le jeu» afin de maintenir le dialogue et d’empêcher une répression encore plus sanglante, notamment des chrétiens?
Comme nombre d’adeptes du Christ également dans d’autres pays d’Asie, il a dû assidument travailler l’art de «naviguer entre les récifs». Peut-être essaie-t-il simplement, dans la plus que précaire situation actuelle, de maintenir les minimums vitaux de la colombe de la paix lancée par le pape. (cath.ch/ag/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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