Et si Hildegarde de Bingen s’invitait en cuisine pour les fêtes?

Les uns la connaissent par ses écrits spirituels. Les autres grâce à ses traités musicologiques ou ses remèdes, issus des règnes animal, végétal et minéral. Chez Marie-France Delpech, Hildegarde de Bingen est entrée par la porte de la cuisine. L’autrice française dévoile les bienfaits des aliments selon la mystique médiévale et offre quelques conseils pour le menu des festivités de Noël.

Hildegarde de Bingen n’est pas qu’une mystique bénédictine du XIIème siècle, compositrice et auteure spirituel. Elle est aussi à l’origine de traités de médecine, tels que Physica (Les subtilités des créateurs divines) et Causa Curae (Les causes et les remèdes). Des connaissances sur les maladies et leurs traitements acquises à travers les visions qu’elle reçoit de «la lumière divine». Une approche de la santé à 360 degrés, qui s’intéresse autant à la dimension physique qu’à celle spirituelle, et qui invite à prendre en compte les moyens de prévention. Un par-dessus tous étant la nourriture quotidienne.

«Lorsque l’on change d’alimentation, quelque chose se transforme en profondeur: non seulement sur le plan physique, mais aussi mental et spirituel»

Mais quel sont les principes qui fondent l’alimentation prônée, il y a neuf siècles (!), par la sainte allemande? Marie-France Delpech, présidente des Jardins de Sainte Hildegarde, est l’une des pionnières en France de la redécouverte de cette sainte, devenue Docteur de l’Eglise en 2012. Elle nous fait découvrir les bienfaits de ces aliments pour le corps, l’âme et l’esprit.

Marie-France Delpech, vous venez de publier Cuisiner avec Hildegarde de Bingen (édition du Rocher), une compilation de recettes inspirées de l’enseignement de la grande mystique. Comment décrire l’approche de Sainte Hildegarde de Bingen en cuisine?
Elle a une conception holistique, c’est-à-dire globale, de l’être humain. Celle-ci a pour but de prendre pleinement en compte les différents aspects qui caractérisent notre identité d’êtres humains: le corps, certes, mais aussi l’âme et l’esprit, compris comme la pleine conscience à Dieu – à ne pas confondre avec le mental (qui a toujours un avis sur tout!).

C’est ainsi que lorsque l’on change d’alimentation, quelque chose se transforme en profondeur: non seulement sur le plan physique, mais aussi mental et, finalement, spirituel. Aujourd’hui, on a tendance à tout couper en secteurs, sa vision est circulaire. Ceci change la donne.

Comment expliquez-vous ce lien si étroit entre alimentation et dimension spirituelle chez Hildegarde de Bingen?
Quand on se porte bien, on voit d’autres choses, car on est portés par une reconnaissance profonde vis-à-vis de cette Terre, comme aussi de la Création qui nous entoure. Il n’y pas de vie spirituelle si nous ne sommes pas capables de reconnaissance. Pour sainte Hildegarde, tout se tient, tout est en mouvement, de sorte que les trois règnes du Vivant sont pris en compte dans ces écrits. Les éléments interagissent entre eux et avec nous, les humains, de sorte qu’on peut se soigner avec des pierres, des plantes (dont les propriétés entrent en contact avec certains organes), mais aussi des animaux.

«Il n’y pas de vie spirituelle si nous ne sommes pas capables de reconnaissance»

De ce point de vue, le respect de la saisonnalité des produits est capital chez elle. En hiver, par exemple, on consommera des légumes-racines et des fruits secs et gras, comme les noix ou les amandes. Au printemps, en revanche, c’est le tour des orties (un légume gratuit) et de la viande d’agneau, et ainsi de suite. L’essentiel, c’est que son enseignement prend en compte de la globalité de notre être, ainsi que les différents âges de la vie. Cette alimentation permet donc de purifier l’âme, en transformant les vices et en favorisant le développement des vertus.

Quels sont finalement les principes sur lesquels se fonde cette façon de cuisiner?
Les fondamentaux sont résumés dans l’œuvre Physica, dans laquelle Hildegarde décrit les symptômes des maladies ainsi que les remèdes offerts par les plantes et les pierres. Elle y souligne qu’il faut donner la priorité aux remèdes qui sont offerts par la nature; elle connaissait très bien les forces de guérison contenues dans la création, qu’elle nomme  «les subtilités des créatures divines». Dans ce sens, les remèdes sont indissociables de l’alimentation qui est un puissant moyen de guérison. Sans oublier de s’accorder assez de repos et de mouvement, sinon on perd en efficacité.

«Dans le placard d’une cuisinière hildegardienne ne devrait jamais manquer d’épeautre, de fenouil, de châtaignes et de noix.»

Finalement, le jeûne est aussi un remède particulièrement pertinent, il agit souvent comme une «chirurgie sans bistouri». Il n’y a pas de règle rigide: on doit s’adapter à chaque constitution individuelle. C’est pour cela que dans mon livre je présente des aliments qui conviennent à tout le monde, une sorte de liste des courses universelle.

Et qu’est-ce qui y figure?
Au cours du Moyen-Âge, sainte Hildegarde a considéré les vertus salutaires de nombreux aliments. Dans le placard d’une cuisinière hildegardienne, ne devrait jamais manquer l’épeautre, le fenouil, les châtaignes et les noix; mais aussi l’huile de chanvre, l’ail et l’oignon, la graisse de palmipèdes et le vinaigre de vin rouge. Elle évoque aussi des épices très anciennes (apportées en Europe à partir de la 1ère croisade), comme le galanga rouge en poudre, le pyrèthre d’Afrique, la muscade, la cannelle, le poivre, etc… Finalement, il ne faut pas oublier les herbes, tel que l’hysope, les serpolets, la menthe ou l’anis vert. Leurs bienfaits se situent à différents niveaux. Ce sont des ingrédients qui soignent notre corps, rendent la nourriture plus assimilable et éliminent ce que sainte Hildegarde nomme «les mauvais sucs».

«Un régime c’est pour soigner. La nourriture que nous propose Sainte Hildegarde c’est pour garder la santé.»

Ce que vous décrivez rassemble un peu à un régime. Ou faut-il le comprendre comme une «philosophie de vie» qui passe par nos assiettes?
La philosophie alimentaire hildegardienne est tout autre qu’un régime! Il s’agit, au contraire, d’une alimentation qui procure de la vitalité et favorise une meilleure digestion. C’est une approche d’avant garde qui se concentre sur les moyens de prévention plutôt que sur les facteurs de risque. C’est une «règle de vie» qui favorise un état sain et équilibré. En diététique, il y a beaucoup de modes: l’une repousse l’autre… Un régime c’est pour soigner. La nourriture que nous propose Sainte Hildegarde c’est pour garder la santé. Car c’est plus facile de la garder que de la retrouver.

Donc, selon Hildegarde, il ne s’agit pas seulement de prêter attention à ce que nous mangeons…
En effet, l’alimentation est étroitement liée à notre mode de vie. Dans ses écrits spirituels, elle décrit les vertus et les vices, ces déficiences qui entravent notre santé. Car derrière les vices, il y a des maladies et derrière les vertus, la santé. Quelqu’un qui a beaucoup de ressentiment, par exemple, est le type de personne qui va faire des ulcères d’estomac. Tant qu’il ne pardonne pas, il développera toujours une acidité gastrique. On ne pardonne pas à quelqu’un pour lui; on pardonne d’abord pour soi-même. C’est un vaste programme, mais on touche assez vite les dividendes d’un tel investissement.

«Cuisiner avec Hildegarde de Bingen», une compilation de recettes inspirées de l’enseignement de la célèbre mystique médiévale. | © www.editionsdurocher.fr/

Marie-France Delpech, vous êtes la directrice Des Jardins de Sainte Hildegarde à Coux-et-Bigaroque-Mouzens et vous cuisinez vous-même selon ces principes depuis longtemps. Comment les avez-vous découverts?
J’ai rencontré Hildegarde grâce à un livre reçu à Noël, il y a plus de 30 ans: Les recettes de la joie. Je suis du Périgord, où on aime manger et tout ce qui est nouveau en cuisine, je l’essaie bien volontiers. J’ai donc fait goûter quelques-unes de ces recettes à ma famille et tout le monde a tout de suite aimé. Ça a ouvert une porte en moi. C’est ainsi que j’ai voulu mieux connaitre ces principes alimentaires. Et je me suis plongée dans la vie de cette personnalité fascinante!

Mais comment se fait-il qu’une sainte qui a vécu au Moyen-âge inspire toujours encore au 21ème siècle?
Quand quelque chose est vrai, ce n’est pas lié à une époque où à un lieu particulier, la constitution de l’homme restant la même. Cet enseignement dénote une grande stabilité, car il révèle l’intime relation de l’être humain avec son Créateur. Pendant huit siècles, ses enseignements sont restés comme cachés, car ils n’étaient écrits qu’en latin. Et l’on avait prêté davantage d’attention aux écrits mystiques de sainte Hildegarde. C’est seulement en 1936 qu’Hugo Schulz a traduit en allemand ses écrits sur l’alimentation et la santé.
En français, il faudra même attendre jusqu’en 1988, avec la publication du volume Voilà comment Dieu guérit du docteur Hertzka.

«Si la nourriture est un don de Dieu, sa préparation reste une prière»

Adage indien

Récemment, nous avons été victimes de scandales alimentaires et de contaminations et nous souffrons souvent de maladies dites de civilisation. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les personnes cherchent de plus en plus ce qui est simple, naturel, sain, ce qui nous soigne sans le risque d’effets secondaires nocifs. C’est pour cette raison que depuis plusieurs années, on assiste à un regain d’intérêt voire de curiosité à l’égard de Sainte Hildegarde. La vraie question est de savoir si cela marche? Et une fois qu’on l’a essayé, on en comprend rapidement l’utilité pour notre santé.

En conclusion, quel «menu hildegardien» proposeriez-vous pour ces fêtes de Noël?
Comme entrée, j’ai prévu un potage de potimarron, aux châtaignes et au magret de canard séché. Ensuite, un rôti de bison à la bière, accompagné d’épeautre perlé et de châtaignes cuites dans un bouillon de légumes et arrosées du jus du même rôti, suivi d’une salade de scarole aux noix accompagnée de petits fromages de chèvre. Et pour terminer, un dessert aux noix, le «Gâteau de Babouch», une spécialité hongroise. Des recettes simples et savoureuses, inspirées par sainte Hildegarde qui aurait partagé le célèbre adage indien: «Si la nourriture est un don de Dieu, sa préparation reste une prière». (cath.ch/dp)

Davide Pesenti

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