La Conférence des évêques suisses (CES) a annoncé le lancement d’une enquête à l’échelle nationale, comme cela a été le cas dans d’autres pays, sur les abus sexuels commis dans un contexte ecclésial. Dans leur quête de vérité, il est probable que les chercheurs se penchent sur les archives des diocèses. Quels sont les enjeux d’une telle démarche? Eclairage de Nathalie Dupré, archiviste de l’évêché de LGF.
Avez-vous déjà été sollicités par la Commission d’enquête nationale?
Nathalie Dupré: Non, pas pour l’instant. Mais nous pouvons déjà assurer les membres de la Commission que les archives de l’évêché et d’autres instances de l’Eglise dans le diocèse sont à leur disposition et que nous sommes prêts à apporter notre pleine collaboration aux éventuelles demandes. Certaines instances ne relèvent cependant pas de l’évêque, qui ne peut ainsi que les inviter fortement à la transparence.
Avez-vous déjà discuté de la chose au niveau de la direction du diocèse? Un dispositif spécial a-t-il été mis en place?
Non, car nous estimons que nous sommes déjà prêts pour toute recherche si on nous le demande.
Pourquoi pensez-vous être prêts?
Principalement parce que nous avons déjà une bonne expérience concernant les recherches sur les abus sexuels. Le diocèse de LGF a été «précurseur» en la matière, en Suisse, aux côtés d’autres communautés religieuses, notamment en menant en 2015 une enquête historique sur les abus commis à l’Institut Marini, à Montet, dans la Broye fribourgeoise.
Des historiens sont aussi venus pour examiner les archives relatives au religieux abuseur J. A.. Ils étaient mandatés par l’ordre des capucins. Mgr Charles Morerod (évêque de LGF, ndlr.) a alors ordonné une ouverture totale des archives. Nous savons donc comment procéder dans ce type d’affaires.
Il existe aussi une démarche interne, lancée en 2020. Un groupe de trois personnes analyse les dossiers de prêtres vivants ou décédés concernés par des problèmes de mœurs, mais aussi les dossiers des personnes employées par le diocèse. A chaque nomination, le dossier de la personne est passé en revue. C’est un immense travail.
Avez-vous fréquemment des demandes de consultation de dossiers concernant des abus sexuels?
Non. Depuis 2015 et l’étude Marini, seulement deux victimes sont venues consulter un dossier en rapport à des abus subis.
Actuellement, nous collaborons avec des historiens mandatés par le Provincial de France des dominicains, sur le cas d’un religieux décédé, qui a résidé et enseigné longtemps à Fribourg. Mais il n’y a pas grand-chose, car il ne dépendait pas de l’évêché, ayant été un religieux qui enseignait à l’Université.
Quels obstacles pourraient se poser dans le cas d’une demande de la commission nationale d’enquête?
Notre plus grand souci est de définir un équilibre entre recherche de la vérité et protection des données personnelles. Nous devons notamment éviter que des noms de personnes encore vivantes puissent être connus sans que celles-ci soient au courant. Cela pourrait poser problème notamment pour les victimes d’abus, qui ne voudraient pas être identifiées. La volonté de Mgr Morerod est de permettre au maximum l’accès aux données, dans le respect des lois en vigueur.
Une telle personne pourrait-elle bloquer la procédure?
La chose serait à voir. Mais, il faudrait en tout cas que l’on soit sûr à 100% que son nom se trouve bien dans les documents en question.
«Parfois on peut tomber sur quelque chose d’intéressant en recherchant un sujet totalement différent»
Comment faites-vous donc pour protéger les données personnelles?
Comme les autres services d’archives, nous optons habituellement pour le caviardage, c’est-à-dire, la suppression des informations sensibles, en particulier les noms, qui tombent sous le coup de la loi sur la protection des données personnelles.
Il y a aussi la possibilité d’anonymiser les documents. Cela été le cas pour l’enquête sur l’Institut Marini. Un caviardage nous aurait pris des années. Les noms étaient ainsi connus des historiens, mais dans l’étude, tout a été anonymisé.
Pensez-vous que les archives de LGF contiennent beaucoup d’éléments pouvant intéresser l’enquête au niveau national?
Je pense qu’il ne faut pas avoir trop d’attentes en la matière. Le fait est que les informations sont souvent imprécises, incomplètes et parcellaires. Il arrive que les dossiers n’existent tout simplement pas. L’on ne peut quasi rien trouver concernant les institutions religieuses qui ne dépendent pas de l’autorité de l’évêque, ce qui n’était pas le cas pour l’Institut Marini, dirigé par des prêtres diocésains. Parfois on peut tomber sur quelque chose d’intéressant en faisant une recherche sur un sujet totalement différent.
Mais on pourrait aussi être surpris dans l’autre sens…
Effectivement. Dans l’exemple de Marini, tout est parti d’une personne qui avait demandé à voir son dossier. A l’époque, on lui a dit qu’il n’y avait rien. Mais quand Mgr Morerod est arrivé, la personne est revenue à la charge. Donc, j’ai refait une recherche plus poussée. Je suis alors tombée sur des archives assez «parlantes», qui ont donné lieu à une enquête historique.
Quoi qu’il en soit, un examen transversal des archives diocésaines de Suisse ne serait certainement pas inutile. Il pourrait mener à des recoupements et à des comparaisons qui pourraient former une vue d’ensemble plus précise du phénomène des abus. (cath.ch/rz)
Les archives diocésaines, un dédale avec des trésors
Des dizaines de milliers de documents, mais personne ne sait exactement combien. Les archives du diocèse de LGF sont encore, comme c’est le cas d’une bonne partie des archives dans le monde, une «masse d’informations» en bonne partie inexplorée, admet Nathalie Dupré. Un univers particulièrement complexe, avec un contenu qui s’étend sur des siècles (le document le plus ancien est un parchemin du 12e siècle), et dont la gestion a pu connaître différents types de pratiques et de sensibilités.
Du céleste et du terrestre
Les archives anciennes de LGF sont relativement stables. Elles sont là depuis l’installation de l’évêque à Fribourg, au 17e siècle. On y trouve quelques pièces de valeur, en tout cas d’un point de vue historique. Il s’agit notamment de parchemins, de Missels, de Bréviaires et d’un Livres d’Heures, dont les plus anciens datent des 15e et 16e siècles, et qui contiennent parfois de très belles enluminures. Le Manuel du vénérable chapitre de Lausanne (1405-1492) est en particulier un document unique spécialement intéressant pour les historiens.
L’ancien et le flamboyant côtoie donc le nouveau et l’ordinaire, dans ce monde de papier et de parchemin. A côté des rapports de visites pastorales, des dossiers personnels et de la correspondance courante, une grande partie des archives sont des registres de catholicité. C’est également ce type de document qui est le plus demandé, relève l’archiviste. Notamment dans le cadre des affaires maritales et des sorties d’Eglise.
Numérisation commencée
Si un processus de numérisation des documents a été lancé, la digitalisation complète des archives n’est pas pour demain, et reste semé d’embûches, regrette Nathalie Dupré.
Un Règlement de consultation des archives est en train d’être adapté à la loi actuelle sur la protection des données. Il devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2022.
Le délai de protection ordinaire sur tous les documents est de 30 ans à la clôture du dossier. Il existe toutefois un délai de protection spécial sur des dossiers considérés comme sensibles. Il est calqué sur les règlements en vigueur dans les archives cantonales. RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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