«Si un grand nombre de chrétiens adoptaient les principes d’auto-limitation, cela changerait le monde», a estimé Gudrun Nassauer. La professeure d’exégèse du Nouveau Testament à l’Université de Fribourg a exprimé, comme les autres intervenants au Café scientifique, sa confiance dans la capacité des croyants à jouer un rôle crucial pour la sauvegarde de la création.
A la question de savoir «quand les Eglises se sont mises au vert», les réponses ont été multiples, lors de la rencontre organisée par l’Université de Fribourg en partenariat avec cath.ch. Le Concile Vatican II? les premières discussions œcuméniques en Europe? Gudrun Nassauer est remonté plus loin en considérant que saint Paul, en parlant de «création nouvelle», avait été l’un des premiers promoteurs de la conscience écologique dans le christianisme.
«La tradition orthodoxe est plus sensible à l’unité de la création»
Barbara Hallensleben
Mais tous les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que Laudato si’ (2015) a été un tournant décisif. Pour Xavier Gravend-Tirole, même si le souci pour la création avait été déjà thématisé par les papes précédents, l’encyclique de François a représenté une nouvelle perception. Autant par la jonction effectuée entre justice sociale et écologique que par l’insistance sur l’interdépendance du monde. Le document a eu l’intérêt de «faire sortir la théologie chrétienne d’un anthopocentrisme trop fort», a affirmé l’aumônier des hautes écoles.
Les Cafés scientifiques de l’Université de Fribourg proposent un échange convivial entre grand public, scientifiques et experts issus d’horizons divers. Il ne s’agit pas d’une conférence tenue par des spécialistes, mais d’un dialogue de proximité, totalement dirigé par les questions du public. Les rencontres se déroulent à l’Espace culturel du Nouveau Monde, à Fribourg. RZ
Laudato si’ est venue en quelque sorte «réparer» la critique de Lynn White (1907-1987), qui jugeait que la crise écologique était due au christianisme. L’historien américain mettait en cause notamment le passage de la Genèse où Dieu dit: «Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre» (Gn, 1:28).
Même si cette vision du monde provient d’une mauvaise interprétation des textes bibliques, elle a quand-même influencé le développement de la civilisation, a remarqué Barbara Hallensleben, professeure de théologie dogmatique à l’Université de Fribourg et spécialiste de l’orthodoxie. Une perception de la nature comme indépendante de l’homme qui a été encouragée par la notion cartésienne de séparation du corps et de l’esprit.
Cette vision n’a cependant pas touché de la même manière la sphère orthodoxe, note la professeure. «La tradition orthodoxe est plus sensible à l’unité de la création». Dans cette conception, l’homme est serviteur et «prêtre» de la création, son rôle étant de préparer la transfiguration de tout le cosmos.
Une tradition dont les catholiques peuvent apprendre beaucoup, estime-t-elle. L’Eglise catholique s’est certainement rapprochée, avec Laudato si’, de cette vision, note Xavier Gravend-Tirole. Pour le pape François, il ne s’agit plus d’une domination «exploitante» et «sauvage». Le pontife appelle de ses vœux une humanité intendante de la nature, gestionnaire responsable de la création.
L’encyclique met également en avant la nécessité pour l’humain de freiner sa voracité et sa cupidité. Ce changement demande une conversion pas seulement extérieure, mais aussi intérieure. Une articulation qu’EcoEglise met en pratique, notamment au travers du «Temps pour la création» qui a lieu chaque année de septembre à octobre, souligne François Périllon, coordinateur et fondateur du projet. La démarche incite à la réflexion écologique, également sur un plan spirituel.
Il s’agit pour le chrétien d’entrer dans une forme de pauvreté, d’auto-limitation, note Xavier Gravend-Tirole. En consommant, en surconsommant, nous tentons, la plupart du temps de remplir un vide intérieur. «En retrouvant l’infini de Dieu en soi, il n’y a plus besoin d’aller chercher quelque chose à l’extérieur, souligne l’aumônier. La décroissance est alors possible».
Pour Barbara Hallensleben, il s’agit de «prendre conscience que la création n’est pas extérieure à moi, que le monde est un élargissement de mon corps, et que sa destruction affecte ma propre existence.» Elle s’est réjoui de voir un mouvement, notamment dans l’attitude envers les animaux, reflétant une compréhension accrue de «notre lien intime avec tous les degrés de l’être».
La prise de conscience individuelle, si elle est nécessaire, n’est cependant pas suffisante, a relevé Barbara Hallensleben. L’action collective est indispensable pour sauver la création. En cela, l’Eglise a un rôle important à jouer, notamment parce qu’elle est une communauté. Les chrétiens doivent collectivement se rendre responsables. «Je jette ce papier de chocolat à la poubelle, même si ce n’est pas moi qui l’ai mangé», a illustré la spécialiste de l’orthodoxie.
«Face à la culpabilité, il faut se souvenir que nous sommes aimés de Dieu»
Xavier Gravend-Tirole
Les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que la mise en action devait se faire transversalement à la chrétienté. Une préoccupation pour la Maison commune et les générations futures qui peut en outre favoriser le rapprochement des chrétiens.
La communauté chrétienne peut aussi apporter des solutions face à un phénomène «d’éco-anxiété» potentiellement paralysant. «Beaucoup de jeunes n’ont pas envie d’avoir des enfants, ils ne veulent pas les faire naître et grandir dans ce monde-là», souligne Xavier Gravend-Tirole.
Pour Barbara Hallensleben, le sens de la communauté qu’ont les chrétiens, cette conviction de ne pas être seul, peut être un remède à l’angoisse et à l’inertie.
Face à un pessimisme écologique qui a des raisons d’être, Xavier Gravend-Tirole invite à cultiver la vertu chrétienne de l’espérance; au-delà de l’espoir, souvent constitué d’attentes irréalistes. «Face au sentiment de culpabilité, il faut se souvenir que nous sommes aimés de Dieu, que le péché et la mort n’auront pas le dernier mot».
Au moment de conclure le Café scientifique, Fabien Hunenberger a demandé aux intervenants quel petit geste ils conseillaient pour faire avancer la cause écologique dans cette période de Noël. François Périllon a suggéré de joindre l’aspect social à un acte écologique, en «allant vers le voisin». Xavier Gravend-Tirole a conseillé à chacun de «ralentir et d’être dans la gratitude». Gudrun Nassauer a invité à réfléchir à nos habitudes de consommation, en achetant par exemple du chocolat Fair-Trade. Barbara Hallensleben a appelé à se réserver «des moments de pure joie et d’étonnement en rapport à la création». (cath.ch/rz)
Un événement partiellement en ligne
Les quatre spécialistes ont dialogué une heure et demie avec le public sur le thème «Ecologie et création – Quand l’Eglise se met au vert». Il s’agissait de Barbara Hallensleben, professeure au Département des sciences de la foi et des religions de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, spécialiste de l’orthodoxie, de Gudrun Nassauer, professeure d’exégèse et de théologie du Nouveau Testament à l’Université de Fribourg, de Xavier Gravend-Tirole, aumônier catholique dans les hautes écoles du canton de Vaud et engagé pour l’écologie, et de François Périllon, fondateur et coordinateur stratégique du projet œcuménique EcoEglise.
Le temps de dialogue organisé par l’Université de Fribourg en partenariat avec cath.ch s’est déroulé de manière particulière, en ce 15 décembre, situation sanitaire oblige. L’événement a en effet eu lieu partiellement en présentiel, avec une vingtaine de personnes dans la salle du Nouveau Monde, et une quinzaine en ligne. Barbara Hallensleben et Gudrun Nassauer sont en outre intervenues par écran interposé. Malgré la gageure technique et organisationnelle, les échanges modérés par Fabien Hunenberger, directeur de Cath-Info, ont été intenses et constructifs. RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/lhomme-doit-etre-pretre-de-la-creation/