Christine Mo Costabella
C’était lors d’un dîner en tête à tête avec sa maman. Pour la première fois, Stéphanie a formulé ce qui la travaillait depuis des mois: «Ça fait un an qu’on essaie. Et je ne suis toujours pas enceinte.»
Le parcours était pourtant tout tracé. Maxime et elle se sont rencontrés à vingt ans en école d’ingénieur, mis en couple à 24, mariés à 27. Français installés à Lausanne, tous deux viennent de familles catholiques pratiquantes. Le papa de Stéphanie, en particulier, a une foi très profonde. «Moi je suis plutôt comme ma mère. J’ai beaucoup de moments de doutes sur ma foi, mais je tiens beaucoup à la vie spirituelle», commente la jeune femme de 38 ans. Maxime, lui, est le seul de ses frères à encore pratiquer, confie-t-il, assis dans le salon familial à Pully. «Le scoutisme a beaucoup fait pour mon chemin de foi.»
Après un an sans grossesse, commence donc le bal des gynécologues et des tests médicaux. Sur le papier, rien d’anormal. Mais les inséminations artificielles ne fonctionnent pas. Peu à peu, l’infertilité devient le centre autour duquel tout gravite: «Je connaissais par cœur la sonnerie de téléphone de ma gynéco, raconte Stéphanie. Je choisissais les chantiers que je dirigeais en fonction de leur proximité avec son cabinet, pour pouvoir m’absenter facilement.»
En France, c’est la période des «Manifs pour tous» contre le mariage homosexuel. «Nous avons participé à l’une des premières manifs, notamment parce que des pays comme la Russie menaçaient de se fermer à l’adoption pour les Français si la loi passait. Mais assez vite, je ne me suis plus sentie à ma place, se souvient Stéphanie. J’avais l’impression de voir uniquement des familles de cinq enfants qui ne savaient pas ce que c’était que d’être en marge de la société ou d’attendre un enfant qui ne vient pas. J’étais trop en souffrance pour me positionner clairement.»
L’Église, dans ce moment difficile, est bien présente à leurs côtés. Les époux s’inscrivent à un week-end de retraite pour couples en attente d’enfants avec la communauté de l’Emmanuel. Enfin, ils se sentent dans un milieu sécurisé où ils peuvent parler de leur souffrance. Ils rencontrent d’autres couples infertiles, réalisant qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation. «Les organisateurs nous chouchoutaient: j’avais l’impression d’être entaillée de partout, et qu’ils mettaient de la crème sur toutes mes plaies.»
«Comment expliquer à un petit être marqué par l’abandon que sa mère ne voulait pas de lui ?«
Les différentes possibilités (NaproTechnologie, procréation médicalement assistée (PMA), adoption…) sont passées en revue, assorties du point de vue de l’Église. La jeune femme est également touchée par la présence à ce week-end de religieuses, des femmes qui ont fait le choix de renoncer à la maternité. «Cela nous a aidés à comprendre la différence entre fertilité et fécondité, se souvient Maxime. Nous-mêmes, nous avons pu percevoir ce qui dans notre vie était déjà fécond: le fait d’être plus disponibles pour nos amis célibataires, par exemple.»
La douleur, cependant, est trop grande, surtout pour Stéphanie. «J’en voulais à mon corps de ne pas être capable d’enfanter. Chaque fois que mes règles arrivaient, c’était le cauchemar et la perspective de devenir maman était encore reportée au mois d’après…. »
Après deux tentatives de fécondation in vitro (FIV) infructueuses, les ovocytes de Stéphanie ne mûrissant pas, on leur fait comprendre que leurs seules chances de devenir parents se situent au niveau de l’adoption ou de la FIV avec don d’ovocytes. « Nous sommes allés à une séance d’information sur l’adoption, se souvient Stéphanie. Mais je ne me sentais pas la force de faire le deuil de la maternité et d’élever un enfant à ce point différent de moi. Et comment expliquer à un petit être marqué par l’abandon que sa mère ne voulait pas de lui ?»
Les époux participent alors à un groupe de parole pour couples en questionnement sur le don d’ovocyte. «Une femme du groupe a glissé qu’une personne sur dix environ avait des doutes quant à l’identité de son père… ça m’a aidé à accepter l’idée d’une donneuse», raconte Stéphanie. L’autre chose qui la conforte, c’est que chacun des époux aurait une part active dans la conception: Maxime en donnant son patrimoine génétique, elle en portant les enfants.
En France, le don d’ovocyte est légal et remboursé. Mais la liste d’attente est de cinq ans. On les aiguille donc sur l’Espagne ou la République tchèque, où les délais sont plus courts. Et les donneuses, rémunérées… un problème? «Il y a un défraiement, mais rien de faramineux comparé à l’effort que cela demande pour être donneuse», commente Maxime.
Avant de se rendre en République tchèque, les jeunes gens suivent une retraite chez des jésuites. «Nous nous sommes ouverts à un couple d’animateurs. Ils nous ont dit qu’eux-mêmes avaient hésité à avorter à un moment de leur vie pour protéger leur famille… ce qu’ils n’ont finalement pas fait. Pour eux, l’Église conseille, mais c’est toujours au couple de décider en son âme et conscience.»
La veille de leur départ en République tchèque, Stéphanie informe son père de sa démarche. «Contre toute attente, il s’est montré très compréhensif et encourageant !», assure la jeune femme. Dans la clinique tchèque, quatre des huit ovocytes fécondés se développent en embryons. Deux sont implantés dans le ventre de Stéphanie: des jumeaux naîtront neuf mois plus tard, une immense joie pour le couple après cinq ans d’attente. Après deux ans, un troisième embryon transféré donne naissance à un petit garçon. Et le quatrième?
«C’est une question lancinante, répond Maxime. Jusqu’à présent, on ne l’a pas tranchée; nous avons simplement repoussé le problème. Nous ne nous sentons pas prêts à accueillir un quatrième enfant. Mais en fait, celui-ci existe déjà: il nous attend au congélateur…» Débrancher la prise? Donner à d’autres cet embryon qui est biologiquement l’enfant de Maxime? La question est en suspens et n’a rien d’évident.
Le couple n’entretient pas de secret et pense même emmener ses enfants l’an prochain dans la clinique tchèque pour leur montrer un morceau de leur histoire. «Pour l’instant, on ne sait pas vraiment ce qu’ils comprennent, affirme Stéphanie. Ils auront sans doute des questions à l’adolescence sur leur mère biologique, qui est restée anonyme…»
«Ne pas distinguer les traits de Stéphanie sur le visage de nos enfants, oui, c’est une souffrance»
Les époux ne nient pas les difficultés. «Ne pas distinguer les traits de Stéphanie sur le visage de nos enfants, oui, c’est une souffrance», reconnaît Maxime. Mais ces trois naissances restent pour eux miraculeuses. Ce qu’elles ont changé? «Tout, répond Stéphanie. Ça a donné un sens à ma vie. Peut-être que dans dix ans, ils me diront: ‘De toute façon, tu n’es pas ma mère!’ Ce sera difficile, mais je leur ai toujours assuré que quoi qu’ils me disent, je les aimerai toujours.» «Devenir parents, c’est un bouleversement complet, abonde Maxime. Ça remet en cause notre position dans le monde, ça nous décentre de nous-mêmes.»
Et leur foi? «Ce choix nous a mis en décalage avec une certaine catégorie de gens très attachés aux dogmes, répond Maxime. Mais cette faiblesse de l’infertilité, que nous portons toujours en nous, nous a ouverts à la fragilité et à la souffrance des autres.»
Quant à l’Église, ils ont apprécié sa présence sur le chemin. «Ce n’est pas la doctrine qui nous a accompagnés, mais des prêtres et des croyants», estime Stéphanie. Le couple, d’ailleurs, ne critique pas la position de l’Église sur la PMA. «Le fait qu’elle ne soit pas d’accord avec certaines pratiques nous pousse à nous interroger, reconnaît la jeune femme. C’est important qu’elle prévienne des risques que nous encourons. L’Église affirme que la procréation doit procéder d’un acte d’amour. Que la médecine, en s’en mêlant, vient violer l’intimité du couple: elle a raison! C’est la réalité.»
Pour elle, l’Église doit poser la limite et avertir des dangers de la transgression. Mais in fine, c’est au couple de savoir s’il est prêt à assumer ce danger. «Lors de nos retraites, poursuit la jeune femme, nous avons rencontré des couples qui disaient: ‘Nous n’irons pas plus loin, nous nous en tiendrons à ce que propose l’Église’. Je respecte beaucoup cette attitude! Nous, nous n’étions peut-être pas assez forts, ou pas assez convaincus.»
Ce qu’ils attendraient de l’Église, c’est qu’elle ouvre un espace de parole autour de ces questions, surtout en Suisse où l’infertilité leur semble plus taboue qu’en France. «Le rôle de l’Église n’est pas de dire: ‘Allez-y, faites des FIV’, commente Maxime. Mais d’offrir une porte à laquelle frapper. Qu’elle rappelle la doctrine, puis qu’elle nous aide à discerner.» C’est dans cette religion que Maxime et Stéphanie souhaitent élever leurs trois enfants. (cath.ch/cmc)
Christine Mo Costabella
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