Du côté de l’Eglise et des évêques suisses, la reconnaissance des abus sexuels sur mineurs a été assez rapide et la question de l’indemnisation des victimes a été traitée, reconnaît Jacques Nuoffer président du groupe SAPEC (Soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse). La recherche par contre a traîné les pieds. Même si des études ponctuelles ont été réalisées, il manque une vue d’ensemble.
Face au projet d’étude présenté le 6 décembre 2021 par la Conférence des évêques suisses, (CES) l’Union des supérieurs majeurs et la Conférence centrale catholique romaine (RKZ), Jacques Nuoffer dénonce deux lacunes principales: «La définition du projet s’est faite dans un «entre-soi» du magistère de l’Eglise catholique, sans consultation des premières intéresssées, les victimes. Le refus de nous inclure, est un non-sens.
«Si la CIASE a fait en France un si bon travail, c’est parce qu’elle a permis à des chercheurs de disciplines très différentes de travailler ensemble.»
En sciences humaines, on reconnaît aujourd’hui les principaux intéressés comme des acteurs réels dans l’élaboration des méthodes, du cadre et des contenus des recherches.» La deuxième est que le projet piloté à l’Université de Zurich n’intègre pas dans son équipe de base au moins un chercheur académique de Suisse latine. Pour Jacques Nuoffer, «ce refus et cette absence sont indignes d’une étude que l’on attend depuis plus de dix ans».
Face à cette situation , le groupe SAPEC présente plusieurs revendications. S’il ne remet pas en cause le fait que l’étude soit pilotée par des historiennes, Jacques Nuoffer insiste pour qu’elle soit menée de manière pluridisciplinaire dans les champs de la psychologie, de la psychiatrie, de la sociologie, de la criminologie, de l’histoire, du droit, de la théologie, etc. «Si la CIASE a fait en France un si bon travail, c’est parce qu’elle a permis à des chercheurs de disciplines très différentes de travailler ensemble.»
Dans le même ordre d’idée, le président de la SAPEC souhaite que la commission «soit présidée par une véritable personnalité suisse, une figure rassembleuse de haute valeur morale.»
«Le dossier de mon prêtre abuseur était un véritable ‘chenit'»
Jacques Nuoffer évoque aussi le risque de mettre trop d’espoir dans cette étude. «Cela permet d’éclairer certains aspects, mais cela ne résoud pas grand chose». Il n’en attend rien de bien nouveau que les recherches antérieures n’auraient pas révélées: sacralisation du prêtre, aspect systémique, rôle de la confession, pouvoirs de l’évêque, déplacements au lieu de sanctions etc.
La nouveauté viendra d’un état de la situation plus complet et global. Dans ce sens, une étude ›en population générale’ telle que l’a commandée la Ciase devrait aussi être faite.
Jacques Nuoffer, citant son propre cas, met en garde aussi contre les attentes disproportionnés sur les recherches d’archives dans les diocèses ou les congrégations religieuses. «Le dossier de mon prêtre abuseur était un véritable ›chenit’ avec en fin de compte peu de renseignements précis.» De même, le dossier obtenu après moultes démarches auprès des supérieurs généraux des Missionnaires de Saint François de Sales à Rome, était à peine plus explicite contenant essentiellement des lettres échangées entre divers responsables religieux».
La communication est également un élément décisif pour le président du groupe SAPEC: «Nous demandons que la commission mise en place communique régulièrement par la publication du nom des chercheurs et leurs spécialités, les thèmes étudiés et les méthodes utilisées». A priori cependant, selon l’annonce des mandataires, rien ne devrait être publié avant le rapport final. (cath.ch/mp)
Quelques études antérieures
L’étude commandée par l’Eglise Suisse vient compléter diverses recherches ponctuelles parues antérieurement. On peut retenir entre autres:
En 2013-2014, le groupe SAPEC a publié un Mémoire sur les Abus sexuels au sein de l’Église catholique en Suisse et dans le monde contenant de nombreux témoignages et analyse sur les abus en Suisse romande.
Commandée en 2015 par Mgr Charles Morerod, le rapport sur les abus sexuels au sein de l’Institut Marini, à Montet, dans la Broye fribourgeoise a été une étape importante dans la recherche sur le sujet. Rédigé par deux historiennes et un sociologue, il a été synthétisé sous forme de livre en 2018: Les murs du silence abus sexuels et maltraitance des enfants placés à l’Institut Marini (Editions Alphil).
Le cas du capucin pédophile Joël Allaz a également fait l’objet d’une enquête indépendante publiée en 2018. En 2016, le témoignage de Daniel Pittet, (Mon Père, je vous pardonne) victime du capucin a jeté une lumière crue sur la réalité des abus sexuels.
En Suisse alémanique, en 2013, les soeurs d’Ingenbohl ont commandé une étude sur les abus commis dans les instituts tenus par leur congrégation.
En 2014, un rapport d’historiens a dénoncé les abus au collège des bénédictins de Fischingen, en Thurgovie.
Parmi les très nombreux reportages médiatiques, on peut signaler l’enquête de Pierre Pistoletti, journaliste de cath.ch «Lorsque le berger est un loup» publié en 2017. MP
Maurice Page
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/enquete-sur-les-abus-sexuels-entre-attentes-et-frustrations/