Georges Conus: Un Noël haïtien sous la 'neige'

«Le souvenir de mon premier Noël en Haïti est celui de la ‘neige’ sur les toits» raconte Georges Conus. En 1975, il est encore un jeune diacre missionnaire, à Anse-à-Foleur, au Nord-Ouest de l’île.

Maurice Page

«Comme il n’y avait à l’époque pas d’électricité dans la région, la messe de minuit était avancée à 9h du soir. A la sortie de la célébration, une belle lune brillait dans la nuit. Son reflet sur les toitures de tôle du bourg me donnait l’impression d’une jolie couche de neige sur les toits, comme dans mon enfance dans la campagne fribourgeoise.» Des petits groupes de personnes blaguaient encore dans les rues prolongeant une fête bien loin des illuminations et des guirlandes de l’Occident.

Le deuxième souvenir est celui des cantiques de Noël. Les Haïtiens possèdent un beau répertoire de chants en créole. «Je me souviens de l’un d’eux qui dit: ‘Noël c’est chaque jour sur la terre. Noël c’est quand chacun aime son prochain’.»

Arrivé au début de l’année 1975, j’avais déjà suffisamment assimilé le créole pour comprendre ces cantiques très souvent inspirés directement des récits évangéliques. Un peu comme une Bible en chansons. Ce qui était un moyen d’évangélisation très intéressant dans un pays où il y avait encore une très forte proportion d’analphabètes. Lorsque vous ne savez pas lire, vous développez une mémoire auditive beaucoup plus importante. Il suffit souvent d’une ou deux répétitions pour apprendre par cœur un chant et tous ses couplets.

A l’époque, dans cette campagne pauvre où je vivais, la tradition des cadeaux de Noël n’existait pas. Seule l’église était décorée de bougies et de guirlandes. La fête collective se vivait plutôt lors du Nouvel An où les gens se rassemblaient autour de grandes marmites de soupe aux courges ‘géomon’. Chacun souhaitait alors aux autres «l’areuse ané».

25 ans plus tard à Chénot

«Le troisième souvenir se rapporte à mon séjour à Chénot, une localité isolée dans les montagnes du centre du pays, où j’ai vécu de 1994 à 2002. Avec Ciliane, la missionnaire laïque suisse qui m’accompagnait, nous étions les deux seuls étrangers dans la paroisse», note Georges Conus. La grande église de 800 places se remplissait pour Noël. Nous disposions de l’électricité grâce à l’installation de panneaux solaires et donc d’une église éclairée. Ce qui avait fait dire à un de mes catéchistes «l’Eglise riba nou» (l’Eglise nous sourit).

Haïti. A Noël, les enfants font la crèche vivante. (Photo: B. Roduit)

La communauté des religieuses haïtiennes qui tenait une école primaire très florissante organisait une grande veillée de Noël à 9h du soir, avec des sketchs des enfants des écoles et bien sûr toujours les fameux chants créoles. Puis arrivait la messe de minuit.

Les fidèles dorment sur place

Après la messe, les fidèles venus des collines les plus éloignées s’installaient sur place dans l’église pour continuer la fête et dormir quelques heures sur les bancs. Il faut dire que sur tout le territoire de la paroisse, il n’y avait pas de route mais seulement des sentiers et que les gens se déplaçaient uniquement à pied. En plus, en décembre, le temps est souvent pluvieux dans la région rendant les chemins boueux peu sûrs durant la nuit. Après une nuit de bivouac, les gens participaient encore à la messe du matin de Noël, avant de s’en retourner chez eux.

La grand-messe de 9h (à 9h30 en été et 10h en hiver!) était célébrée avec deux chorales, celles des anciens et celle des jeunes accompagnées de tambours, de guitares et de ‘keyboard’ (piano électrique). Nous en avions bien pour une heure et demie deux heures.

Prier autour de la crèche

Crèche de Noël à Chénot en Haïti | DR

Comme dans toutes les églises du monde, la crèche de Noël occupait une place particulière. Les  gens qui avaient un peu voyagé revenaient éblouis avec des images de crèches occidentales assez kitsch. Ciliane avait trouvé une femme de la paroisse qui faisait des poupées au teint bistre. C’est elle qui réalisait les personnages de la crèche. Dans ce pays d’élevage, la présence de l’âne, du bœuf et des moutons avait toute son importance. La crèche était réalisée avec des branches de pins et des feuilles de bananier sur le modèle du ‘joupa’, abri pour les animaux typique de la région. Ce qui correspondait parfaitement à la pauvreté de la crèche décrite dans l’évangile. Inaugurée la nuit de Noël, la crèche restait en place jusqu’à la fête du baptême de Jésus. Beaucoup de personnes venaient la voir pour l’admirer ou y prier.

A part quelques personnes qui avaient voyagé ou travaillé chez les missionnaires, les gens ne faisaient pas de crèche à la maison. Je me souviens cependant d’une dame qui avait travaillé chez les Pères Monfortains fondateurs de la paroisse et qui avait visité la France. Elle faisait une crèche chez elle et y conviait ses voisins pour y prier. (cath.ch/mp)

Georges Conus
Missionnaire de Bethléem Immensee, (SMB) Georges Conus a passé trois périodes en Haïti: de 1975 à 1976 comme diacre à Anse-à-Foleur au Nord-Ouest de l’île, de 1978 à 1986, comme prêtre à Bombardopolis, toujours dans la province du Nord-Ouest puis de 1994 à 2002, comme curé à Chénot, au centre de l’île. dans la région montagneuse des Cahos. Il est aujourd’hui prêtre auxiliaire dans l’unité pastorale Saint Joseph à Fribourg.

O nuit trè sen chanson de Noël (Créole haïtien)

O nuit trè sen, bèl zetwal yo ap briye
Se lannuit lè Jezi Kri te fèt
Lontan lemonn te egare nan peche
Jouk li parèt e nanm mwen te viv ankò.

Kè:
O jou de jwa, tout lemonn ape rejwi
Pou gwo limyè kap fè yon nouvo jou
Mete jenou atè, tande zanj yo ap chante
O nuit trè sen, O nuit lè Kris te fèt
O nuit diven, O nuit, O nuit diven.

Nou swiv limyè sa avèk tout gran jwa
Kè nou briye avèk lanmou pou Jezi Kris
Nou adore Li ki vin fèt pou sove nou
Nou swiv li menm jan moun saj yo te swiv li.

Ò nuit très sainte (français)

Ô nuit très sainte, de belles étoiles brillent,
C’est la nuit où Jésus-Christ est né.
Longtemps, le mondé était égaré dans le péché
Jusqu’à ce qu’il est apparu et mon âme revit.

Refrain :
Ô jour de joie, tout le monde se réjouit,
Car la grande lumière fait un nouveau jour,
Mettez les genoux à terre, entendez les anges chanter.
Ô nuit très sainte, ô nuit où le Christ est né,
Ô nuit divine, ô nuit, ô nuit divine.

Nous avons suivi cette lumière avec très grande joie,
Nos cœurs brillent de l’amour pour Jésus-Christ
Nous L’adorons, lui qui vint pour nous sauver
Nous Le suivons comme les mages sages L’ont suivi.

Maurice Page

Portail catholique suisse

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