«Je pense qu’on a beaucoup parlé de la crise migratoire au début, mais en ce moment les gens oublient les réfugiés en Grèce». Ces paroles ne sont pas du pape François mais de Sara, une jeune femme musulmane d’origine afghane aujourd’hui réfugiée en Grèce avec son fils (voir encadré). Ce qu’elle attend de la visite du pape François: que les projecteurs soient de nouveau braqués sur la situation de ces personnes qui, comme elle, espèrent un avenir meilleur.
En choisissant de revenir, cinq ans après, sur l’île de Lesbos pour y retrouver des personnes migrantes, le pape argentin veut de nouveau interpeller les consciences et les autorités sur les tragédies de l’immigration.
Cette dernière semaine, il a multiplié en ce sens les messages en prononçant trois discours distincts sur ce thème – Message aux Chypriotes et aux Grecs, Angélus, Message à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Dans son allocution aux Chypriotes et aux Grecs diffusée à une semaine de sa visite, il est revenu sur la situation de ceux qui «fuient la guerre et la pauvreté, débarquent sur les côtes du continent et d’ailleurs, et ne trouvent pas l’hospitalité mais l’hostilité et même l’exploitation».
Même idée dans son adresse à l’OIM, lundi dernier. Pointant du doigt l’hypocrisie des pays développés qui ont recours à de la main-d’œuvre issue de l’immigration sans pour autant accorder aux migrants une considération humaine et économique, il a plaidé pour l’ouverture de plus de voies légales afin d’en finir avec les drames liés à l’immigration irrégulière.
La contexte de la visite à Lesbos sera pourtant bien différent de celui de 2016, où l’île était le «le lieu le plus dramatique où s’accumulaient des milliers de réfugiés», explique le Père Pierre Salembier, supérieur de la communauté des jésuites d’Athènes.
Depuis, le nombre de réfugiés passant par la Grèce a diminué, notamment en raison du maintien de l’accord migratoire entre la Turquie et l’Union européenne – un accord dénoncé en son temps par le Saint-Siège.
Le camp de Mória, qui avait accueilli jusqu’à près de 20’000 réfugiés, a été ravagé par un incendie en septembre 2020. De nouvelles infrastructures ont été ouvertes, accueillant moins de réfugiés mais dans des conditions matérielles «sans commune mesure» avec le passé, témoigne Sœur Mélanie, Fille de la Charité présente en mer Egée. «On sent une volonté grecque de maitriser de plus en plus le logement et les mouvements des réfugiés», confirme le Père Pierre Salembier, qui observe un nouveau problème.
«Le pape arrive à un moment assez crucial», selon lui. Depuis cet été, les réfugiés en Grèce se voient privés d’une contribution en argent qu’ils recevaient en «cash card" grâce à l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en raison d’un transfert de responsabilités avec l’État grec. «On dit qu’on réorganise le système mais quand on dit cela à des gens qui n’ont rien, c’est absolument dramatique», déplore le jésuite, qui rencontrera le pape François à Athènes.
Si la situation à Lesbos a changé depuis le dernier voyage du pape, ce dernier pourrait, depuis l’île, rebondir sur les tensions et drames survenus récemment en Europe. Dimanche dernier, il a exprimé sa douleur depuis la fenêtre du Palais apostolique concernant les migrants morts noyés au large de Calais et a condamné le sort de ceux bloqués à la frontière de la Biélorussie.
Sa venue à Lesbos, tout comme sa rencontre avec des migrants organisée à Chypre, pourrait faire office de caisse de résonance. Surtout si le chef de l’Église catholique décidait à nouveau de revenir à Rome avec des personnes migrantes.
L’information n’a pas été confirmée par le Saint-Siège mais à Chypre, on s’activerait pour qu’un groupe de réfugiés reparte avec le pape François dans son avion. «Symboliquement, il pourrait ramener un groupe de réfugiés pour signifier l’ouverture des couloirs humanitaires», glisse l’un des coordinateurs de la visite sur l’île, le Frère franciscain Jerzy Kraj.
Pour celui qui est aussi le vicaire patriarcal de Chypre au sein du Patriarcat latin de Jérusalem, ce geste, en écho à celui déjà effectué en 2016, «permettrait de rappeler qu’il faut venir en aide concrètement aux migrants». (cath.ch/imedia/ak/bh)
La recherche de Sara
En Afghanistan, les publications de Sara* sur le traitement des femmes au sein de l’islam n’ont pas eu l’heur de plaire. Attaquée plusieurs fois en pleine rue, menacée, la poète et activiste des droits de l’homme quitte son pays en juin 2019. Seule avec son fils de quatre ans, elle se rend d’abord en Iran, puis franchit illégalement la frontière avec la Turquie, de nuit, dans les montagnes.
Commence alors un périple de six mois pour rejoindre la Grèce: «Nous nous sommes fait arrêter cinq fois dans des bateaux de 9 ou 12 mètres de long, surchargés d’une cinquantaine de personnes», raconte la jeune Afghane à l’anglais hésitant. À la sixième tentative, en janvier 2020, Sara et son fils débarquent à Samos, où ils vivent quinze mois en camp sous une tente, dans une forêt.
Ayant obtenu un statut de réfugiée – mais toujours dans l’attente de papiers -, elle est ensuite transférée à Athènes, dans une maison en collocation avec deux autres mères célibataires. La situation reste éprouvante, sans aide d’État: «Certains réfugiés ont des membres de la famille qui travaillent, mais les femmes comme nous n’ont pas d’aide pour faire garder leurs enfants.» * Prénom modifié – AK
I.MEDIA
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