A la découverte du nouveau missel tant attendu...

Planifiée pour l’Avent 2020, puis reportée en 2021 pour cause de covid, l’introduction de la nouvelle traduction du Missel romain «patine» encore. En cause les retards pris pour l’impression et la reliure de l’épais ouvrage destiné aux paroisses et communautés.

Des retards de livraison

En France
De nombreuses paroisses attendent encore la livraison du missel, rapporte le quotidien La Croix. 
Éditée par la maison Mame-Desclée, la nouvelle traduction a été mise en vente le 2 novembre. Mais sur les 25’000 exemplaires prévus, environ 10’400 ont pu être livrés. Guillaume Arnaud, directeur général délégué des Éditions Mame, a expliqué les différents facteurs à l’origine de ces retards. La pénurie mondiale de papier, n’est pas si déterminante. En revanche, l’imprimeur italien Lego, a rencontré des difficultés pour en effectuer la reliure à temps, une partie du travail étant effectuée à la main. Par ailleurs, le marché du livre en cette fin d’année 2021 connaît un dynamisme sans précédent. Ce surcroît d’activité entraîne des tensions dans la logistique et la distribution.

En Belgique
En Belgique, une certain nombre de paroisses ont pu être approvisionnées, explique-t-on à Cathobel, mais les librairies sont en rupture de stock. Une seconde livraison devrait se faire mais pas avant mars 2022. Cette pénurie relative n’a cependant pas remis en cause l’introduction prévue au 1er dimanche de l’Avent.

«L’éditeur nous a fait plusieurs promesses de livraison, mais nous n’avons encore vu rien venir» déplore-t-on à la librairie St-Augustin à Fribourg. «Les paroisses qui ont fait une réservation seront les premières servies, mais nous ne pourrons pas contenter tout le monde.» En cause la pénurie de papier qui sévit actuellement en Europe.

Face à cette impasse d’approvisionnement, les évêques diocésains et l’abbé territorial de Saint-Maurice n’ont pas eu d’autre choix que reporter sine die l’introduction du nouveau Missel romain prévue pour le 1er dimanche de l’Avent, le 28 novembre. Il est important que toutes les paroisses et communautés procèdent en même temps, insistent les ordinaires romands (COR).

Si l’ouvrage n’est matériellement pas disponible, ce n’est pas le cas de son contenu. Outre les ressources en ligne, on le retrouve  dans le Missel des dimanches (Editions du Cerf) ou dans les revues spécialisées Prions en Eglise et Magnificat. Cath.ch décrypte la genèse et les enjeux de ce grand projet lancé il y a près de 20 ans.

Comment le missel est-il traduit?

La nouvelle traduction du Missel romain répond à la demande de l’instruction Liturgiam authenticam (2001) de se rapprocher de l’original latin et de respecter un certain nombre de règles, afin de sauvegarder l’unité de la liturgie romaine dans la diversité des langues.

Ce travail a été mené, en langue française par une Commission internationale – la COMIRO – placée sous l’autorité de la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques (CEFTL). Ce long travail entamé en 2003, persévérant, précis devait respecter trois fidélités parfois difficilement conciliables: fidélité au texte original latin, fidélité à la langue dans laquelle le texte est traduit, et fidélité à l’intelligibilité du texte par les contemporains, relève le Père Henri Delhougne, coordinateur de la COMIRO. 

Ce travail très méthodique de traduction a exigé des choix, provoqué des dilemmes et engendré de nombreux allers-retours entre la COMIRO, les conférences épiscopales des pays francophones et Rome. Ce qui a conduit parfois à des blocages du côté de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Blocages finalement levés en 2017, par le motu proprio du pape François Magnum principium qui a affirmé l’autorité des Conférences épiscopales en matière de traductions liturgiques. La mise au point finale, précédée de la reconnaissance de Rome a eu lieu en été 2020.

Concrètement, on place côte à côte le texte latin, la traduction littérale et la traduction française en usage: on compare alors cette dernière avec l’original latin. Si elle en dit plus que le latin, on élague. Si elle a omis des éléments du texte latin, on les ajoute. Pour examiner la qualité de la traduction, on se pose alors deux types de questions: Est-elle fidèle? Exprime-t-elle le sens de manière juste? Et deuxièmement: emploie-t-elle un vocabulaire et une syntaxe assez clairs et accessibles aux fidèles?

Au delà de leur simple signification, nombre de termes utilisés dans la liturgie ont une connotation historique et culturelle, relève le Père Delhougne. Comment traduire par exemple de manière satisfaisante le terme ›majesté’ pour parler de Dieu? La solution a été de dire Dieu de majesté. Ce qui a permis de ›tempérer’ le terme.

Pour ses auteurs, l’exigence d’un texte plus proche du latin n’aboutit pas nécessairement à une traduction sèchement littérale ou à une formulation scolaire sans envergure, mais aussi à un texte théologiquement plus riche dans une forme littéraire adéquate.  

Comment le missel est-il construit?

Conçu pour ainsi dire comme un ›manuel de l’utilisateur’, le Missel comprend quatre grandes parties: le temporal, l’ordinaire de la messe, le sanctoral et les prières pour des célébrations particulières.

Il contient des textes de types différents qui se distinguent par la typographie et la couleur:

-Des textes sont faits pour être proclamés par un ministre. Ils sont écrits en gros caractères. Leur disposition facilite la lecture à voix haute, avec des retours à la ligne judicieusement choisis pour marquer les pauses et respirations.

-D’autres textes sont dits par l’assemblée. Ils sont écrits en caractères plus petits. 

-Les rubriques, (du latin ruber, c’est-à-dire rouge) imprimées dans cette couleur sont de brèves indications concrètes sur le déroulement et sur la manière de se comporter. (se mettre à genoux ou debout, s’incliner etc.)

Saint-Maurice le 22 septembre 2021. Le cardinal Robert Sarah célèbre la messe de la Saint-Maurice | © Bernard Hallet

Divers textes d’introductions expliquent les rites, les possibilités de choix, le rôle de chaque participant… Plusieurs tables des matières permettent de trouver rapidement les pages. Enfin, des partitions disent combien la place du chant est importante.

L’ordinaire de la messe est le cœur du Missel romain. Il comprend le déroulement habituel de la messe, autour de deux parties principales, la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Il comprend diverses variantes afin de s’adapter à la communauté présente, au temps liturgique et au lieu.

Le Propre du temps ou temporal est la première partie du Missel. Il rassemble les «formulaires de messe» qui parcourent l’année liturgique, en commençant par l’Avent et le temps de Noël, puis le Carême, le Triduum et le Temps pascal suivis des solennités et des trente-quatre dimanches du temps ordinaire.

Le Propre des saints ou sanctoral suit le calendrier liturgique du 1er janvier au 31 décembre. À chaque mémoire, fête ou solennité d’un saint ou de la bienheureuse Vierge Marie, à chaque fête ou solennité du Seigneur correspond un formulaire de messe. A noter que le sanctoral peut varier d’un pays à l’autre

Une quatrième partie propose d’autres formulaires pour des célébrations qui ne sont pas liées au temps liturgique. Les messes pour l’Église, concernant les personnes ou ses missions; les célébrations pour des circonstances variées.

Le missel se féminise

La féminisation est l’un des éléments les plus aisément remarquables du changement. On dira ainsi systématiquement ›frères et soeurs’ ou ›serviteurs et servantes’. En revanche les traducteurs ont consciemment évité de recourir à des procédés mécaniques d’inclusivité, comme la multiplication des ils et elles, celles et ceux, etc.

De nombreux changements mineurs, essentiellement dans les paroles prononcées par le prêtre, apparaissent aussi, ainsi la Vierge Marie sera systématiquement qualifiée de ›bienheureuse’.

La nature de Dieu

Plus substantiel, le changement du credo de Nicée-Constantinople où le mot ‘consubstantiel’ traduit littéralement du latin, remplacera la formule ›de même nature que’ qui n’avait jamais satisfait les théologiens. ›Consubstantiel’ désigne en effet une unité beaucoup plus forte. Dit plus simplement, si un père et un fils partagent la même nature humaine, ils sont évidemment deux hommes bien distincts. Le Père et le Fils, quant à eux, non seulement partagent la même nature divine, mais sont un seul Dieu. 

La représentation de Dieu-Trinité, de Gino Severini, dans l’église de Semsales (FR) avait suscité la polémique en 1928 | © Bernard Litzler

La Prière sur les offrandes ou offertoire prend un peu d’ampleur pour mieux correspondre au latin. «Toi qui nous donnes ce pain (ce vin)» devient: «Nous avons reçu de ta bonté le pain (le vin) que nous te présentons».

La prière qui suit, dite orate fratres – que la traduction française de 1970 avait fortement synthétisé en: «Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de tout l’Eglise avec la réponse des fidèles: «Pour la gloire de Dieu est le salut du monde» – reprend son ampleur latine: «Priez, frères et sœurs: que mon sacrifice qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. R/. Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église.» A noter que cette prière avait été maintenue en allemand, en anglais ou en italien et que la formule brève reste une variante possible.

Pour la prière eucharistique, par souci d’adéquation avec le récit évangélique, «Il prit le pain, le bénit…» devient: «il prit le pain, dit la bénédiction…»

La prière après le Notre Père est elle aussi ›relatinisée’. Le prêtre dira: «Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps: soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve; et nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance: l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur.»

Dans une traduction plus biblique, avant la communion, le «repas du Seigneur» devient le «repas des noces de l’Agneau».

Enfin le traditionnel «Allez dans la paix du Christ» qui marque la fin de la célébration se voit adjoindre trois variantes: «Allez porter l’Évangile du Seigneur» ou «Allez en paix, glorifiez le Seigneur par votre vie» ou encore plus simplement:«Allez en paix».

Le Missel à travers l’histoire

Une édition de 1729 du Missel romain

Le missel est le livre destiné à la célébration de la messe. Mais il n’en pas toujours été ainsi. Pendant le premier millénaire, les trois livres utilisés pour l’eucharistie étaient le sacramentaire (prières pour l’évêque ou le prêtre), le lectionnaire (pour la proclamation de la Parole de Dieu), et l’antiphonaire (pour les chantres). L’eucharistie impliquait donc divers ministres.

Charlemagne, empereur d’Occident de 800 à 814, joua un rôle important dans l’histoire de la liturgie en utilisant celle-ci comme outil d’unification de son empire. Il choisit d’imposer aux divers peuples, parlant différentes langues, la liturgie de l’Église de Rome célébrée en latin. Les savants et liturgistes qui entouraient l’empereur ont alors complété cette liturgie romaine qui devint ainsi une liturgie romano-franque en latin.

A tournant du millénaire, se développe la pratique de la messe privée, célébrée par le prêtre seul, sans assemblée. D’où la composition d’un «missel plénier» comportant tous les éléments: prières, lectures, et chants. Une pratique avalisée et formalisée par la réforme du pape Grégoire VII (1073-1095). Le Missale Romanum (1570) du concile de Trente, publié pour rétablir la paix liturgique après les tumultes causés par le Réforme protestante, a repris ces mêmes éléments jusqu’à Vatican II.

Pas que des heureux!
Plusieurs de ces changements sont heureux, d’autres discutables, d’autres encore assez insignifiants ou superflus, juge sur Facebook, le prêtre valaisan Michel Salamolard. «De toute façon, il faudra s’y habituer et y habituer les fidèles. En espérant la fin de ce genre de réformettes coûteuses et pas vraiment indispensables.» «On aurait pu épargner à nos paroisses et à nos communautés les dépenses liées à ce «nouveau» missel, doucement rétrograde.» «Heureusement, une pénurie de papier retarde la diffusion de ce missel romain. Ce qui permet à tous de souffler et de voir venir. Merci, la Providence!» conclut-il ironiquement.
Sœur Isabelle Donegani: «Un scandale de plus? Au royaume du superflu? Non: du rétropédalage qui a abusé de la réelle compétence d’une saine équipe de très compétents liturgistes (prêtres et laïcs, hommes et femmes) pour restaurer un pseudo meilleur latin plus près des cieux… Boursoufflure dont l’Église se serait bien passée…»

La réforme liturgique de Vatican II, dont les prémisses remontent au Mouvement liturgique du milieu du XIXe siècle, est dictée par les textes du concile Sacrosanctum Concilium et Lumen Gentium. Elle a mis en valeur l’Église en tant que communion et la liturgie comme «l’Église en prière», d’où un style nouveau de célébration. La communauté se rassemble autour de l’autel et les ministères sont redistribués, en particulier celui du diacre et du lecteur. La concélébration est retrouvée. Le passage du latin aux langues vivantes doit favoriser la participation de tous les fidèles. La Parole de Dieu est plus largement accueillie notamment par l’introduction d’un cycle de lectures bibliques sur trois ans.

Depuis le Concile, trois éditions typiques du Missel se sont succédé, en 1970, 1975 et 2000. Le présent Missel Romain en français est la traduction de l’édition typique de 2000.

Le Missel est au service de la célébration, comme la partition musicale est au service du concert. L’acte musical ou la musique vivante dépasse toutefois la seule partition !, image le Père André Haquin de la Commission interdiocésaine de pastorale liturgique de Belgique. L’objectivité de la liturgie dépasse néanmoins la sensibilité propre à tel prêtre ou à telle communauté, car personne n’est propriétaire de la liturgie. Même si le célébrant principal doit s’adapter et tenir compte de l’assemblée, des circonstances et des cultures, précise-t-il. (cath.ch/mp)

Un livre imprimé en Italie
Le gros ouvrage de plus de 1’500 pages est imprimé et relié à Vicenza au nord de l’Italie

Et en allemand?
L’histoire de l’élaboration de la nouvelle traduction du Missale Romanum en langue allemande est mouvementée et a connu plusieurs rebondissements sans pour autant aboutir. En 2001, l’instruction romaine Liturgiam authenticam avait demandé que soit revue la traduction du Missel de 1970. À côté des groupes de travail mis en place par les Commissions de liturgie des Conférences épiscopales des pays germanophones, la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements avait constitué, de sa propre autorité, une commission d’évêques germanophones chargée de la traduction: Ecclesia Celebrans.
Compte tenu de la réaction négative de nombreux évêques, le travail réalisé par la commission Ecclesia Celebrans n’a pas été approuvé par les Conférences épiscopales d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse. De ce fait, le travail de l’autre Commission, mise en place par les Conférences épiscopales, est lui aussi resté en attente. La publication en 2017 du Motu proprio Magnum Principium du pape François a permis de clore, au moins momentanément, le débat et a mis fin, de facto, à la Commission Ecclesia Celebrans. L’édition d’un nouveau Missel ne semble toutefois pas être une priorité actuelle dans les pays germanophones.
En italien
Après quinze ans de travaux, la Conférence épiscopale italienne a publiée sa traduction du missel en été 2020. Il a été introduit, y compris en Suisse italienne, pour l’Avent 2020. MP

Maurice Page

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