Mgr Selim Jean Sfeir, qui a été élu en juin dernier à la tête des quelque 10’000 fidèles maronites de l’île, se confie sur ce qu’il attend de la visite du pape, du 2 au 6 décembre prochain, et sur la situation de sa communauté à Chypre.
Pourquoi, selon vous, le pape François a-t-il choisi de se rendre à Chypre?
Le pape François, dès son élection au trône de Pierre, a voulu être un apôtre des nations; il n’a donc pas cessé de nous inviter, nous les croyants, à nous déplacer «dans les périphéries» pour rencontrer nos frères. Ayant la charge pastorale de toutes les communautés, en particulier celles des périphéries, le pape a ainsi voulu venir visiter Chypre, l’île de l’apôtre Barnabé.
Le peuple chypriote est très heureux d’accueillir celui qui est le pape des vulnérables et des nécessiteux. Cette visite aidera tous les habitants de l’île à vivre dans l’unité fraternelle et la coexistence pacifique. Durant trois jours, Chypre sera à la Une des journaux du monde entier et c’est une très bonne chose.
Pouvez-vous nous dire qui sont les maronites vivant à Chypre?
La présence des maronites à Chypre remonte au VIIe siècle et a atteint son apogée démographique aux XIIe-XIIIe siècles. Au cours de la période ottomane, la présence maronite a marqué un déclin important. Il y aurait eu 80’000 Maronites au XIIIe siècle à Chypre. Ils étaient présents dans une soixantaine de villages. Avec l’arrivée des Ottomans sur l’île en 1572, la population a commencé à diminuer. En 1680, des sources disent qu’il n’y avait plus que 180 maronites.
À l’époque moderne, les villages maronites étaient cantonnés dans quatre villages situés au nord de l’île, à savoir: Kormakiti, Asomatos, Agia Marina et Karpasha. Mais après les événements de 1974, l’île a été divisée en deux parties, et la plupart des maronites ont fui vers le sud, où de nouvelles paroisses ont été fondées. Les maronites de Chypre sont donc un peuple déplacé. Au Nord désormais se trouve une administration locale subordonnée à la République turque gérée et réglementée par une Constitution spéciale, complètement séparée du système étatique de la démocratie chypriote.
«Les maronites de Chypre sont un peuple déplacé.»
Finalement, les maronites qui vivent à Chypre sont originaires d’ici. S’ajoutent ceux qui sont venus sur l’île dernièrement et dont l’origine est libanaise ou bien d’autres pays arabes.
Rest-il des maronites dans la partie nord de l’île?
Oui, il reste quatre villages maronites mais ils sont presque inhabités. Il reste surtout des personnes âgées. Les jeunes ont migré vers le sud. Dans les villages de Kormakiti et de Karpasha, il y a quand même un curé permanent. Il m’arrive par ailleurs d’y aller pour célébrer la messe, comme ce fut le cas à la Toussaint dernière. Il n’y a pas de difficulté à passer du sud au nord et du nord au sud.
On aime attirer l’attention sur le fait que parmi les maronites qui vivent et travaillent au sud – là où nous avons des paroisses établies après 1974 –, beaucoup vont dans les villages maronites du nord pendant leurs weekends pour visiter leurs parents. Cela renforce leur sentiment de conservation de leur identité. De plus, un certain nombre de familles ont décidé de s’installer dans les villages du nord et passent chaque jour la frontière pour aller travailler.
De notre côté, comme Églises et communautés civiles, nous essayons de créer des occasions de rencontre afin que les nouvelles générations aient la possibilité de se retrouver davantage au village, d’apprendre à aimer et à s’attacher plus encore à la terre de leurs ancêtres.
Quelles sont aujourd’hui les relations entre les communautés turco-chypriotes et greco-chypriotes de l’île?
En fait, les gens entre eux ont une grande relation d’amitié, de solidarité, de bienveillance et de compréhension. Nous sommes Chypriotes, au sud, au nord, à l’est, à l’ouest. Il y a même des activités culturelles musicales et sportives communes. Au niveau des responsables religieux, de nombreuses rencontres sont organisées, notamment sous les auspices de l’ambassade de Suède.
«Nous sommes Chypriotes, au sud, au nord, à l’est, à l’ouest.»
En soi, les éléments qui rapprochent les deux communautés sont bien plus importants que ceux qui les séparent. Au niveau des gens ordinaires, les relations ont toujours été harmonieuses. Les Chypriotes turcs, avant les événements de 1963 et l’invasion turque de 1974, étaient totalement dépendants des Chypriotes grecs. Après l’invasion, les contacts ont perduré.
Les seuls éléments qui séparent les deux communautés sont la religion et le nationalisme des jeunes Turcs, cultivés là où la Turquie a des intérêts et veut maintenir une identité turque forte. Cela existe depuis le début de l’invasion mais sans parvenir à séparer les deux communautés. Elles continuent à entretenir de bonnes relations entre elles. Au final, la politique et les intérêts de chaque État sont le point culminant de chaque conflit. Et à Chypre les intérêts politiques ont amené une rupture dans les relations, sous couvert de sentiment religieux.
Lors de son voyage à Chypre, le pape François rencontrera des réfugiés. D’où viennent-ils et comment votre communauté réagit-elle à ces venues de migrants?
Les réfugiés viennent de partout, surtout de Syrie. Comme dans tous les autres pays qui les accueillent, la crise migratoire engendre des difficultés. Mais, comme le pape François l’indique, la mission chrétienne est d’être un signe d’amour et de consolation pour le plus vulnérable.
Dans notre archiéparchie, nous accordons une attention très importante à la manière d’être solidaires vis-à-vis des réfugiés, en essayant de faire en sorte qu’ils conservent leur dignité humaine. Ici, le service des migrants se fait à travers Caritas Chypre, présente dans chacune de nos paroisses catholiques. Nous essayons d’apporter aux réfugiés une ambiance de famille afin qu’ils se sentent entourés et aimés.
«Au cours de cette visite, nous partagerons notre longue expérience, en montrant comment les Catholiques, les Orthodoxes et les Musulmans peuvent vivre ensemble»
La Caritas est devenue une institution reconnue dans sa gestion des personnes migrantes et le gouvernement est attentif à la manière dont nous sommes mobilisés.
Que voudriez-vous que cette visite du pape François laisse comme fruits sur votre île?
La visite du Saint-Père est un signe d’amour et de fraternité pour toutes les Églises. Au cours de cette visite, nous partagerons notre longue expérience, en montrant comment les Catholiques, les Orthodoxes et les Musulmans peuvent vivre ensemble, malgré leurs différences religieuses, en portant les fruits de la paix et de la communion dans le monde.
Comme Jean-Paul II l’avait dit à propos du Liban, on pourrait dire que Chypre est aussi un message, une mosaïque qu’il faut protéger. (cath.ch/imedia/hl/bh)
Mgr Selim Jean Sfeir
Mgr Selim Jean Sfeir est né le 2 septembre 1958 à Keserwan, au centre du Liban. Il parle arabe, français, italien, anglais et grec moderne. Après ses études au séminaire maronite patriarcal de Ghazir (Liban), il a été ordonné prêtre le 22 mai 1988 pour le vicariat patriarcal de Sarba (Liban).
Il a obtenu une licence en théologie de l’Université Saint Esprit de Kasklik, au Liban, en droit canon oriental de l’Institut pontifical oriental de Rome (Italie) et un doctorat en en droit canon et en droit civilde l’Université pontificale du Latran (Italie). Il a été vicaire puis curé au Liban et à Chypre, ainsi que vicaire judiciaire et président du tribunal de l’archiéparchie maronite de Chypre. TSM
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