Christine Mo Costabella
En Suisse, l’infertilité touche un couple sur dix, et plus d’un couple sur quatre après trente ans. Dans une série de témoignages, cath.ch donne la parole à des catholiques qui racontent comment ils font face à cette épreuve. Place cette fois-ci à un théologien: Thierry Collaud, professeur d’éthique sociale chrétienne à l’Université de Fribourg, nous explique la position de l’Église catholique sur la procréation médicalement assistée (PMA).
Pourquoi l’Église est-elle contre la PMA?
Thierry Collaud: Historiquement, cette opposition est liée à son attitude face à la contraception. L’Église catholique pense qu’il n’est pas juste de casser l’unité entre la sexualité et la procréation. Mais assez rapidement, d’autres difficultés morales sont apparues avec le développement des techniques médicales. Il y en a principalement trois.
Lesquelles?
D’abord, le respect de l’embryon. Si on développe plusieurs embryons en laboratoire, mais qu’on n’en implante qu’un ou deux, que fait-on des autres? Va-t-on les congeler en attendant qu’ils répondent à un projet parental? Les donner à la recherche? Les détruire? C’est une question morale qui interpelle bien au-delà de l’Église.
Ensuite, il y a la question du diagnostic préimplantatoire. Celui-ci est une extension quasi inévitable de la procréation médicalement assistée. Car une fois qu’on a créé plusieurs embryons, lesquels choisir? Le problème est perceptible dans la question: l’être humain n’est pas un objet qu’on sélectionne en fonction de ses qualités ou de défauts jugés rédhibitoires.
Enfin, il y a la question des donneurs. Pour l’Église, l’enfant naît d’un couple. Faire intervenir un tiers qui fournit le spermatozoïde ou l’ovule, cela fait éclater l’unité de l’origine de l’enfant.
Vous évoquez les embryons surnuméraires. Pourtant, dans la nature, de nombreux embryons ne se développent pas… Le processus de sélection n’est-il pas le même?
Oui et non. En laboratoire, on sélectionne l’humain de manière consciente, contrairement à la nature qui agit aveuglément. Si l’on suivait votre raisonnement, on s’autoriserait un tas d’actions qu’on s’interdit habituellement, avec pour seule justification que cela se produit dans la nature. La nature est ambiguë. L’humain est là pour la penser et la dépasser.
Que fait-on de l’autre qui n’est pas comme on voudrait qu’il soit? Lui ferme-t-on la porte, le renvoie-t-on? C’est la même problématique avec les réfugiés. En éthique sociale comme en éthique médicale, la cohérence du discours de l’Église consiste à dire que le petit, le faible, le cabossé a toujours sa place dans notre monde, alors que la sélection naturelle aurait tendance à l’éliminer.
On a l’impression que l’Église s’oppose sans nuances à la PMA. Pourtant, une insémination artificielle au sein d’un couple ou une fécondation in vitro avec donneurs de gamètes, voire avec mère porteuse, cela ne pose pas les mêmes questions éthiques…
Sans doute, mais faut-il commencer à catégoriser les pratiques par des oppositions «une étoile», «deux étoiles», etc.? Je crois qu’il faut réfléchir autrement. L’Église doit donner des clés de discernement, pas distribuer des interdits.
On devrait parler de balises. Quand vous vous promenez dans la forêt, il y a des petits panneaux jaunes qui vous indiquent un chemin sûr. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucun autre itinéraire possible! On peut prendre une variante, mais il y a des chemins de traverse qui sont très caillouteux, d’autres qui longent des précipices… Si l’Église ne signalait pas ces difficultés, elle ne serait pas dans son rôle. Mais c’est aux personnes de choisir en conscience leur itinéraire. Et le rôle de l’Église est également d’accompagner ceux qui ont transgressé et qui, peut-être, se sont blessés en chemin.
Mais il est compliqué de chercher un accompagnement si l’Église dénonce la voie qu’on a choisie…
C’est toute la difficulté! Il faut que l’Église dise ce qu’elle pense des techniques de PMA. En même temps, face aux situations concrètes, elle ne peut pas tenir le même discours que dans un cours ex cathedra. La prédication n’est pas l’accompagnement. Nous sommes assez forts, dans l’Église, pour dire ce qui est noir et ce qui est blanc. Mais nous devons devenir créatifs pour accompagner les zones grises, car c’est souvent là que se trouve l’humain.
En 1968, l’encyclique Humanae vitae condamnait la pilule contraceptive. Cela a poussé beaucoup femmes à tourner le dos à l’Église. Avec le problème croissant de l’infertilité, la condamnation de la PMA ne risque-t-elle pas de creuser à nouveau l’écart avec les couples?
Si l’Église catholique n’adapte pas son langage, oui! Ce qui ne veut pas dire qu’elle doive verser dans le relativisme. Bien des couples engagés dans un parcours de procréation médicalement assistée témoignent de leurs difficultés dans la jungle médicale. Tout n’est pas rose dans la PMA. Dire: «Faites comme vous voudrez» ne résoudrait pas le problème.
Ensuite, vous mentionnez Humanae vitae: cette encyclique ne parle pas que de contraception! Elle aborde le rapport de l’homme et la femme, la sexualité,… C’est en partie le regard extérieur sur l’Église qui la pousse à simplifier ses positions. Dès qu’il y a une votation, des journalistes viennent me demander si l’Église est pour ou contre telle ou telle pratique. Il est difficile de faire exister la nuance dans le débat public.
La doctrine est rédigée par des hommes, et des hommes célibataires qui ne sont pas en prise directe avec les questions qu’ils traitent. Le problème ne vient-il pas également de là?
Pour réfléchir au statut de l’embryon, à la légitimité de trier ou non les êtres humains, je ne vois pas en quoi des hommes célibataires seraient moins légitimes – même si, par ailleurs, je pense qu’il y en a trop dans la hiérarchie de l’Église.
Mais une fois qu’on a fourni des outils de réflexion, il faut redescendre dans le réel. Que fait-on des couples stériles? Comment souffrir avec eux? Comment les accompagner avec compassion, même si on n’est pas d’accord avec leurs choix?
Peut-être que des couples qui ont vécu des situations semblables sont en effet mieux placés pour pratiquer l’accompagnement. Nous, moralistes, devons à tout prix écouter ces gens. Que fait-on avec des histoires vraies? Au lieu de se demander uniquement que faire avec ce qui est écrit dans les livres. (cath.ch/cmc)
Christine Mo Costabella
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