APIC – Reportage
Les forces montantes de l’Eglise grecque-catholique
Maurice Page, Agence APIC
Krechiw/Ukraine, 19mai(APIC) Pour atteindre Krechiw, un petit village à
une vingtaine de kilomètres de Lviv, notre chauffeur doit demander plusieurs fois son chemin. La signalisation est sommaire et la cirulation est
rare sur les routes défoncées d’Ukraine occidentale. A partir du village,
c’est une route de terre poussiéreuse qui nous conduit au monastère St-Nicolas, le but de notre visite.
Quelques vaches paissent librement dans les champs, gardées tantôt par
des enfants, tantôt par un veillard. Des promeneurs assez nombreux profitent du soleil de ce dimanche après-midi. A gauche sur une pente, le cimetière du village aligne ses croix de pierre ou de bois peintes en bleu.
Au bout d’une longue allée se dessine bientôt le portail du monastère
flanqué d’échafaudages qui indiquent que comme partout en Ukraine on
s’affaire à la reconstruction. Tapis au fonds d’un vallon boisé le
monastère semble hors du temps, hors du monde. Rien de prime abord ne
laisse deviner que ces murs abritent une communauté de quelque 80 jeunes
religieux basiliens âgés de 17 à 25 ans. Comme ailleurs l’église a été le
premier bâtiment restauré. Ses coupoles argentées brillent à nouveau au
soleil de printemps. Sur un banc au pied d’une statue de la Vierge, deux
femmes et un jeune homme discutent.
Depuis sa restitution, le monastère est devenu le postulat et le
noviciat des basiliens, une des principales congrégation masculine de
l’Eglise grecque-catholique. Les jeunes accomplissent ici deux ans de
formation. Après un an de postulat – au terme duquel ils prennent leur nom
et leur habit religieux – puis un an de noviciat, ils rejoignent la maison
mère à Lviv pour se consacrer à l’apostolat notamment dans la presse et les
médias, explique le Père Josaphat Vorotniak, un des responsables de la
maison. Ukrainien de Serbie, né en Voïvodine, la cinquantaine épanouïe, le
Père Josaphat nous fait visiter le monastère. Il parle avec précision et
nuance de la situation des Eglises du pays.
La renaissance d’un couvent séculaire
Si la restauration extérieure est terminée, l’intérieur de l’église est
encore en chantier. Les échafaudages cachent à nos yeux les précieuses
fresques du XVIIIe siècle de ce bel édifice surmonté d’une coupole
circulaire. Les murs sont couverts de nombreux graffitis. «L’oeuvre d’enfants handicapés logés dans ces bâtiments aprés l’expulsion des religieux
en 1948, deux ans après la suppression de l’Eglise grecque-catholique par
Staline en 1946″, commente notre guide. Les travaux de restauration sont
financés par le diocèse allemand de Mayence. Au moyen de tentures et de
quelques bouts de tapis le lieu est aménagé pour y célébrer la messe, les
Grecs-catholiques de certains villages avoisinants qui n’ont pas récupéré
leur église y viennent le dimanche. Pour les offices de semaine les religieux ont une autre chapelle où sont conservées deux icônes miraculeuses
vers lesquelles on venait autrefois en pèlerinage.
Avant l’établissement du monastère au XVIIe siècle, des ermites vivaient
déjà dans les grottes des collines avoisinantes. C’est en 1700, un siècle
après le traité de Brest-Litovsk qui fonda l’Eglise uniate que le monastère
de Krechiw rejoint l’Eglise grecque-catholique unie à Rome dont il devint
rapidement un des centres spirituels et culturels importants. Les bâtiments
actuels datent du XVIIIe et du XIXe siècle. En 1991, le gouvernement les a
restitués aux Basiliens, mais n’a pas rendu par contre les autres
propriétés et les terres du monastère. «Nous sommes obligés de racheter des
biens qui nous appartenait autrefois», constate le Père Josaphat. «Nous
avons des ateliers qui s’occupent des rénovations, mais pas d’exploitation
agricole en dehors du jardin et du verger». Les trois tracteurs presque
neufs et les machines parqués dans la cour n’appartiennent pas aux
religieux. Ils sont là uniquement pour les protéger du vol. Evocation
discrète d’une des plaies du pays où seule l’économie parallèle basée le
plus souvent sur le détournement des biens d’Etat permet de subsister.
Un verger, un terrain de football et un jardin
En passant un portail on pénêtre dans le verger en fleurs entièrement
clos par un haut mur en piteux état. «Les gens sont venus se servir des
pierres pour construire leur maison», commente notre interlocuteur. Au fond
on a aménagé un modeste terrain de football pour la détente des novices
dont un petit groupe assis sur les bancs du jardin nous fait un discret salut de la main sans interrompre ses conversations. Un carré de terrain labouré est apprêté pour recevoir les concombres et les tomates, légumes que
l’on retrouve pratiquement à tous les repas en Ukraine. Eléments importants
de la cuisine locale, qui suppléent largement aux pénuries d’autres aliments.
Dans la forêt de l’autre côté du mur, les religieux ont érigé un chemin
de croix qui monte jusqu’au sommet de la colline. «Nous aimerions bien le
sonoriser pour les pélerinages, notamment la fête de St- Nicolas, patron du
monastère, qui attire des milliers de fidèles». Pour cette année, le Père
Josaphat annonce avec fierté la présence du Nonce apostolique. Il attend au
moins 5’000 personnes, bien conscient de lancer un sérieux appel du pied
aux éventuels donateurs occidentaux.
L’horizon du Père Josaphat et des basiliens est loin de se limiter aux
murs du couvent ou aux collines avoisinantes. La Congrégation des basiliens
forme l’aile «romaine» de l’Eglise grecque-catholique d’Ukraine. Elle cultive de nombreux contacts avec les catholiques romains d’Europe occidentale
notamment par l’édition à Lviv d’un bulletin d’information bimestriel en
allemand. Les basiliens, également établis dans plusieurs autres pays d’Europe de l’est, ont déjà largement intégré la pensée et l’enseignement du
Concile Vatican II. Le Père Josaphat sourit: «Et dire que ma soutane m’a
fait parfois passer pour un intégriste dans certains séminaires allemands…» «Une tendance plus orthodoxe et parfois anti-conciliaire existe
aussi dans l’Eglise grecque-catholique,» explique-t-il.
Le curé orthodoxe interdit l’entrée de l’église aux grecs-catholiques
Face au défi de la reconstruction, à l’opposition de l’Etat et de
certains orthodoxes, les tensions internes passent au second plan. Comme
partout en Ukraine, la question de la restitution des églises reste au premier plan. «Avant 1946, l’Ukraine occidentale était presque exclusivement
grecque-catholique, aujourd’hui les autorités, formées d’ex-communistes le
plus souvent athées, ont attribué quelques églises aux orthodoxes de Mgr
Valdimir (patriarcat de Moscou ndlr) et aux autocéphales. Ceci pour éviter
de donner trop de pouvoir aux grecs-catholiques», remarque le Basilien.
Nous venions effectivement de croiser en venant au monastère un groupe célébrant la liturgie en plein-air devant une église. «Le curé orthodoxe interdit l’entrée de l’Eglise aux grecs-catholiques». Pourtant doctrinalement
et liturgiquement grecs-catholiques et orthodoxes sont très proches. «Nous
avons quelques différences dans la pratique des sacrements en particulier
de la réconciliation et de l’Eucharistie.»
Le Père Vorotniak s’éclipse quelques instant. Il revient les bras
chargés du dernier numéro de Forum, la revue des basiliens qu’il distribue
généreusement. La première phrase de l’éditorial dit: «Forum doit servir à
la recherche de la vérité à une meilleure compréhension de la problématique
oecuménique et doit aider nos lecteurs à se faire une image plus précise de
la situation de l’Eglise en Ukraine, en Biélorussie et en Russie.» Mission
accomplie en ce qui nous concerne. (apic/mp)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’agence APIC
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