Un jour pourtant il était vigoureux, branché, lourd de fruits, flamboyant de feuilles d’automne, passerelle à écureuil, trône à insecte, refuge des oiseaux, élégant, admirable, costaud. Et le voilà lamentable, tordu, inerte, traînant à terre les pâles reflets de sa splendeur d’antan! Du bois d’Alzheimer, de Charcot, d’impotence. Du bois à l’agonie, immobile, incapable de danser au vent, friable, fardeau.
Une femme passe qui ne vaut guère mieux, usée, à bout de ressources. Elle s’arrête, le remarque, le prend en main, le porte à bout de bras, le serre contre son sein, lui offre un dernier souffle. Pour elle, il est précieux. Il crépite, elle se réchauffe. Il brûle, elle espère. Il se consume, s’offre. Elle offre à son tour. Il s’éteint, ravive en elle une flamme. La vie jaillit et dévoile la mystérieuse beauté de l’inutile. Jamais dans ses jours de vigueur il n’avait donné tant de lumière.
Sarepta-les-ordinaires. Un n’importe-où biblique, un au-delà du connu, une fenêtre ouverte sur un monde ignoré. Seuls les prophètes s’y aventurent. Elie fait halte, sollicite, déploie le bourgeon recroquevillé, révèle la rose. La Rose de Sarepta. Son passé saigne encore et elle n’a pas d’avenir. Alors Elie l’invite à la plénitude du présent. La rencontre vraie met deux êtres debout et dresse une table pour un autre.
«Comme l’Elie de l’Horeb, Jésus respire le souffle ténu qui bat dans le cœur de cette femme, perçoit le scintillement généreux qui l’anime.»
L’intensité du rendez-vous ricoche, traverse les âges, résonne en écho. Jésus attend déjà. Une autre femme fait irruption. Noyée dans la fourmilière anonyme des pèlerins du Temple, elle passe inaperçue. Le narrateur ne perd pas de temps à la décrire et tire son portrait en négatif. Deux mots comme deux piécettes: veuve et pauvre. Une spécialiste du manque. Laissée sur place mais pas immobile, elle avance. Sans biens, mais non sans bonté. Elle donne. Le texte dira cette phrase insensée: «de son manque elle a jeté sa vie entière.» Sans qu’on la remarque.
La multitude des yeux de la foule l’ignore; d’autres flashent sur le clinquant des tenues d’apparat, éblouis et donc aveugles. Un seul regard se pose, repère l’aiguille dans la botte de foin, extrait la perle précieuse. Comme l’Elie de l’Horeb, Jésus respire le souffle ténu qui bat dans le cœur de cette femme, perçoit le scintillement généreux qui l’anime. Elle a perdu son mari, mais elle a entretenu l’amour.
Un amour si grand qu’il n’a plus besoin de retour. Elle donne. Un inconnu recevra. Elle vit sa réciprocité dans la joie d’une autre joie. L’alliance s’inscrit dans l’invisible. Son geste rejoint celui du Créateur et en écho celui du Fils: il a jeté sa vie entière.
Didier Berret | Vendredi 5 novembre 2021
Mc 12, 41-44
En ce temps-là,
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor,
et regardait comment la foule y mettait de l’argent.
Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.
Une pauvre veuve s’avança
et mit deux petites pièces de monnaie.
Jésus appela ses disciples et leur déclara :
« Amen, je vous le dis :
cette pauvre veuve a mis dans le Trésor
plus que tous les autres.
Car tous, ils ont pris sur leur superflu,
mais elle, elle a pris sur son indigence :
elle a mis tout ce qu’elle possédait,
tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/blogsf/evangile-de-dimanche-deux-veuves/