Rencontre pape François – Narendra Modi: un signe pour les minorités?

Le pape François reçoit, le 30 octobre 2021 au Vatican, le Premier ministre indien Narendra Modi. Cette audience historique – les deux hommes ne se sont jamais rencontrés – se déroule en marge du G20 organisé à Rome. Elle pourrait consacrer un signe important pour les minorités en Inde, estime Mark von Riedemann.

Le président du comité de rédaction du rapport de l’Aide à l’Église en détresse, décrypte pour I.MEDIA les enjeux d’une telle rencontre. Il rappelle la situation des chrétiens – et des autres minorités – en Inde et alerte  sur la montée en puissance du nationalisme hindou.

Comment réagissez-vous à l’annonce de cette rencontre?
Mark von Riedemann:
L’AED se réjouit de la nouvelle de la première rencontre entre le Premier ministre indien Narendra Modi et le pape François. Elle est un signe important, non seulement pour les chrétiens mais aussi pour toutes les minorités religieuses en Inde. L’espoir est que le pape François puisse encourager une culture de dialogue entre les groupes confessionnels et que les chrétiens, et les personnes d’autres confessions en Inde, soient compris et reconnus comme des citoyens indiens à part entière dans le contexte multiculturel du pays.

Mark von Riedemann, directeur international de la communication d’AED-ACN | ACN-Canada

Quel rapport Narendra Modi entretient-il avec l’Église catholique en Inde?
L’Inde est une démocratie multi-religieuse avec une riche histoire de diversité et de pluralisme religieux. Selon la base de données mondiales sur les religions, les hindous représentent 72,5 % de la population, les musulmans 14,5 % et les chrétiens seulement 4,9 %. Ils sont donc une minorité petite mais active.
La constitution indienne garantit la liberté de religion, et le pays possède une forme distincte de laïcité qui s’efforce de traiter les traditions religieuses de manière égale. Sur le terrain aussi, les relations entre les groupes religieux sont généralement très bonnes.
Cependant, l’influence du laïcisme a diminué depuis que le Premier ministre Narendra Modi et son parti – le Bharatiya Janata Party (BJP) – sont arrivés au pouvoir en 2014. Cela s’est manifesté par l’insistance de divers gouvernements, tant au niveau fédéral qu’au niveau des États, à promulguer des lois restreignant la liberté religieuse des personnes. C’est ce qu’a montré notre Rapport sur la Liberté Religieuse publié en avril dernier.

Pourquoi l’AED a-t-elle placé l’Inde dans la liste rouge des pays en matière de liberté religieuse?
Le BJP, revenu au pouvoir avec une victoire écrasante aux élections législatives de 2019, a proposé un appel renouvelé d’un mouvement vieux de plusieurs décennies: le nationalisme hindou. Il s’agit du plus grand mouvement de nationalisme religieux au monde, centré sur une identité essentiellement ethno-religieuse. Il bénéficie d’un large soutien dans les Etats conservateurs de la région de la «Cow belt» [ceinture de la vache, NDLR], au centre et au nord de l’Inde.
Ce phénomène  nationalisme ethno-religieux  est visible non seulement en Inde mais dans de nombreux pays d’Asie à majorité hindoue et bouddhiste où il conduit à une oppression encore plus grande des minorités.

«Dans plusieurs pays, nous avons une combinaison du recul démocratique et de la répression religieuse croissante»

Paradoxalement, l’Inde est à la fois la plus grande démocratie du monde et le foyer nationaliste religieux le plus virulent. Pourquoi?
Depuis les années 1990, la vie politique en Inde est devenue plus compétitive. Un nombre croissant d’Indiens se sont sentis attirés par le message nationaliste hindou selon lequel la culture et l’identité nationale de l’Inde sont essentiellement hindoues. Le BJP s’est appuyé sur ce programme culturel et nationaliste pour porter atteinte à la liberté de religion et à d’autres libertés civiles fondamentales. Il a pris pour cible les musulmans et les chrétiens sur des questions telles que l’abattage des vaches et la conversion religieuse. Nous avons une combinaison du recul démocratique et de la répression religieuse croissante.
L’Inde, mais aussi le Myanmar et le Sri Lanka, se transforment de plus en plus en des régimes autocratiques-démocratiques «hybrides». C’est-à-dire que ces pays combinent des élections régulières avec de sévères restrictions des droits constitutionnels fondamentaux tels que la liberté religieuse.

«La dernière visite d’un pape en Inde remonte à Jean Paul II, en 1999»

Cette rencontre historique entre le pontife et le Premier ministre peut-elle déboucher sur l’annonce d’un voyage du pape François en Inde?
La dernière visite d’un pape en Inde remonte à Jean Paul II, en 1999. Le pape François a exprimé le désir de se rendre dans ce pays. Selon Ucanews, lors du vol de retour de Géorgie et d’Azerbaïdjan, en octobre 2016, le pape François avait déclaré qu’il se rendrait « presque certainement » en Inde et au Bangladesh en 2017. Finalement, il n’avait visité que le Bangladesh et le Myanmar – à la grande déception de la communauté chrétienne indienne. Une visite papale est le fervent espoir des chrétiens indiens, elle serait un renforcement de leur foi et un signe de leur unité et de leur appartenance à l’Église universelle.

«Comme en témoignent ses voyages, le pape François accorde une grande importance à la nécessité du dialogue interreligieux "

Qu’est-ce qu’un voyage du pape pourrait apporter à l’Inde et aux chrétiens ?
Comme en témoignent les voyages du pape François dans le monde entier, le Saint-Père accorde une grande importance à la nécessité du dialogue interreligieux. Ses efforts ont été récompensés par un rapprochement entre chrétiens et musulmans, avec notamment une rencontre en 2019 avec le Grand Imam Ahamad Al-Tayyib d’Al-Azar, chef de file du monde musulman sunnite, suivie de la rencontre en 2020 des deux mêmes chefs religieux aux Émirats arabes unis pour co-signer le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune.
La visite en mars 2021 du pape François en Irak – sa première dans un pays à majorité chiite et qui a marqué la toute première rencontre entre un pape et un grand ayatollah – a là aussi donné lieu à un approfondissement du dialogue interreligieux. À l’issue de la rencontre, le grand ayatollah Sayyid Ali Husaini Sistani a affirmé « son souci que les citoyens chrétiens vivent comme tous les Irakiens dans la paix et la sécurité, et avec leurs pleins droits constitutionnels ».
Le dialogue interreligieux était également au centre de la visite au Bangladesh et au Myanmar. Cet espoir est aussi celui des relations entre toutes les communautés religieuses dans la grande nation de l’Inde. (cath.ch/imedia/cd/mp)

I.MEDIA

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