Anne Kurian, I.MEDIA
Vaticaniste pour le quotidien Il Messaggero, Franca Giansoldati vient de publier un ouvrage sur l’encyclique Laudato si’ (2015)*. Elle souligne que ce document papal a permis de lancer un «travail de fond» dans l’Église et bien au-delà.
Pourquoi le pape, qui était attendu à Glasgow, ne s’y rend-il finalement pas
Je suis stupéfaite de cette décision. Nous savions que le pape devait y aller, que ce devait être un voyage d’une journée, pour l’ouverture de l’événement. Puis nous avons appris que ce serait une délégation conduite par le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin. Mais il n’y a pas eu d’explications officielles. J’ai cherché à savoir, sans recevoir de réponses convaincantes. On m’a dit que le pape avait décidé de ne pas y aller parce que la fête de la Toussaint exigeait sa présence à Rome. Cela me semble absurde. On m’a parlé aussi de problèmes d’organisation. J’ai entendu une troisième hypothèse plausible, que je n’ai pas réussi à faire confirmer: le pape aurait choisi de ne pas y aller car il n’aurait eu qu’un rôle marginal. Si tel est le cas, je pense que cette décision est une erreur, parce que la présence du pape à Glasgow aurait eu un impact énorme, décisif. Son absence reste un grand mystère, c’est l’énigme la plus incompréhensible de l’année. J’espère que le Vatican va l’éclaircir.
À Glasgow, la parole de la délégation du Saint-Siège sera-t-elle écoutée, selon vous?
La figure du pape en soi – ce pourrait être François ou un autre – a un caractère symbolique que ne peut pas remplacer une délégation, même de haut niveau. Le pape a un impact politique car l’Église représente encore une force, un moteur mondial. On lui reconnaît le «soft power», la capacité d’influer sur l’éducation des consciences, comme cela a été souligné spécialement ces derniers mois. En effet, le secrétaire d’État américain, le Premier ministre français, la chancelière allemande, le président irlandais, le Premier ministre italien, ont salué l’engagement du pape. Rappelons-nous qu’en 2015, la ministre française de la Transition écologique Ségolène Royal lui a demandé d’anticiper la publication de Laudato si’ en vue du Sommet sur le climat organisé à Paris quelques mois plus tard. Le «soft power» du pape était déjà reconnu.
«Ces encycliques sociales ont lancé un travail de fond énorme»
Six ans après la publication de Laudato si’, qu’est-ce qui a changé?
Comme un moteur diesel qui a besoin de chauffer avant de passer les vitesses, la machine de l’Église est très lente à démarrer. Mais quand elle commence un chemin, elle avance et elle ne revient plus en arrière. On peut comparer les effets de Laudato si’ à ceux de la première encyclique sociale Rerum Novarum publiée en 1891. Alors que l’Europe était traversée par de grandes questions sociales, ce document mettait au centre l’homme. Ses principes ont infusé lentement: après quelques années, ont commencé à naître les banques populaires, les coopératives pour garantir les droits du travail, et tout cela a contribué au développement économique des pays européens.
De même Laudato si’ a fait du bruit au moment de sa parution. Aujourd’hui, on dirait qu’on n’en parle plus beaucoup, mais en réalité les choses bougent peu à peu dans les diocèses. De plus en plus de paroisses, en Italie, en Allemagne, se dotent d’énergies durables. Ce chemin ne fait pas les Unes, mais il existe. Ces encycliques sociales ont lancé un travail de fond énorme, de prise de conscience progressive, qui compte sur un mouvement à partir du bas, pour interpeler et faire modifier les politiques au sommet.
Le pape François est parfois considéré comme le «pape vert». Ce combat est-il nouveau dans l’Église?
François est le pape de Laudato si’, mais quand il est arrivé au Vatican en 2013, ses prédécesseurs avaient déjà travaillé la question. Le premier pape qui a fait un discours assez articulé sur l’environnement a été Paul VI, à la fin des années 1960. Jean Paul II ensuite a fait beaucoup de discours sur l’écologie. Au fil de ses voyages dans le monde entier pendant ses 26 années de pontificat, il a pu voir de ses propres yeux les bouleversements des écosystèmes, notamment la déforestation. Il voulait faire un document sur le sujet, mais les scientifiques étaient encore divisés sur les causes humaines du changement climatique.
Benoît XVI, lui, a fait deux discours importants au Brésil et en Afrique, mais il avait d’autres priorités, ce n’était pas son point d’attention principal. Le pape François a pris en main ce thème. Il a rassemblé des experts et a écrit son encyclique dont on parlera encore dans 200 ans, parce qu’il traite de façon organique de notre problème principal: la survie humaine.
*»Custodi del creato. Salvare la Terra con la Laudato si’», de Franca Giansoldati (Edizioni San Paolo)
(cath.ch/imedia/ak/rz)
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