Par Camille Dalmas/I.Media
En 2019, après un signalement interne, la justice du Vatican avait ouvert une enquête sur les conditions d’acquisition d’un immeuble londonien, au 60, Sloane Avenue, par la Secrétairerie d’État – l’administration centrale du Saint-Siège. L’investissement, initié en 2013, a été financé avec l’argent du fond de gestion du Denier de Saint-Pierre, soit les dons des fidèles.
L’opération a été confiée à un banquier italo-britannique, Raffaele Mincione, et semble avoir été détournée de son but originel. Après un long examen, les promoteurs de justice du Vatican considèrent qu’elle aurait entraîné pour le Vatican un surcoût estimé entre 76 et 166 millions d’euros. Dix personnes ont été convoquées par le tribunal de la Cité du Vatican afin de répondre de leurs actes.
À l’origine de l’investissement, on retrouve Angelo Becciu, l’ancien Substitut de la Secrétairerie d’État (le «numéro 3» du Saint-Siège) créé cardinal et fait «ministre» de la Curie en 2018. Démis de ses fonctions en septembre 2020 par le pape François, le Sarde est aujourd’hui accusé de «détournements de fonds et d’abus de pouvoir, en bande organisée et avec subornation».
Il devra en premier lieu expliquer dans quelles conditions il a autorisé l’opération financière. Mais ce n’est pas tout: le recrutement de Cecilia Marogna, spécialiste de «diplomatie informelle», pose question, tout comme un potentiel détournement de fonds vers la Sardaigne. Si l’implication précise du haut prélat déchu est aujourd’hui peu claire, sa mise en examen est en soi un événement historique. Du fait d’une récente réforme du pape François, il est en effet le premier cardinal à être jugé par un tribunal civil, ce qui s’avère être un signe fort du processus de réforme de la justice du Vatican entrepris par le pontife.
En plus du cas du cardinal Becciu, le procès sera l’occasion de se pencher sur la très discrète «Section pour les Affaires générales» ou «Première section» de la Secrétairerie d’État qu’il a longtemps dirigée. Mgr Mauro Carlino et Fabrizio Tirabassi, membres de cette puissante administration centrale très opaque, sont mis en examen. Leur lien avec des milieux d’affaires italiens, suisses et anglais, mais aussi avec des organismes financiers du Saint-Siège tel que l’ASIF (Autorité de surveillance et d’information financière) vont être étudiés.
L’important dossier accompagnant la citation à comparaître du Promoteur de justice parle d’un véritable «système» au cœur du plus petit État du monde, mais révèle aussi une certaine incompétence au plus haut niveau. Si le programme de réforme des finances du Vatican par le pape François paraît avoir devancé le procès – la Première Section ayant par exemple été privé de tout pouvoir économique en décembre dernier – ce procès sera malgré tout aussi celui du modus operandi de cette haute administration vaticane.
Si le pontificat du pape François est décrit par certains comme un mouvement de modernisation et de renouveau pour l’Église catholique, l’affaire de l’immeuble de Londres renvoie au contraire à une regrettable tradition au Vatican: celles des affaires financières. Un mal régulier depuis près de quarante ans, du scandale de la banque Ambrosiano – utilisée par la mafia – jusqu’à la récente condamnation du président de l’Institut des Œuvres de Religion (la banque privée du Vatican) en janvier dernier.
Ces références qu’on pensait oubliées ont étrangement ressurgi des limbes après la mise en examen de Cecilia Marogna. Le carnet d’adresse de cette conseillère du cardinal Becciu, que les Italiens désignent malicieusement sous le nom de «Lady Cardinal», contient en effet des noms de personnalités peu recommandables, en particulier certains nostalgiques de la célèbre «Loge P2» ou des portes-flingues de la Cosa Nostra…
Le procès s’annonce comme un moment décisif pour la crédibilité de l’Église catholique et du pontificat du pape François. D’abord financièrement: outre les pertes directes très directement préjudiciables au bon fonctionnement d’un Saint-Siège en difficulté financière, l’utilisation de l’argent des fidèles dans l’opération – remboursé ensuite par le Saint-Siège – est un facteur aggravant.
Le Vatican craint en effet que les laïcs, à force de scandales, cessent de financer le Saint-Siège… Et de fait, une baisse des dons est déjà observable. Dans un autre registre, le sort réservé au cardinal Becciu, ami personnel du pape François, met en jeu la crédibilité de l’action de ce dernier contre le «fléau» du cléricalisme, cette rigidité hiérarchique dans l’Église que le pontife n’a de cesse de combattre. La crédibilité du fonctionnement de son administration sera aussi largement examinée, en particulier alors que s’approche la promulgation d’une nouvelle constitution censée réformer la Curie.
Mais plus symboliquement, c’est surtout la crédibilité morale de l’Église catholique qui est en jeu ici. Le grand écart entre les exhortations franciscaines du pape contre la finance globalisée et les dérives mafieuses observées au plus près du trône de Pierre paraît de fait difficilement tenable. (cath.ch/imedia/cd/bh)
Rédaction
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