Le char d’assaut roule avec fracas dans la campagne bosniaque en cet été 1995. Il écrase inexorablement les objets du quotidien, brouettes ou tonneaux, sur son passage. Des premières images de La voix d’Aida qui résument à elles seules la trame du film, une lutte désespérée contre une implacable machine de destruction.
L’œuvre raconte l’histoire d’Aida Selmanagic. La professeure d’anglais de Srebrenica est traductrice pour les Nations Unies, alors que l’armée serbe envahit la ville, en juillet 1995. Sa famille fait partie des milliers de civils qui partent chercher refuge dans un camp de l’ONU tenu par des soldats néerlandais.
Au cœur des négociations, Aida a accès à des informations cruciales qu’elle doit traduire. Elle en sait beaucoup, trop même pour se contenter d’accepter les promesses effectuées par les dirigeants et rester insensible face à ce qui est en train de se passer. Aida met alors tout en œuvre pour protéger son mari et ses deux fils.
Bien que certains des personnages soient fictifs, le film décrit de façon absolument authentique les événements qui se termineront par l’exécution de plus de 8’000 hommes et adolescents musulmans bosniaques par les forces serbes.
La voix d’Aida a été sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Il a également été distingué du Prix du jury SIGNIS, en 2020, à la Mostra de Venise. SIGNIS, créée en 2001, est l’Association catholique mondiale pour la communication. Sa mission est de s’engager aux côtés des professionnels des médias pour contribuer à «transformer nos cultures à la lumière de l’Evangile en promouvant la dignité humaine, la justice et la réconciliation».
C’est principalement ces derniers principes que le jury catholique a voulu mettre en avant en distinguant le film de Jasmila Zbanic. «Les paroles de l’apôtre Pierre ›Quo vadis’ (selon le titre anglais ›Quo vadis Aida ?) résonnent dans la fin surprenante empreinte d’espoir», note le jury. Ce dernier loue également la mise en scène de l’œuvre. Il relève que même si le massacre de Srebrenica est un événement historique bien relayé, «aucun documentaire, avec le recul, ne parvient à instiller le niveau de terreur que la réalisatrice bosniaque Jasmila Zbanic rend avec son chef-d’œuvre». (cath.ch/rz)
Le film sortira dans les salles de Suisse romande le 22 septembre 2021, distribué par Cineworx. Des séances spéciales sont prévues, lors desquelles les acteurs Emir Hadzihafizbegovic et Dino Bajrovic viendront présenter le film (dimanche 26 septembre, Genève, cinéma les Scala, 19h45/ lundi 27 septembre, Vevey, cinéma Astor, 20h).
Le mardi 28 septembre (18h), au cinema Lux à Sion, en même temps que les deux acteurs, des représentants de la communauté Bosniaque en Suisse apporteront leur témoignage.
Apocalypse zombie
«Venez, professeur, on va discuter un peu !», lance le soldat à Aida. Le milicien serbe qui la menace ainsi n’est autre qu’un de ses anciens élèves. C’est peut-être dans l’évocation de cet aspect du conflit yougoslave que le film de Jasmila Zbanic est le plus terrifiant. La guerre a transformé des personnes qui avaient toujours vécu ensemble dans une bonne entente en ennemis mortels. Le boulanger du coin, le garagiste, le voisin est devenu, du jour au lendemain le meurtrier et le tortionnaire. Un phénomène que l’on a retrouvé, au cours de l’histoire dans nombre de conflits civils, notamment dans le génocide rwandais.
C’est d’ailleurs peut-être cette angoisse souterraine millénaire que le genre cinématographique des « films de zombies » exprime culturellement. La possibilité que les personnes au demeurant bienveillantes vivant autour de nous puisse subitement devenir des créatures lointaines et hostiles.
L’ombre d’Auschwitz
Cette ambigüité des rapports sociaux dans des situations extraordinaires ressort particulièrement dans La voix d’Aida. Et c’est l’une des grandes forces du film. Dans son ensemble l’œuvre est portée par un réalisme bluffant. Grâce, surtout, à des acteurs brillants que l’on sent totalement impliqués.
Le seul bémol est peut-être un léger manque de nuances. Difficile de ne pas prendre parti pour les Bosniaques victimes et contre les «méchants» Serbes. Alors que, dans ce genre de conflits, les choses sont très souvent marquées par la complexité.
Quoiqu’il en soit, La voix d’Aida possède le grand mérite de rappeler, et de manière magistrale, qu’il y a de cela à peine moins de trente ans, se sont produites des atrocités que l’Europe avait espéré ne plus jamais revoir après Auschwitz. RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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