Ce 14 août, à la veille de l’Assomption, entouré de cinq prêtres, le cardinal Chibly Langlois, dont le petit-déjeuner tire à sa fin, évoquait cette fête qui est aussi la patronale de sa cathédrale quand le séisme s’est déclenché. «A 8h20 environs», se souvient le prélat qui, vingt-cinq secondes plus tard, se retrouve dans la cour de l’évêché qui vient de s’écrouler, hébété et couvert d’une épaisse poussière. «Seigneur, Jésus!»
«Des bruits annonciateurs du tremblement de terre sont montés des fondations du bâtiment», précise Mgr Jacques-Antoine Coulanges, l’ex vicaire général du diocèse. Selon ce dernier, la présence d’un jeune prêtre à la réunion et qui a vécu le tremblement de terre de 2010 a été décisive. «Il a reconnu le fameux bruit» ajoute Mgr Coulanges. Alors, il a quitté précipitamment la table, suivi des autres».
Le temps pour le cardinal Langlois de les rattraper, «l’évêché s’écroulait derrière lui, projetant des débris et morceaux de pierres dans tous les sens», se souvient Mgr Coulanges. Tout comme le cardinal, les prêtres ont tout perdu. «Livres, dossiers, documents, souvenirs, objets personnels». «Tout sauf les chaussures, se souvient-il, elles ont été récupérées dans les décombres».
Dès le lendemain de l’Assomption, le Père Abel Amavi Toglo, chargé d’affaire de la Nonciature apostolique à Port-au-Prince, apporte un message de soutien du pape François à Mgr Langlois. Le cardinal se trouve sous une tente, dans la cour d’un centre destiné au développement communautaire diocésain, à Laborde (à 10 km des Cayes). Le Père Amavi Toglo a passé une journée dans le diocèse, à constater, «écœuré et attristé», les dégâts. Puis le week-end suivant, il a dépêché deux émissaires sur place pour visiter les paroisses du diocèse les plus touchées par le séisme.
Le cardinal Chibly a passé quelques jours à l’hôpital Saint-François de Sales de Port-au-Prince, où il a soigné son genou. Depuis son lit d’hôpital, il a coordonné les urgences quotidiennes de l’Église locale. Le prélat n’a cessé de le répéter à tous ses prêtres qu’il a appelés régulièrement: «restez auprès de vos brebis, ne les quittez point, un berger sent l’odeur de son troupeau».
Les prêtres et les fidèles du diocèse sont encore marqués par cette trentaine de secondes d’horreur qui ont fait, selon un bilan toujours provisoire, 4’000 morts et disparus dans tout le sud haïtien. Il ne reste plus rien de l’évêché. En tout, 89 églises se sont effondrées, 132 ont été endommagées, 10 presbytères ont été emportés dans le tremblement de terre et une quinzaine doivent être rasés pour être reconstruits.
Un bruit de moteur en continu… Un engin déblayeur emporte les derniers débris sur un immense terrain au sol remué. Le vent charrie une odeur de poussière. A l’écart, un petit groupe de fidèles peinent à cacher leur désarroi. Nahomie laisse échapper une larme. A 33 ans, elle est arrivée la veille de Pétionville «pour soutenir le clergé». Elle a visité à plusieurs reprises la cathédrale, colossal édifice blanc situé de l’autre côté de la rue. «C’est un patrimoine unique», regrette-t-elle. Il y a encore deux semaines, l’évêché des Cayes s’imposait encore sur ce terrain aujourd’hui nu.
«Nous étions désemparés», reconnaît le Père Jean Marcel Louis. Au Foyer de la Miséricorde divine où il nous reçoit, le porte-parole du diocèse a vécu quelques interminables secondes de tremblements. Il doit sans doute sa survie à la toiture en tôles de ses logements mais «surtout au Christ qui, dans l’épreuve, ne peut pas nous lâcher», ajoute-il, ému.
Un peu plus loin, à Marceline, localité la plus très éprouvée par le séisme, dans les hauteurs de Camp-Perrin, l’église a été emportée, ainsi qu’à Maniche, une autre commune du diocèse dont l’église, le presbytère et la grande salle paroissiale ont été totalement détruits alors que la Cathédrale Notre-Dame, légèrement affaissée, devrait être démolie.
A Mazenod, le collège du petit séminaire dirigé par les Pères Oblats de Marie Immaculée, l’écroulement d’un bâtiment à trois étages a fait deux morts tandis que le Père Albert Cator qui en occupait le rez-de-chaussée s’en est sorti miraculeusement. «Un signe pour notre foi», avoue l’intéressé, rencontré à la Maison provinciale de sa congrégation à Port-au-Prince.
L’annonce en janvier 2014 de l’élévation du premier haïtien au cardinalat «était une consolation», selon Nahomie. Haïti est considérée comme le bastion du christianisme depuis l’arrivée en 1492 des premiers missionnaires, dans la ville du Môle Saint Nicolas. Le fait que Santo Domingo, capitale de la république dominicaine voisine ait toujours eu à sa tête un cardinal rendait jaloux les Haïtiens.
«Une situation longtemps ressentie comme une injustice» selon le Père Louis. Avant Les Cayes, le cardinal était évêque de Fort-Liberté (nord-est d’Haïti). Alors qu’il fête ce mois d’août ses dix ans à la tête des Cayes, il doit faire face à la reconstruction d’un diocèse dévasté. Il espère de l’aide internationale mais attend surtout de «la mobilisation locale». Une commission chargée de l’évaluation de la situation est mise en place avec une douzaine de prêtres et fidèles.
Plusieurs centaines de millions de dollars seront nécessaires, «peut-être même le milliard», estime le Père Louis, membre de la commission. En attendant, des hangars provisoires permettent de dire des messes en espérant des aides qui, compte tenu de la pandémie de covid-19, se manifestent timidement… (cath.ch/max savi carmel/bh)
Chibly Langlois
Né à Jacmel (Sud-est) en 1958, Langlois Chibly est ordonné prêtre en septembre 1991. En 2004, Jean Paul II le nomme évêque de Fort Liberté. En août 2011, il sera transféré par Benoît XVI aux Cayes. Lors du premier consistoire de son pontificat, le pape François, originaire de l’Amérique latine qui connaît bien Haïti le fait cardinal en février 2014. Il est, dans le monde, l’un des rares cardinaux à ne pas être à la tête d’un diocèse métropolitain (archidiocèse). MSC
Max Savi Carmel
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