1. À Budapest, pas en Hongrie
Première destination annoncée par le Saint-Siège dans le vol du retour de l’Irak, le 8 mars 2021, le voyage du pape François à Budapest a d’emblée été présenté comme un simple déplacement dans le cadre du Congrès eucharistique et non comme une visite d’État – comme c’est le cas en Slovaquie. Ce format, restreint à une seule journée, avait déjà été observé à l’occasion du déplacement du pontife argentin au Parlement européen à Strasbourg en 2014 et au 70e anniversaire du Conseil œcuménique des Églises à Genève, en 2018.
Le pape ne restera donc qu’une matinée dans la capitale hongroise, juste le temps de célébrer la messe de conclusion du Congrès eucharistique international après avoir rencontré les évêques du pays, des représentants des autres confessions chrétiennes et du judaïsme ainsi que les autorités politiques.
La question de la rencontre avec le Premier ministre Viktor Orban a beaucoup fait parler ces derniers jours après une déclaration surprenante du pape François à une radio espagnole dans laquelle il assurait ne pas savoir s’il allait le rencontrer. La présence du Premier ministre hongrois étant officiellement inscrite au programme, la question de l’opposition politique entre les deux hommes a naturellement été soulevée.
Cette opposition ne s’est jamais manifestée publiquement. Mais la manière dont les deux personnalités ont réagi à la crise migratoire de 2015 a révélé deux conceptions diamétralement opposées. Alors que des milliers de migrants traversaient les Balkans vers l’Europe, fuyant notamment l’organisation État islamique, le Premier ministre hongrois décida de poser une clôture de barbelés à sa frontière avec la Serbie pour les empêcher de passer.
Cette année, dans un message adressé à la communauté Sant’Egidio – association de laïcs catholiques engagée notamment dans l’accueil des migrants -, le pape François avait vigoureusement critiqué la violence des islamistes poussant à l’exil de nombreux Syriens ou Irakiens. Mais il avait aussi dénoncé la violence qui consiste à «élever des murs et des barrières pour bloquer ceux qui cherchent un lieu de paix. La violence c’est repousser en arrière ceux qui fuient des conditions inhumaines dans l’espoir d’un avenir meilleur». Tous les commentateurs de l’époque avaient vu dans cette déclaration une critique de la politique hongroise.
Leur opposition sur de nombreux sujets – notamment sur la question européenne ou sur le populisme – a entrainé de nombreuses spéculations, notamment sur l’absence de rencontre entre les deux hommes. Et le choix d’une «vraie visite d’État» chez le voisin slovaque a aussi été lu comme une décision politique visant à valoriser la Slovaquie aux dépens de la Hongrie. D’autant plus qu’une source diplomatique slovaque a confirmé à l’agence I.MEDIA que les bonnes relations avec la présidente voisine slovaque Zuzana Čaputová, politicienne de centre-gauche pro-Europe, rencontrée par le pape François il y a moins d’un an, avait été un élément clé du choix du pontife.
2. Mettre à l’honneur le Congrès eucharistique
Si le passage du pape à Budapest sera bref, il sera néanmoins un des temps forts de ce déplacement en Europe centrale. C’est d’ailleurs à partir de cet événement que s’est construit la suite du voyage en Slovaquie, comme le pontife l’avait expliqué aux journalistes lors du vol du retour de son voyage en Irak.
Avec cette participation, le pape François se place dans les pas de ses prédécesseurs qui, très tôt, ont voulu valoriser cette initiative faisant honneur à l’Eucharistie. Sans se déplacer, Léon XIII avait encouragé le premier Congrès eucharistique organisé à la fin du 19e siècle à Lille pour approfondir la connaissance et l’adoration de l’Eucharistie. Le premier pape à y participer officiellement fut Pie X – surnommé par certains «le pape de l’Eucharistie» – en 1905, lors du premier Congrès à Rome.
Bien des années plus tard, Paul VI a présidé personnellement les débats de deux congrès: celui de Bombay (1961) et celui de Bogota (1968). Jean Paul II a suivi son exemple en participant à ceux de Nairobi (1985), Séoul (1989) et Séville (1993). Le pontife polonais s’est ensuite rendu à celui organisé dans son pays (1997), et a enfin accueilli le Congrès à Rome en 2000. Benoît XVI n’a jamais participé à cet événement.
Pour le pape François – qui souhaite que ce voyage soit «marqué par l’adoration et la prière»-, il s’agira de sa première participation; par ailleurs, il a déjà annoncé qu’il se rendrait aussi au prochain Congrès eucharistique, organisé en Équateur en 2024.
3. Un voyage «au cœur de l’Europe»
Lors de l’Angélus le 5 septembre 2021, soit une semaine avant de se rendre à Budapest puis en Slovaquie, le pape François a parlé d’un voyage «au cœur de l’Europe». Une réalité géographique qui est un des slogans de la Slovaquie, a expliqué à l’agence I.MEDIA l’ambassadeur de Slovaquie près le Saint-Siège Marek Lisánsky.
La Slovaquie est aussi un cœur spirituel: c’est le premier pays à avoir été christianisé en Europe centrale. En 828, Pribina, prince de Nitra et sorte de Clovis slovaque, fait bâtir la première église de toute la région. Près de 1200 ans après, ces racines anciennes ont fait de la Slovaquie un pays solidement chrétien: 65% de la population est catholique, et environ 85 % est chrétienne.
La Slovaquie est enfin un bon élève de l’Union européenne, qu’elle a intégrée en 2009; un tournant vingt ans après la fin de l’ère communiste. Cette entrée dans l’UE a joué un rôle très positif dans le développement du pays, souligne l’ambassadeur Marek Lisánsky.
Ce triple ancrage géographique, spirituel et politique de la Slovaquie, celui d’un membre discret mais actif de l’appareil multilatéral européen situé au cœur du vieux continent peut en faire le lieu idéal pour le pape pour lancer un nouvel appel à la re-fondation de la communauté européenne.
Cette question européenne est d’ailleurs un des leitmotivs du pontificat de François et de sa diplomatie. Il pourrait, comme dans ses précédents discours sur l’Europe, faire référence à la mission essentielle que doit jouer l’Europe dans le monde et rappeler le rêve porté, au lendemain de la guerre, par l’un des Pères de l’Europe, Robert Schuman, que l’Église catholique vient de reconnaître comme vénérable.
Et a contrario, dans ce pays marqué au fer rouge par les autoritarismes au XXe siècle – occupation nazie puis intégration au bloc soviétique –, le pape pourrait mettre en garde contre les dangers que représentent pour lui les replis nationalistes et tentations populistes, comme il l’a fait à de nombreuses reprises.
4. La Slovaquie, mosaïque et frontière
Une caractéristique peu connue de la Slovaquie est sa diversité ethnique. Ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants abrite treize minorités, dont une importante communauté magyar (qui représente près d’un Slovaque sur dix), mais aussi Rom, tchèque, polonaise, ruthène, ukrainienne ou allemande. Cette diversité s’exprime dans une multiplicité linguistique qui rappelle l’ancienne appartenance de la Slovaquie à l’Empire austro-hongrois.
Cette dimension se double aussi d’une diversité religieuse, malgré la prédominance du catholicisme romain (65%). La Slovaquie est notamment un haut lieu du judaïsme en Europe centrale, notamment de la frange orthodoxe: la première synagogue du pays, celle de Bratislava, date du 14e siècle. Le pape doit rencontrer des membres de cette communauté le 13 septembre, avec l’association Bethléem.
Les différentes familles chrétiennes sont aussi représentées: outre l’Église latine romaine, dans l’Est du pays, on trouve de nombreux membres de l’Église grecque-catholique slovaque, rattachée à Rome et qui forme une éparchie de rite byzantin-slave. Le 14 septembre, le pape se rendra à Presov pour célébrer une messe dans ce rite hérité de saint Jean Chrysostome.
Les racines d’une présence orthodoxe en Slovaquie remontent à l’évangélisation de la région par saint Méthode en personne. Plusieurs courants de l’orthodoxie, influencés par la Serbie, l’Ukraine ou la Hongrie cohabitent dans un même pays.
Enfin, on observe une importante présence protestante qui date de peu de temps après la réforme et a été importée par la population germanophone. Territoire de confrontation avec l’Église catholique pendant la Renaissance, la Slovaquie voit aujourd’hui cohabiter pacifiquement calvinistes et luthériens avec leurs anciens adversaires.
Le pape sera sans nul doute sensible à cette diversité ethnique, d’autant plus qu’elle est géographiquement divisée en deux entre l’ouest et l’est du pays, faisant de la Slovaquie un pays pivot entre Occident et Orient. Sur cette terre de martyrs et de persécutions, il devrait mettre en avant la tradition catholique des «confesseurs héroïques», ainsi que la valeur «d’hospitalité», comme il l’a annoncé lors du dernier Angélus à Rome.
5. Une rencontre importante avec la population «Rom»
Un des derniers rendez-vous du pape François en terre slovaque sera la visite du quartier de Lunik IX, à Kosiče. Il s’agit d’un des plus grands foyers Rom d’Europe centrale, où le niveau de vie est particulièrement bas. Contrairement à certains Roms d’Europe occidentale, les Roms de Slovaquie sont sédentarisés, et présents dans l’intégralité du pays.
Il s’agit d’une réalité ancienne: l’impératrice Marie-Thérèse avait mis en place des programmes d’assimilation au XVIIe siècle. Ces villages roms ont perduré et leur population est aujourd’hui représentée par des maires et des députés au Parlement slovaque. Pour autant, l’intégration de cette minorité est loin d’être une réalité en Slovaquie, comme c’est d’ailleurs le cas partout en Europe.
Ce ne sera pas la première fois que le pontife argentin rencontrera des Roms. En 2019, lors de son déplacement en Roumanie, il s’était rendu à Blaj pour s’excuser auprès de la population locale pour le poids des «discriminations, des ségrégations et mauvais traitements» subis au cours des siècles par les Roms. Il avait lancé une nouvelle fois un appel à l’accueil et fustigé l’indifférence à la misère qui frappe cette population.
Il avait aussi encouragé les Roms à bâtir un monde plus humain, soulignant l’importance de la fraternité entre les peuples. À Kosiče, on peut s’attendre à ce que le pape François renoue avec ce combat. (cat.ch/imedia/cd/rz)
I.MEDIA
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