«L’initiative part d’une bonne intention, mais elle est maladroite et contreproductive», estime Paul Dembinski. Le professeur d’économie à l’Université de Fribourg a examiné avec attention le texte lancé par les jeunes socialistes. En tant que président de la Plateforme Dignité et Développement, qui promeut la doctrine sociale de l’Eglise, il se sent spécialement concerné par les questions de partage des ressources.
Les auteurs de l’initiative populaire intitulée officiellement «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» estiment qu’en Suisse cette redistribution est insuffisante et que l’imposition n’est pas assez équitable. Ils demandent que les revenus du capital soient plus fortement imposés lorsqu’ils sont élevés. «Les recettes ainsi générées seraient affectées à une réduction de l’imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail, ou en faveur de la prospérité sociale», affirment les initiants.
Une perspective qui enthousiasme Elisabeth Longchamp Schneider. «Le partage des richesses est nécessaire pour que chacun puisse vivre dignement», relève la bibliothécaire fribourgeoise. Jugeant que l’initiative va complètement dans le sens du message chrétien, la paroissienne engagée s’est positionnée comme «sympathisante» de la démarche des jeunes socialistes. «Une trop grande richesse est accumulée par un trop petit nombre de personnes, assure-t-elle. Une telle taxation, indolore pour les riches, pourrait changer de manière significative le quotidien des plus démunis».
«On ne traite pas la source du problème»
Paul Dembinski
Paul Dembinski salue également les objectifs louables de l’initiative, qui cherche à augmenter la solidarité et l’égalité dans la société. Il est cependant très perplexe quant aux moyens proposés.
Les arguments peuvent, selon l’économiste, toucher trois éléments différents de la doctrine sociale de l’Eglise.
L’initiative va effectivement dans le sens d’une primauté du travail sur le capital, un aspect soutenu dans l’enseignement social chrétien. Paul Dembinski reconnaît que l’on touche là un point problématique, puisque l’on assiste depuis les trois dernières décennies, dans le monde, à une augmentation de la part des revenus du capital dans le produit national.
Mais, pour lui, les ajustements en la matière doivent se réaliser «au niveau de l’organisation de l’entreprise et de son cadre réglementaire, notamment à propos de la rémunération du travail», non sur le plan de la redistribution. Les propositions de «99%» ne s’attaquent donc pas à la source du problème.
Le professeur d’économie admet en outre que l’amélioration de la justice sociale peut passer par le taux d’imposition. Mais il constate que les plus bas revenus ne paient pas ou peu d’impôts. «L’initiative exigerait donc la mise en place d’un système de redistribution imposant et compliqué, qui engloutirait une bonne partie des gains réalisés».
Selon Paul Dembinski, l’option préférentielle pour les pauvres, valorisée par l’enseignement chrétien, ne sortirait pas non plus gagnante d’une victoire de l’initiative. «Le texte parle d’utiliser les recettes générées pour renforcer le service public. Mais, de mon point de vue, le service public n’a pas le monopole du bien commun, il est affaire de tous. Le directeur de l’Observatoire de la finance, basé à Genève, pense qu’il serait plus favorable «d’activiser, de mobiliser» le citoyen et d’opter pour des canaux de redistribution qui ne passent pas par l’Etat. «Je suis en faveur des transferts directs. Même s’ils sont plus difficiles à organiser, parce que passant par des personnes, des associations…ils sont moins coûteux et nettement plus efficaces».
Paul Dembinski met en avant que l’initiative ne serait pas «neutre» en termes d’effets économiques. «Je ne sais pas si les riches vont fuir la Suisse en masse. Par contre, les résidents étrangers envisageant de transférer leur résidence fiscale pour des questions de préservation de leur patrimoine y réfléchiraient probablement à deux fois». D’où de possibles pertes fiscales.
Pour l’économiste chrétien, une telle question ne doit cependant pas se poser uniquement sur le plan économique, mais également éthique. «Veut-on finalement que la Suisse devienne le havre de grandes fortunes, parce que la fiscalité y est plus clémente qu’ailleurs?»
Pour le blogueur de cath.ch, les initiants ont en fait en point de mire les entreprises cotées en bourse. Or, la majorité des entreprises suisses ne le sont pas. «Il y a, dans les entreprises non côtées (PME et micro entreprises) une confusion générale entre revenu du travail et du capital. Un aspect qui devient facilement inextricable au niveau des PME. Le fisc n’est pas bien outillé pour démêler tout cela » . L’économiste estime ainsi que cela pourrait réellement pénaliser les PME, qui ne sont certainement pas la cible visée par les initiants.
«Le message du Christ est foncièrement social»
Elisabeth Longchamp Schneider
Des critiques qui n’empêcheront pas Elisabeth Longchamp Schneider de glisser un ‘oui’ dans l’urne, le 26 septembre. Pour elle, l’enjeu est essentiellement de principe. «Certes, l’initiative ne réglerait pas tout d’un coup de baguette magique, mais elle pourrait donner une orientation de société. Ce serait une façon pour la Suisse d’affirmer: ‘Nous ne voulons plus que des personnes amassent des fortunes indécentes sur le dos des travailleurs'».
La Fribourgeoise est persuadée que l’initiative «n’est pas si mal ficelée que l’on veut bien le dire. Chaque fois que les personnes potentiellement touchées dans leur confort se sentent menacées, elles hurlent à la mort et peignent le diable sur la muraille, avec le concours des milieux économiques».
Pour la paroissienne engagée, il est temps que l’être humain comprenne que «l’on peut être heureux sans surabondance», comme l’enseigne Jésus. Elle estime que la réduction des inégalités créerait une diminution des tensions sociales et au final un meilleur vivre-ensemble. Comme Paul Dembinski, elle relève que «ce n’est pas l’orientation que semble prendre l’économie mondiale». La bibliothécaire estime ainsi que l’initiative 99% va effectivement dans le sens de l’Evangile, «car le message du Christ est foncièrement social».
Paul Dembinski n’entend pas juger de la «christianité» de l’initiative. Tout en rappelant que le texte contient de nombreux «défauts de conception», il admet qu’il pose des questions éthiques fortes. L’initiative a le mérite d’aborder (maladroitement certes) la question de l’accès aux richesses, «l’un des plus grands enjeux de notre temps», notamment pour les chrétiens. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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