Jacques Berset pour cath.ch
«On se trouve incapable de retenir nos employés et de garder un potentiel humain compétent pour pouvoir continuer notre mission et servir notre communauté», confie à cath.ch, en ce début septembre, Eliane Mehawej, secrétaire générale du Comité des Désastres de l’Hôpital des Sœurs du Rosaire.
Un an après l’explosion du port de Beyrouth, l’hôpital, toujours en reconstruction, fait face à de lourds défis: outre le manque de mazout pour les groupes électrogènes, palliant le défaut d’approvisionnement en courant d’Électricité du Liban (EDL), c’est la pénurie d’employés qui menace gravement la continuité des services de cet établissement hospitalier à la pointe dans plusieurs secteurs.
Ainsi, de nombreuses infirmières, dont le salaire s’est effondré depuis la crise qui a pris naissance en octobre 2019, cherchent à émigrer en Europe, au Canada ou dans les pays du Golfe, augmentant encore la pénurie de personnel médical dans les hôpitaux libanais.
Même si l’hôpital a les moyens de payer le mazout pour les générateurs, «le problème est que le mazout manque partout, ainsi que l’essence pour les employés qui n’en trouvent pas facilement pour pouvoir venir au travail», poursuit Eliane Mehawej.
Dans ce quartier du nord de Beyrouth, qui était, au milieu des années 2000, un haut-lieu de la vie nocturne de la capitale libanaise, la vie peine à reprendre: nombre de commerces, de bars et de restaurants ont désormais baissé leurs rideaux de fer. On rencontre des jeunes dormant dans la rue et cherchant leur nourriture dans les poubelles…
L’Hôpital des Sœurs du Rosaire, pendant la guerre (1975-1990), dans cette zone où vivent des communautés et des religions diverses, a été le refuge de tous les malades et blessés, sans distinction. Les religieuses ont soigné les patients même dans les moments les plus difficiles, quand nourriture a manqué pendant des mois.
Les services des urgences, de gériatrie, la réception et le service d’archivage ne sont plus opérationnels (aidés par aucune partie donatrice après l’explosion). D’autres services comme les soins intensifs, le service du cancer du sein et le centre d’ophtalmologie sont toujours en phase de reconstruction.
Avant l’explosion, l’hôpital comptait 200 lits ainsi qu’un matériel moderne de chirurgie et d’examens médicaux, répartis sur 18 étages, dont neuf en sous-sol.
Quand nous visitons l’établissement, fin juillet, la photo d’une dame souriante, appuyée contre une statue de la Vierge, attire notre attention. «C’est Jacqueline Jibrin, une infirmière âgée de 60 ans qui a été tuée lors de l’explosion du 4 août, à 18h07», explique Eliane Mehawej, qui nous guide dans les dédales de l’hôpital en pleine réfection.
D’autres infirmières ont été blessées, ainsi que des religieuses, qui sortaient de la prière dans la chapelle de leur couvent, où elles sont neuf à vivre au 9e étage de l’établissement.
Ici, les religieuses associent leur travail dans les différents services de l’hôpital à leur activité pastorale de prise en charge humaine et spirituelle des patients et du personnel. De nombreux patients choisissent cet hôpital au caractère chrétien affiché parce qu’ils savent qu’ils seront traités selon leurs valeurs éthiques.
C’est au dernier étage qu’a été transférée provisoirement la cuisine de l’hôpital, située auparavant au 1er étage, mais qui a subi de graves dégâts. Sœur Marie-Josèphe Salameh m’explique qu’au moment de l’explosion, elle était allée fermer la fenêtre de sa chambre, car il y avait une colonne de fumée sur le port. Puis soudainement, la fenêtre de sa chambre a explosé et a été projetée sur son lit. Elle-même a été soulevée par le souffle et a atterri au fond de la chambre, dont la porte a été arrachée. «Je m’en suis sortie vivante, c’était un miracle, j’ai prié la Vierge et saint Charbel!»
Dès le lendemain, confie sœur Nicolas Akiki, la solidarité s’est manifestée, et l’œuvre d’entraide «Aide à l’Eglise en Détresse (ACN)» a immédiatement pris la décision de financer la réparation de notre couvent et de l’église de l’hôpital. Mais les besoins ne sont de loin pas tous couverts: «nous avons 160 employés et infirmières, sans compter 80 médecins qui travaillent pour leur compte au sein de l’établissement».
La religieuse se demande encore aujourd’hui pourquoi cette catastrophe est arrivée. «Parfois il y a des choses que Dieu met dans notre vie, des épreuves, et nous n’en savons pas le sens… Peut-être que c’est pour notre bien. En ce moment, ici, presque tout le monde fait face à la pauvreté, voire à la misère. Dans cette catastrophe, nous avons cependant trouvé autour de nous une grande solidarité, beaucoup de frères et de sœurs, car de la solidarité, il en faut dans cette région où nombre de personnes n’ont pas les moyens de se nourrir, encore moins de payer les médicaments. Les habitants nous supplient de maintenir notre établissement dans ce quartier, sinon, disent-ils, ils ne pourront plus rester dans la région».
Et les religieuses de ne pas se faire trop d’illusions sur l’aide qu’elles pourraient recevoir d’autorités absentes. Le pays du Cèdre est toujours sans gouvernement depuis la démission du Premier ministre Hassan Diab et de son équipe le 10 août 2020. (cath.ch/jb/bh)
«On voyait la mort courir partout»
«Tout était noir, il y avait de la fumée partout, on ne voyait plus rien, il n’y avait plus d’électricité, les portes des ascenseurs avaient été déformées par le souffle, on entendait des voix, les cris du personnel!»
La plupart des sœurs sortaient de la chapelle et se trouvaient dans le couloir au moment de la déflagration. Jacqueline Jibrin, l’infirmière, a été tuée au 7e étage. «Des murs sont tombés sur moi, j’étais prise sous les décombres, blessée partout», témoigne sœur Nicolas Akiki, la directrice de l’hôpital.
«Il y avait des cadavres dans la rue, la pharmacie avait été éventrée, les médicaments éparpillés. Des blessés venaient de partout, car il n’y avait plus d’hôpitaux qui fonctionnaient dans nos quartiers. Nous avons fait des pansements, nos médecins ont travaillé sur le trottoir presque jusqu’à minuit».
«On voyait la mort courir partout. C’est la Providence qui nous a aidé à travailler. Dieu aide-nous, ne nous laisse pas!, criaient-ils. Les médecins, les infirmières, c’est leur foi qui les a portés…» JB
Rédaction
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