Sport et spiritualité: pour un équilibre intégral

Le début les «Jeux paralympiques» de Tokyo 2020, le 24 août 2021, à la suite des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, est l’occasion d’un retour sur les valeurs sportives. Dépassement de soi, esprit d’équipe et communion sont des valeurs spirituelles authentiques, portées par le sport… lorsqu’il n’est pas soumis à un mercantilisme déshumanisant.

Christophe Herinckx/Cathobel

François est incontestablement le pape qui a, plus que tous ceux qui l’ont précédé, exalté l’idéal du sport. Ainsi, il ne se passe pas une semaine sans que ce fervent supporter du club de football de San Lorenzo, à Buenos Aires, reçoive une délégation de sportifs au Vatican. A l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo, qui se sont clôturés le 8 août 2021, le pape a même fait distribuer une lettre ouverte à toutes les délégations, dans laquelle il vante les vertus du sport.

Recevant les délégués des Comités Olympiques européens, en novembre 2013, le pontife indiquait que «la communauté ecclésiale voit dans le sport un instrument précieux pour la croissance intégrale de la personne humaine». Développant cette vision, il ajoutait: «En effet, la pratique sportive stimule de façon saine à se dépasser et à dépasser ses propres égoïsmes, entraîne à l’esprit de sacrifice et, si elle est correctement conçue, favorise la loyauté dans les relations interpersonnelles, l’amitié, le respect des règles.»

Le sens du sport

Le pape n’est cependant pas naïf. Il dénonce régulièrement ce qui pervertit le sens du sport: «Lorsque le sport est considéré uniquement selon des paramètres économiques ou de poursuite de la victoire à tout prix, on court le risque de réduire les athlètes à une simple marchandise dont on peut tirer profit. Les athlètes eux-mêmes entrent dans un mécanisme qui les emporte, ils perdent le sens véritable de leur activité», déclarait-il lors de cette même rencontre.

Dans le contexte de l’enseignement social de l’Église, c’est le pape Paul VI qui, le premier, a élaboré la notion de «développement intégral de l’homme» (Cf. son encyclique sociale Populorum Progressio du 26 mars 1967). Tous les humains sont appelés à se réaliser dans toutes les dimensions de leur être: sociale, économique, culturelle, morale, et bien sûr également spirituelle et corporelle.

Le corps et l’esprit

Étrangement, ces deux derniers traits ont été opposés dans le christianisme. Dans la perspective biblique, le triptyque chair-âme-esprit (basar, nephesh, ruah – en hébreu) est perçu comme une unité de trois aspects inséparables. Pourtant, c’est la perspective platonicienne d’une dualité, et même d’une opposition entre corps et âme (sôma, psychè, à laquelle est accolée le pneuma, l’esprit – en grec) qui a prévalu dans la vision occidentale de l’humain. Avec, à la clé, une notion de salut qui s’est cantonnée, pendant des siècles, à la seule sphère de l’âme humaine. Pour espérer accéder à une vie spirituelle, celle-ci devait se détacher radicalement du corps, siège de tous les vices.

Depuis lors, la théologie chrétienne a redécouvert que notre «corporéité» est appelée à être transformée, divinisée au même titre que notre «spiritualité». Jésus n’est-il pas ressuscité «selon la chair», apparaissant dans un «corps spiritualisé» à ses disciples? Même si notre propre résurrection corporelle n’est pas pour tout de suite, cette perspective confère une dignité particulière à notre corps, à mi-chemin entre mépris et glorification excessive – au détriment de la dimension spirituelle. Une certaine forme de sport peut tomber dans ce dernier travers, lorsque, par exemple, la musculation a pour seule fin d’exalter notre narcissisme.

Le dépassement de soi

Une saine pratique du sport peut par contre favoriser l’équilibre de la personne, en développant conjointement ses dimensions corporelle, psychique et spirituelle. Le dépassement de soi est l’un des principaux fruits spirituels du sport, qui passe par une forme de sacrifice. On pense à tous ces athlètes qui renoncent à beaucoup de choses pour atteindre leur but, souvent depuis leur plus jeune âge: entraînements intensifs au détriment de certains loisirs, discipline alimentaire stricte, etc.

«Le dépassement de soi est l’un des principaux fruits spirituels du sport, qui passe par une forme de sacrifice»

La victoire sportive – qui n’est d’ailleurs jamais garantie – est précédée par de nombreuses victoires sur soi. La discipline sportive rappelle d’ailleurs, à bien des égards, l’ascèse du spirituel qui, pour réaliser «l’homme nouveau» ou la «femme nouvelle» qu’il/elle est appelé(e) à devenir, doit renoncer à se chercher lui/elle-même pour trouver un équilibre nouveau en Dieu. Cet objectif passe également par une forme de discipline, d’entraînement – on parle «d’entraînement du carême» en régime chrétien –, d’exercices spirituels, comme ceux de saint Ignace de Loyola.

Esprit d’équipe et communion

Dans les sports d’équipe, d’autres qualités spirituelles sont sollicitées, éveillées et déployées. L’ «esprit d’équipe», justement, implique de renoncer à se mettre en avant en toutes circonstances, de renoncer à soi et de laisser la place aux coéquipiers, au bénéfice de l’objectif commun de victoire. Inversement, pour que l’équipe «fonctionne» bien, elle doit donner sa place à chacun(e) dans le jeu collectif, en favorisant ses talents particuliers et en les intégrant dans une harmonie d’ensemble. En ce sens, le sport d’équipe peut être un facteur important de communion humaine, à nouveau une valeur spirituelle.

Autre aspect spirituel essentiel dans le sport: ce qu’on appelle communément «l’esprit sportif», le «fair play», qui implique le respect des règles du jeu, des résultats, de l’adversaire. Cette dimension élargit la communion, lui faisant dépasser le «groupe». Le sport préfigure alors une fraternité universelle, qui dépasse les limites de sa famille, de sa tribu, de sa nation, sans devoir renoncer pour autant à l’amour de sa propre équipe et de ce qu’elle représente. Les supporters, eux aussi, sont appelés à opérer ce dépassement, ce qui confère au sport une dimension «éducative» qui dépasse les seuls sportifs professionnels ou amateurs, pour embrasser l’immense nombre de celles et ceux qui aiment le sport.

Déshumanisations du sport

A l’instar de toute activité humaine, le sport n’échappe pas à tout ce qui entrave l’humanité dans son «développement intégral». Pour reprendre le dernier aspect évoqué, il n’est pas rare de constater qu’au lieu du respect, c’est le mépris de l’adversaire qui prévaut, ce qui se traduit par des insultes racistes, de la violence physique, la destruction de biens. Le sport semble alors devenir le catalyseur des tendances les plus obscures de l’humanité, telles que le fanatisme ou le tribalisme.

«Le sport semble alors devenir le catalyseur des tendances les plus obscures de l’humanité»

Le sport n’échappe pas non plus à certaines «structures de péché», comme le formule la théologie de l’Église catholique. Il s’agit de systèmes destructeurs de l’humanité qui, tout en impliquant des personnes individuelles, se traduisent dans des mécanismes complexes qui les dépassent. C’est ce qui se passe aussi dans le domaine du sport, au niveau mondial. Comme l’évoque le pape François, le sport est alors instrumentalisé à des fins mercantiles qui visent le profit.

Brassage et marchandages

Des clubs sportifs et des institutions sportives internationales deviennent des sortes de multinationales qui brassent énormément d’argent. Il n’est qu’à considérer les marchandages entre clubs de football, qui engagent des montants astronomiques pour «acquérir» des joueurs, qui sont réduits à des marchandises rentables, y compris par eux-mêmes. Qui ne s’est jamais offusqué des salaires indécents de certains sportifs? Rien que le 10 août dernier, le «cas» de Lionel Messi – dont les revenus en arrivent à menacer l’équilibre financier du club de Barcelone – a défrayé l’actualité.

Pour atteindre le «top» mondial ou y rester, de nombreux sportifs soumettent leur organisme à des performances surhumaines qui menacent leur santé, sans parler des cas de dopage qui minent de nombreuses disciplines. De telles pratiques déshumanisent le sport. Que l’on songe aussi à tous ces travailleurs étrangers qui, en vue du Mondial de football au Qatar en 2022, sont exploités dans des conditions proches de l’esclavage, sans que la FIFA estime devoir intervenir. Sans oublier les scandales de corruption et de matches truqués dans de nombreux pays.

Le sport a besoin d’une conversion

Comme tout ce qui concerne l’activité et le comportement humains, le sport a besoin d’une conversion qui, là encore, porte avant tout sur la dimension spirituelle de l’humain. Pour les chrétiens, le sport peut être un élément important d’une démarche spirituelle intégrale, qui intègre tous les aspects de sa personne et de son activité. Le sport peut ainsi devenir une louange à la gloire de Dieu. (cath.ch/cathobel/ch/gr)

Rédaction

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