Angélique Tasiaux/Dimanche
L’année 2020 avait connu une fréquentation historiquement basse du pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle. La levée progressive des limitations imposées par la pandémie laisse espérer un retour des pèlerins pour cette année jacquaire. «Près de 300’000 pèlerins d’ici fin 2021», pronostique Mgr Julián Barrio, l’archevêque de Saint-Jacques-de-Compostelle. A voir.
Avant la pandémie, le chemin vers Compostelle n’a jamais dérogé à l’engouement des pèlerinages. Sans être une nouveauté, un tel attrait mérite d’être analysé. Bernadette Wiame nous livre quelques clefs de lecture pour mieux saisir ce phénomène sociétal. Autrefois elle fut professeure de religion et de pédagogie.
Selon l’enseignante, trois axes majeurs sous-tendent la démarche d’un pèlerinage. «L’homme est bipède, fait pour marcher. Et la vie est une longue marche vers d’autres horizons. Marcher permet de se découvrir, de se réhabiliter, de se réconcilier, de guérir ses blessures. Ensuite, un pèlerinage accorde l’ouverture à l’autre, une découverte de la différence. Enfin, une recherche de l’absolu s’impose. Dans la spiritualité d’aujourd’hui, il s’agit d’un plus grand que soi. Dieu est nomade, toujours en marche vers l’humain.»
Parmi les motivations à partir, le besoin de marquer une pause pour se retrouver peut être un moteur. Mais, alors qu’autrefois les pèlerins se retrouvaient dans une dimension collective, «les gens sont davantage dans une quête personnelle, à la recherche d’une spiritualité construite par eux-mêmes. Ils ne reçoivent plus les choses toutes faites. L’institutionnel ne s’entend plus.»
La pandémie a souligné combien certains ont éprouvé la nécessité de modifier leur manière de vivre, quitte à l’exprimer de manière radicale, en larguant les amarres. Les excès ne sont pas absents d’une entreprise aussi bouleversante. Bernadette Wiame souligne l’apparence physique contrastée des marcheurs, qui peuvent grossir à force de profiter de bonnes tables ou, à l’inverse, maigrir à cause des privations endurées!
Contrairement à certaines croyances ancrées dans l’imaginaire catholique, la dimension religieuse n’est pas inscrite dans la démarche et le cœur de tous les pèlerins d’aujourd’hui. «Un monde qui n’est plus religieux n’est pas sans spiritualité», observe Bernadette Wiame. Partir, c’est aussi «se relier à une lignée qui nous précède. Nous ne sommes pas les premiers sur ce chemin. Toutes les pierres ont une histoire».
Ayant déjà effectué à sept reprises le pèlerinage vers Compostelle, Pierre et Simonne Swalus-Van Goethem soulignent, pour leur part, combien «c’est une grande chaîne et de cette chaîne nous sommes un maillon.» Selon eux, cette démarche s’inscrit comme «une retraite par rapport à la société de consommation. En partie solitaire mais surtout très solidaire», ce chemin de solitude permet de vivre intensément le moment présent.
Le comportement des marcheurs actuels trouve son fondement à la lumière du Moyen Age. Les raisons d’un pèlerinage y étaient alors multiples: prier l’apôtre pour assurer son salut, accomplir un vœu, se repentir, obtenir des indulgences, ou encore expier ses fautes. «A côté de pèlerins souvent anonymes qui expiaient ainsi des péchés divers, beaucoup prirent le chemin de Compostelle après une sentence judiciaire. A la suite de révoltes politiques, de troubles publics, falsifications, viols, adultères, hérésie, blasphème… les tribunaux civils et ecclésiastiques n’hésitaient pas à envoyer les coupables vers Compostelle ou d’autres sanctuaires. Et les autorités veillaient à ce que la sentence soit accomplie», commente Bernadette Wiame.
Les pèlerinages pouvaient même être réalisés par procuration. Ils étaient alors nommés des pèlerinages vicaires. Enfin, la curiosité et l’effet de mode ne sont pas sans jouer un rôle d’engouement, y compris au Moyen Age. Les histoires rapportées par les pèlerins suscitent, dans leur entourage, l’emballement et l’envie de voyager à leur suite.
«Il y a trop de monde! Les matelas des auberges sont remplis de puces et les prix exorbitants», raconte André, parti avec son chien vers Saint-Jacques. Si l’affluence sur les routes menant à Compostelle semble démesurée, le phénomène n’est pas neuf. Bernadette Wiame épingle les écueils suivants au Moyen Age: «la langue et l’impossibilité de communiquer avec les habitants des régions traversées (…) Les conditions atmosphériques s’ajoutaient aux ours et aux loups dans les Pyrénées. La traversée des cours d’eau constituait un obstacle dont profitaient les riverains et les bateliers. (…) A la fin de la journée, l’arrivée à l’étape n’était en aucun cas une garantie de sécurité. Il fallait aussi se méfier des aubergistes ou de ceux qui hébergeaient les pèlerins. Certains les attiraient chez eux pour pouvoir les dévaliser pendant leur sommeil.»
Au retour de leurs tribulations, bien des pèlerins ont voulu prolonger leur pèlerinage par des gestes tangibles, comme la création d’une église, d’une chapelle, d’un autel dédié au saint patron de Compostelle ou encore la construction d’un hôpital pour les plus nécessiteux.
Réunis à l’occasion d’union de prières ou dans des confréries, les voyageurs se trouvaient animés d’un feu particulier. «Le pèlerinage n’est pas un voyage comme les autres dans la mesure où il implique la recherche d’un bien spirituel. C’est vers l’espérance que conduisait le chemin de Saint-Jacques. Espérance d’une guérison ou d’un pardon, remerciements pour une demande exaucée, demande de protection jusqu’à l’heure de la mort et du Jugement. Multiples furent les raisons qui poussèrent les pèlerins à se rendre à Compostelle, année après année, siècle après siècle, à pied, à dos de mulet ou de cheval, en bateau et même pour certains, par la voie des airs après la mort», conclut Bernadette Wiame. (cath,ch/dimanche/at/bh)
La force de persuasion d’un saint
Il est impossible d’évoquer Compostelle, sans se souvenir du saint à l’origine du fameux pèlerinage. «Le pèlerinage à Compostelle est attesté dès le IXe siècle, quelques décennies à peine après la date probable de la découverte du tombeau de l’apôtre Jacques le Majeur – que l’on situe vers 820-830. Il fut très rapidement considéré comme l’un des trois pèlerinages majeurs de la chrétienté, avec ceux de Jérusalem et de Rome», précise Bernadette Wiame. La dimension religieuse était alors présente, avec notamment une bénédiction des voyageurs à leur départ. Lorsque la Saint-Jacques (25 juillet) est fêtée un dimanche, l’année est dite jubilaire ou «jacquaire». C’est le cas en 2021. AT
Rédaction
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