La montagne est «devenue catholique» entre les années 1920 et 1960 par une conjonction de patriotisme et de religion. Telle est la thèse développée par Jacques Rime dans son ouvrage Le baptême de la montagne. Préalpes fribourgeoises et construction religieuse du territoire (XVIIe-XXe siècle), paru en 2021 aux éditions Alphil. Le curé de Belfaux, Courtion et Grolley résume ses recherches dans une interview publiée le 6 août 2021 dans le quotidien romand La Liberté. L’abbé, qui est un spécialiste des traditions spirituelles en alpage, a déjà effectué plusieurs bénédictions de troupeaux, dans les Préalpes.
Il sait donc que les chapelles, croix et autres oratoires qui font le charme du paysage gruérien sont loin d’être immémoriales. Il y a encore deux siècles, l’Eglise était plutôt méfiante envers ces territoires. «La montagne était un endroit éloigné, où les gens n’étaient plus sous le contrôle du clergé», note Jacques Rime.
Ce n’est qu’à partir du 18e siècle, avec le mouvement romantique et l’apparition du tourisme, que les élites européennes découvrent la nature et la montagne: des endroits préservés avec une population moins marquée par la modernité. L’exaltation de la montagne, qui commence en Gruyère, profite d’une alliance entre le monde libéral-radical et les conservateurs, vers 1900. Cette «union sacrée» culmine avec la défense spirituelle nationale des années 1930 et 1940.
L’abbé Joseph Bovet, avec ses chants qui sacralisaient la montagne, a eu un «rôle charnière» dans ce phénomène, explique Jacques Rime. Parce qu’il était professeur à l’Ecole normale, il formait des instituteurs à la musique, qui formaient à leur tour d’autres personnes. Autour de Joseph Bovet, s’est constituée une floraison de prêtres intéressés par la tradition.
L’appropriation religieuse de la montagne se traduit notamment par une multiplication des chapelles, de plus en plus en altitude. «Le nombre de sanctuaires dédiés au culte de Marie augmente également, passant de 20% au XVIIe siècle à 58% actuellement», explique le curé fribourgeois. L’invention de la tradition chrétienne montagnarde a également pour effet, à partir de l’entre-deux-guerres, de rendre les légendes compatibles avec la religion dominante. Dans des chansons de l’abbé Bovet reprenant des contes gruériens, les lutins deviennent notamment des anges.
La figure de l’armailli acquiert en outre une dimension religieuse, devenant pour l’Eglise le gardien des valeurs chrétiennes.
Pour Jacques Rime, la présence du religieux en montagne a toutefois été marquée par un recul ces dernières décennies, mais aussi par une transformation de la notion de sacré. «De plus en plus de gens ont commencé à mettre les cendres de leurs défunts en montagne, ce qui montre qu’elle acquiert plus de valeur que le cimetière».
Référence: Le baptême de la montagne. Préalpes fribourgeoises et construction religieuse du territoire (XVIIe-XXe siècle), éditions Alphil (Neuchâtel), 2021.
(cath.ch/lib/rz)
Raphaël Zbinden
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