Je quitte la garde CFF de Capolago-Riva San Vitale et rejoins à pied ma destination au bord des eaux scintillants du Lago Ceresio. Une dizaine de minutes plus tard, j’entre finalement dans les ruelles étroites et silencieuses du bourg tessinois de 3’000 âmes, à la recherche de son célèbre baptistère dédié (évidemment) à Saint Jean Baptiste.
«Bienvenue au Baptistère de Riva San Vitale!». Sur le parvis pavé du bâtiment sacré m’attend Anastasia Gilardi, historienne de l’art et professeure à l’Ecole universitaire professionnelle de la Suisse italienne (SUPSI) à Lugano.
Assise face à la porte d’où, à l’époque, sortaient les néophytes pour se diriger vers la basilique adjacente après avoir été baptisés, ma guide m’accueille sous un ciel d’été menaçant, donnant à l’édifice une allure qui impose un certain respect.
L’histoire du Baptistère de Riva San Vitale est intimement liée à l’eau. En tant que lieu consacré à la célébration des baptêmes au cours du haut moyen âge, certes.
Mais aussi comme édifice sacré érigé probablement à l’endroit même où les Romains avaient installé des bains thermaux – histoire de bénéficier de l’infrastructure hydraulique de gestion de l’eau préexistant pour les rites baptismaux.
Et ce n’est pas tout. Situé à l’extrémité méridionale du lac du Lugano, au fil des siècles, les fidèles ont pu rejoindre cet imposant monument paléochrétien par voie terrestre et lacustre. Multiple relation à l’eau qui vaut le détour au sud des Alpes.
Rare exemple de baptistère paléochrétien en Europe, l’édifice devant mes yeux représente un lieu fondamental pour l’histoire de la christianisation de la Suisse. Les études archéologiques le font remonter à la fin du 5ème siècle, début du 6ème.
«Les baptistères sont les premiers édifices chrétiens construits après la publication de l’édit de Milan en l’an 313.»
«Comme vous le voyez, il ne s’agit pas d’une construction isolée; dès ses origines, il faisait partie d’un ensemble d’édifices sacrés», m’explique d’emblée l’historienne de l’art tessinoise, en attirant mon attention sur les différents éléments qui constituent ce complexe architectural d’importance nationale.
«Les baptistères appartiennent à ces premiers édifices chrétiens construits après la publication de l’édit de Milan en l’an 313, souligne Anastasia Gilardi. Etant donné qu’a l’époque le baptême des adultes était célébré par immersion, très souvent autour de la fête de Pâques, il fallait donc un ensemble de constructions permettant une telle pratique liturgique».
La fonction baptismale originale a été suspendue autour de l’an 1000 dans le baptistère tessinois. «Dans toute l’aire lombarde, à partir du 10ème siècle on n’a plus pratiqué le baptême des adultes par immersion».
Dès l’an 1000, on a toutefois continué à utiliser l’édifice avec un bassin surélevé – obtenu d’un seul bloc de pierre – d’un diamètre de presque deux mètres, posé sur les fonts baptismaux originaux.
Les fonts baptismaux en marbre d’Arzo du 1613, situés dans la niche à gauche de la porte d’entrée nord, sont les derniers utilisés pour la célébration des baptêmes.
«Avec la reconstruction de l’église paroissiale à la moitié du 18ème siècle, le baptistère a perdu complètement sa fonction première, précise Anastasia Gilardi. En été, la température est agréable, mais pendant les autres saisons, ici il fait très froid. Il est donc improbable qu’ayant à disposition une nouvelle église juste à côté, les mamans de l’époque aient accepté d’y faire baptiser leur enfant».
À trois mètres des murs d’enceinte, le baptistère était entouré d’une enceinte carrée (deambolatorium, en latin), aujourd’hui presque complément disparue.
«Des éléments en forme de feuilles d’acanthe – des pierres provenant d’un édifice romain de la région – qui soutenaient les poutres du toit du portique, ont été retrouvés et sont toujours visible sur la façade ouest».
Le porche était couvert et servait à accueillir les néophytes pour le déroulement des rites précédant le baptême, ainsi que pour les processions post-baptismales. Il était relié à l’ancienne basilique, qui s’érigeait à la place de l’actuelle église paroissiale.
Les huit côtés de l’édifice font référence au huitième jour, le jour du Christ ressuscité, de la nouvelle vie au-delà de la matérialité.
Conforme à la culture paléochrétienne, la forme octogonale du baptistère recèle une riche symbolique théologique qu’on entrevoit uniquement dans la partie supérieure de l’édifice, depuis l’extérieur.
«Les huit côtés de l’édifice font référence au huitième jour, c’est-à-dire le jour du Christ ressuscité, de la nouvelle vie au-delà de la matérialité, qui suit le dernier jour de la création du monde».
Accompagné de ma guide, je quitte la cour extérieure et nous pénétrons dans l’édifice par la petite porte située sur la façade nord. Un passage assez étroit par lequel, notamment durant le temps pascal, les catéchumènes passaient pour se faire baptiser.
L’édifice se situe à un mètre en-dessous du niveau du sol actuel. Etant donné sa position dans une zone lacustre, il a été exposé à des alluvions.
Au milieu de la pièce, un ample bassin monolithique est posé sur les fonts baptismaux originaux, profonds 60 cm. Les catéchumènes y accédaient par deux marches depuis l’entrée nord et y ressortaient du côté sud pour rejoindre ensuite la basilique contigüe.
«À l’origine, ce bassin octogonal était revêtu de marbre, explique l’historienne de l’art. Il était pourvu d’un conduit qui permettait d’amener l’eau d’un canal extérieur qui coulait à l’est de l’édifice – toujours existant – et de la faire ensuite évacuer à l’issue de la célébration. De plus, un conduit en plomb, tout autour, servait à récolter l’eau qui, pendant l’immersion des catéchumènes, débordait du bassin».
Le sol autour, ondulé et irrégulier – en grande partie original – est très bien conservé. Il est composé de grands carreaux en marbre, blanc et noir, disposés en rosettes, avec des incrustations géométriques.
Devant les fonts baptismaux, orientés à l’est, j’aperçois trois absides plus tardives, enrichies par des précieuses fresques romanes du 12ème siècle, dont certaines en couches superposées.
«La fresque de la troisième abside a été réalisée à l’époque ottonienne et est donc rarissime. Il y en a seulement une dizaine dans le monde entier, dont cinq en Suisse», se réjouit l’historienne de l’art, face à la peinture représentant le Christus triumphant. La typologie de figure du Christ en croix, vivant et sans barbe, est typique du début de l’an 1000.
Construit en pierre locale, pendant de nombreuses années le baptistère tessinois a été caché sur trois côtés par d’autres bâtiments. Après de soigneuses inspections archéologiques, ce n’est qu’au début du 20e siècle qu’il a été isolé des autres édifices. Les travaux de restauration des années 1950 ont finalement redonné à la partie supérieure de la construction sa forme octogonale originale.
À l’automne 2021 débutera une nouvelle phase du projet de conservation des fresques, mené sous la responsabilité d’une équipe de la SUPSI.
Bien qu’il ait complétement perdu sa fonction d’origine, le baptistère a conservé une grande importance – autant d’un point de vue artistique que pour la vie de foi. «Les lumignons toujours allumés témoignent qu’il demeure un lieu de prière et de recueillement important, autant pour la population locale que pour les touristes, note Anastasia Gilardi.
«Les lumignons toujours allumés témoignent qu’il demeure un lieu de prière et de recueillement important, autant pour lapopulation locale que pour les touristes, note Anastasia Gilardi. C’est une présence forte, ressentie. Une présence qui parle une langue que nos contemporains ne parlent pas, le latin, mais qui va droit au cœur.» (cath.ch/dp)
Comment s’y rendre?
Il y a trois façon d’atteindre le Baptistère de Riva San Vitale.
En voiture : prendre la sortie 51 sur l’autoroute A2 (Melide-Bissone) et suivre Riva San Vitale. Traverser la place du village, prendre la route à gauche en direction de Rancate, et rejoindre l’église paroissiale dédiée à San Vitale. Depuis le cimetière, traverser le portique sur la gauche et entrer dans la cour en face.
En train : prendre le RER S10 la gare de Lugano et descendre à la gare CFF de Capolago-Riva S. Vitale. Longer la route principale en direction du centre ville. Sur la place du village prendre une petite ruelle à gauche – le baptistère se trouve à 100 mètres.
En bateau: depuis le débarcadère de Lugano, avec les bateaux de la Società di Navigazione del lago di Lugano
Pour aller plus loin…
– Rossana Cardani, Il Battistero di Riva San Vitale, Locarno, 1995.
– Isidoro Marcionetti, Il Battistero di Riva san Vitale. Storia arte liturgia, Lugano, 1978.
– Giuseppe Martinola, Inventario d’arte del Mendrisiotto, Vol. I, Bellinzona, 1975, 452-457.
Davide Pesenti
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/un-baptistere-paleochretien-erige-sur-des-thermes-romains/