Dans la basilique de San Bartolomeo all’Isola – une petite église qui se trouve sur l’île Tibérine, à Rome – la communauté de Sant’Egidio conserve la mémoire du prêtre français au sein du Sanctuaire des nouveaux martyrs. Pour l’agence I.Media, le Père Angelo Romano, recteur de la basilique, rappelle l’importance du témoignage laissé par le Père Hamel, qui selon lui porte encore aujourd’hui «des fruits de paix, de prière, de réconciliation».
Cette basilique, qui a plus de mille ans, a été fondée en 998 par l’Empereur Otton III. Depuis, elle a toujours eu comme caractéristique fondamentale la mémoire des martyrs. Les deux martyrs qui ont été vénérés dans cette église dès l’origine sont saint Barthélemy apôtre, dont le corps est conservé sous le maître-autel, et un martyr contemporain à la fondation de la basilique, saint Adalbert, qui était évêque de Prague et est mort en mission alors qu’il évangélisait les populations dans l’est de la Pologne actuelle.
Depuis l’an 2000, à l’initiative de Jean Paul II, cette basilique est également devenue un lieu où on garde la mémoire des martyrs contemporains, donc des nouveaux martyrs. Pour cette raison, les chapelles latérales contiennent différentes figures de martyrs chrétiens, recueillies selon différents critères et aussi dans une perspective œcuménique, parce qu’il n’y a pas seulement des martyrs catholiques mais aussi des orthodoxes et des évangéliques.
Le martyre peut avoir l’air d’une absurdité, parce que perdre sa vie pour sa foi peut paraître une chose trop énorme. Cependant, le martyr est une figure centrale du christianisme. Il est une figure de contestation contre une certaine culture du conformisme. A l’opposé, le martyr témoigne que pour la fidélité à l’Evangile, on peut être prêt à donner sa vie.
Aujourd’hui, notre monde semble être de plus en plus tolérant, mais mystérieusement le nombre de martyrs augmente. Cela exprime quelque chose de la nature profondément contestataire du témoignage chrétien, qui parfois pousse certains, contre les chrétiens, à la violence. De nos jours, le martyre chrétien n’est souvent pas un martyre lié à la proclamation de la foi, mais bien plus fréquemment un martyre subi pour une foi vécue.
Jean Paul II a encouragé la redécouverte du martyre dans le monde contemporain : la catégorie du martyre avait été un peu oubliée, on en parlait peu et elle semblait plus liée aux premiers siècles de l’Eglise. Le pape polonais en a réellement donné une conscience différente. Tout d’abord parce qu’il était lui-même presque un martyr, ayant subi les conséquences de la haine contre les chrétiens pendant son attentat, et avant cela la persécution [du régime communiste, ndlr] quand il était en Pologne. Jean Paul II a ensuite été, en tant que pape, témoin de la vie de nombreux martyrs. Il a permis à toute l’Eglise de comprendre qu’il existe une haine de la foi proclamée, mais que la haine de la foi vécue est aussi une haine de la foi.
Ainsi dans l’idée de Jean-Paul II, qui a ensuite été reprise, confirmée et enrichie tant par Benoît XVI que par le pape François, on comprend que le sang des martyrs porte en lui, déjà mystérieusement, l’unité chrétienne. C’est-à-dire que dans le témoignage des martyrs nous sommes toujours unis à nos frères et sœurs orthodoxes et évangéliques.
Dans le cas du Père Hamel, il y a eu un contact avec l’évêque de Rouen qui nous a immédiatement proposé d’accueillir sa mémoire dans le Sanctuaire des nouveaux martyrs. Nous étions très heureux de le faire parce que son histoire nous semblait très significative. Son témoignage a vraiment déclenché la haine de ceux qui l’ont ensuite tué parce qu’il était, on pourrait dire, un précurseur de Fratelli Tutti : un homme de dialogue, un homme d’amitié avec tous, d’amitié avec les musulmans, de respect. Un vieil homme qui était un point de référence pour sa communauté.
Tuer un homme qui prie est l’acte de la plus grande lâcheté et de la plus grande haine que l’on puisse imaginer
Il est également significatif qu’ils l’aient tué à l’autel alors qu’il était en train de faire la chose la plus inoffensive et la plus pacifique au monde: prier. Tuer un homme qui prie est l’acte de la plus grande lâcheté et de la plus grande haine que l’on puisse imaginer, car la prière est en soi un acte pacifique.
Nous conservons ici sa Liturgie des heures : elle est placée dans un reliquaire mais je l’ai prise plusieurs fois dans mes mains. Ce qui m’a touché est qu’à l’intérieur, il y a toutes les cartes et notes des premières communions, des défunts de sa paroisse, de ceux qui se sont mariés, tous ces souvenirs, parce que c’était ses gens, son peuple, ses amis.
Le Père Hamel était un pasteur, une personne qui vivait parmi les gens
Le Père Hamel était un pasteur, une personne qui vivait parmi les gens. Cela s’est vu aussi dans la réaction qu’il y a eu après sa mort, c’était extrêmement important parce que sa mort aurait pu générer aussi des phénomènes très mauvais. Mais son témoignage était tellement limpide qu’il était presque impossible de le manipuler. Il y avait aussi une certaine unité dans la réponse de l’opinion publique française, des différentes communautés religieuses. Les musulmans ont, par exemple, donné une très belle réponse, très univoque, tout comme la Conférence épiscopale française ou le pape en personne.
Cette concordance, qui surprend dans un pays complexe, pluriel, divers comme la France, m’a un peu surpris, parce que ça aurait pu ne pas se passer comme ça. [Le bréviaire du Père Hamel] est un des souvenirs qui nous amène le plus de visiteurs. Et nous recevons souvent des demandes de pèlerins français qui savent que ce souvenir est là et veulent venir le voir.
Je crois que dans son histoire, dans sa vie, dans sa conclusion, il y a un témoignage précieux. Le Père Hamel est un modèle de prêtre et de chrétien qui a passé toute sa vie – et même alors qu’il était devenu un vieil homme – à se consacrer inlassablement aux autres. Il est intéressant de noter que ces ›autres’ n’étaient pas limités à son troupeau de chrétiens et de catholiques, mais incluaient aussi ses frères musulmans, parce qu’il avait tout un réseau d’amitiés.
Le témoignage de cet homme âgé soumis à cette terrible violence au moment le plus inattendu, pendant la prière, nous montre, je crois, toute l’horreur du dessein violent de ceux qui l’ont tué. Il me semble que c’est le déshonneur ultime de penser qu’un tel acte puisse être justifié de quelque manière que ce soit.
La tradition de l’Eglise, comme l’exprime Tertullien, considère que ›le sang des martyrs est la semence des nouveaux chrétiens’. Je crois aussi pour ma part, de manière plus large, que le sang des martyrs n’est jamais perdu, qu’il porte des fruits. Je crois que même aujourd’hui le sang du Père Hamel a porté des fruits de paix, de prière, de réconciliation. Le témoignage des martyrs agit dans le grand courant de l’histoire comme une lame de fond: il réussit à toucher là où peut-être nous ne voyons pas, parce que nous nous arrêtons à la surface.
Je pense que c’est une chose très juste. Dans la tradition de l’Eglise, le martyre est en lui-même suffisant pour proclamer la béatification d’une personne, il n’y a paradoxalement même pas besoin de déterminer quel genre de vie il a vécu avant, sa mort est suffisante. Le Père Hamel, de plus, a mené une vie exemplaire, donc si je peux faire une prédiction, je ne pense pas qu’il y aura de problème pour sa béatification (cath.ch/imedia/ih/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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