Claire Guigou, I.MEDIA
13 mars 2013. Les journalistes du monde entier ont les yeux rivés sur la cheminée de la Chapelle Sixtine à l’affût de la célèbre fumée blanche. Voilà maintenant plus de 20h que les cardinaux du monde entier délibèrent. Soudain, vers 16h30, une mouette blanche vient se poser sur le chapeau chinois du conduit en cuivre rouge. Le volatile blanc est bien vite remplacé par un second un peu plus gros. Du haut de son saint perchoir, l’animal semble toiser la foule.
« L’Esprit saint arrive au conclave », plaisante un journaliste sur son compte Twitter. Il n’en faut pas plus aux vaticanistes pour faire du volatile la mascotte de cette élection. Dans les minutes suivantes, un compte Twitter (@SistineSeagull) est créé, et, en deux temps trois mouvements, près de 4.000 personnes s’abonnent. Le réseau social «gazouille» à n’en plus finir.
La présence de ce drôle d’oiseau à quelques heures de l’annonce de l’élection du pape François, amoureux de la Création et auteur de la célèbre encyclique Laudato si’ est-elle un hasard ? Certains s’amusent de la coïncidence. Dans la soirée du 13 mars 2013, l’agence AICA établit quant à elle un lien très sérieux entre l’oiseau et Bergoglio. Le volatile du conclave est une mouette de l’espèce Larus argentatus, avance le média argentin en expliquant que le terme argentatus fait référence au nom du pays d’origine du 266e pape.
Cet épisode qui prête à sourire n’est pas sans rappeler le lien – tout à fait avéré cette fois-ci – qui existe entre les papes et un oiseau bien plus noble : la colombe. Dans son Histoire ecclésiastique, Eusèbe raconte comment, au IIIe siècle, le pape Fabien fut choisi par cet oiseau biblique pour conduire l’Église. « Tout à coup, une colombe descendit du Ciel et se posa sur [la tête de Fabien], (…) reproduisant la descente du Saint-Esprit sur le Sauveur en forme de colombe », écrit l’historien avant d’ajouter : « sur quoi tout le peuple (…) cria qu’il était digne, et sans aucun délai (…) on le plaça sur le siège épiscopal ».
Fabien, un simple homme de la campagne, n’est pas le seul homme providentiellement élevé au rang de pape de cette façon: à en croire différentes sources mentionnées dans Le Bestiaire du pape, saint Sévère, Polycarpe ou encore Zéphyrin auraient été désignés par ce biais explique Agostino Paravicini Bagliani, auteur de cet ouvrage. L’Italien fait d’ailleurs remarquer que les récits de conclaves mentionnent la descente de l’oiseau de l’Esprit saint à l’occasion d’élections inattendues – hommes simples ou encore étrangers au monde romain.
La colombe est aussi le symbole d’un pape bien connu : Grégoire Ier dit «Le Grand». Dans sa biographie du saint, le moine Paul Diacre narre les origines de cette association. Un homme épiant Grégoire en train de dicter son commentaire sur Ézéchiel aurait aperçu l’un de ces volatiles sacrés virevolter au-dessus de l’épaule du 64e pape. Lorsque ce dernier cessait de dicter, l’animal mettait son bec entre ses lèvres pour lui suggérer un nouveau commentaire. De pape en pape, la colombe devient ainsi le symbole de l’Église et de la papauté. Ses multiples représentations à Saint-Pierre de Rome – pas moins de cinq cent – l’attestent.
L’oiseau de la paix n’est toutefois pas le seul à avoir investi les murs léonins. Dans un autre registre, l’historien du XIIIe siècle Gilles de Rome utilise en effet l’aigle pour définir la fonction du pape. Selon lui, cet oiseau majestueux représente de manière évidente le symbole du pouvoir pontifical sur l’Église universelle. Capable de protéger « toute chose » grâce à ses grandes ailes, l’aigle est « plein de plumes, c’est-à-dire de vertus » à l’image des Souverains pontifes, analyse-t-il.
Davantage connu pour ses bavardages que pour sa sagesse, le perroquet a lui aussi eu une place de choix auprès des papes. L’histoire d’amitié entre cet animal coloré et les pontifes commence au XIe siècle, lorsqu’un souverain – probablement Etienne Ier, roi de Croatie et de Dalmatie – envoie un perroquet au pape Léon IX. L’animal était capable non seulement de répéter continuellement « je vais chez le pape » mais également le nom du pontife, Leo. Lorsque ce dernier était fatigué et découragé, le volatile conférait une «nouvelle force intérieure» à ce pontife d’origine étrangère et imposé dans des circonstances difficiles.
Au XIIIe siècle, la redécouverte de la Rome antique et de son symbolisme renforce l’intérêt de la Curie pour cet animal impérial. Il faut toutefois attendre la période avignonnaise pour constater la présence récurrente des volatiles auprès des pontifes, jusque dans leur chambre. Les deux derniers papes avignonnais – Urbain V et Grégoire XI – rentrèrent quant à eux à Rome avec un perroquet. Dès lors, la tradition du «perroquet du pape», animal transporté au gré des déplacements du successeur de Pierre, se poursuit jusqu’au XVe siècle.
En 1420, un document signale pour la première fois l’existence d’une «chambre du perroquet» dans le Palais apostolique, dans laquelle le pape réunissait les cardinaux en consistoire et se préparait avant de participer à des cérémonies solennelles. Sorte de confins entre l’espace privé et public, cette salle servait aussi à recevoir les ambassadeurs.
Sous Léon X, le symbolisme du perroquet au Vatican atteint son apogée : pour honorer le pape Médicis, le peintre Raphaël représente saint Jean-Baptiste le regard tourné vers un petit perroquet sud-américain. Reprenant la tradition romaine et médiévale qu’avait l’animal d’annoncer l’empereur, l’artiste associe le Baptiste avec un perroquet pour annoncer le pape comme représentant du Christ sur Terre.
Bien plus tard, François remet l’animal au goût du jour lors d’une audience en 2014. Alors qu’il fend la foule place saint Pierre, un perroquet vient se poser sur ses doigts. La photo légendaire fait le tour du monde et suscite des commentaires affectueux. En bon fils spirituel de saint François, le 266e pape dira au propriétaire de l’animal : «c’est un très beau don de la nature». Cette tendresse pour le cacatoès ne l’empêchera pas de mettre en garde les fidèles contre le risque de prier comme des perroquets, c’est-à-dire machinalement.
Dans l’histoire récente de la papauté, le successeur de Pierre le plus proche des oiseaux fut cependant Pie XII. Le pape de le Seconde Guerre mondiale avait en effet une affection particulière pour un petit canari qu’il aimait voir se percher sur son doigt. Et si les membres de la Curie romaine pouvaient parfois se gausser de ce petit volatile – un drôle d’animal de compagnie pour un pape – , sa secrétaire, Sœur Pascalina prit grand soin de ce passereau qui apporta du réconfort à cet homme tourmenté.
I.MEDIA
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/ces-papes-qui-parlent-aux-oiseaux-2-4/