Luc Balbont, pour cath.ch
Dans deux jours, le pape François accueillera au Vatican dix représentants des Eglises libanaises pour une journée de réflexion sur le Liban. C’est à l’initiative du catholicos de l’Eglise Apostolique arménienne, que cette journée a été programmée par le pontife (lire l’interview de Mgr César Essayan ci-dessous).
Conscient de la situation d’extrême gravité que traverse le Pays du Cèdre depuis l’automne 2019, Aram 1er a réussi à fédérer catholiques, orthodoxes et protestants pour demander à François d’être reçu dans la cité pontificale, ce qui n’est pas chose aisée au Liban, où l’œcuménisme a encore des progrès à faire.
Sans hésitation, François a aussitôt fixé la date. C’est dire tout l’intérêt que porte le Vatican à ce petit pays à peine plus grand qu’un département français. Un pays marqué actuellement par tous les fléaux du monde: pas de gouvernement depuis bientôt un an, une dévaluation abyssale de la monnaie, un chômage croissant, une inflation record, une explosion dévastatrice du centre de Beyrouth en août dernier… Un Libanais sur deux vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et le pays est au bord d’une crise pire que les 15 années de guerre civile qu’il a connues entre 1975 et 1990.
On peut s’étonner de cet intérêt porté par le Saint Siège, mais le Liban reste l’une des priorités de la politique étrangère du Vatican. Jean Paul II en 1997 et Benoît XVI en 2012, s’étaient déjà rendus au Liban. Leur successeur a prévu, lui aussi, un voyage prochain, conscient que la communauté chrétienne Libanaise joue un rôle déterminant pour l’avenir du christianisme en terre sainte.
«C’est la seule nation arabe où les chrétiens ont encore la liberté de se faire entendre», affirme Fouad Abou Nader, petit fils de Pierre Gemayel (*1), fondateur du parti chrétien «kataëb». En effet si les chrétiens libanais venaient à disparaître, s’en serait fini des Eglises du Moyen-Orient, réduites à des minorités silencieuses sur une terre où Jésus venait prêcher dans les villes du sud Liban.
Le 8 juin dernier, les chefs religieux libanais se sont réunis au patriarcat maronite de Bkerké, au nord de Beyrouth, pour préparer cet entretien papal, en mettant sur la table tous les problèmes qui touchent le pays. Mgr Mounir Khairallah, l’évêque maronite de Batroun, proche du patriarche Raï, explique que les échanges se sont focalisés sur plusieurs points: l’émigration des chrétiens, un danger pour la communauté, le retour à l’exhortation apostolique de 1997, où Jean Paul II engageait tous les Libanais à vivre et à travailler ensemble, chrétiens comme musulmans, brisant tous les murs, et combattre aussi la corruption, l’un des fléaux endémiques du Liban.
Sur le confessionnalisme, contrairement à Mgr Essayan, les chefs religieux, tout en reconnaissant les limites du système de répartition des pouvoirs par confession (président chrétien, Premier ministre sunnite, président de l’assemblé chiite), l’obstacle majeur à l’unité, ont opté pourtant sur son maintien. L’évêque émérite de Beyrouth, Mgr Paul Matar (*2) exprime comme un grand nombre de religieux la crainte que dans une société civile laïque, hâtivement bâtie, les communautés chrétiennes perdent une grande partie de leur pouvoir.
Evoquée encore, la neutralité ou «distanciation», pour éviter la manipulation par les puissances étrangères: «Ici chaque confession est soutenue par un pays étranger. La guerre civile de 1975 en a été l’exemple frappant», précise Elias Ghosn, médecin à l’hôpital de Jbeil, au nord-est du pays.
Les responsables chrétiens ont eu beau marteler qu’ils se rendaient à Rome, «non pour constituer un front chrétien, mais pour parler au nom de tous les Libanais», du côté musulman, la déception de ne pas être invité à cette journée se fait sentir.
A Rome, on rétorque que cette réunion ne sera consacrée qu’aux communautés chrétiennes, mais que des groupes islamo-chrétiens seront par la suite organisés comme en 1997 et 2012, quand le Vatican avait invité les responsables musulmans à participer à la préparation des synodes.
Théologienne musulmane et présidente de la fondation Adyan (les religions), qui travaille sur la citoyenneté commune, Nayla Tabbara espère que les musulmans suivront l’exemple chrétien, pour préparer eux aussi une réflexion commune avec leurs chefs chiites, sunnites alaouites et druzes, afin de sortir de la crise et préparer l’avenir du Liban.
La rue et l’opinion publique restent en majorité indifférentes à l’événement, plus préoccupées par les difficultés quotidiennes: payer les scolarités de leurs enfants, trouver du lait pour les plus petits, ou de l’essence pour la voiture – pour ceux qui en ont encore une – et se creuser la tête pour préparer les trois repas de la journée.
Ce 1er juillet 2021, François, en écoutant les témoignages des responsables chrétiens, en profitera certainement pour préparer son futur voyage au Liban… Fin 2021 ou début 2022, quand le pays aura réussi à former un gouvernement. (cath.ch/lba/bh)
(*1) A lire : Liban, les défis de la liberté, le combat d’un chrétien d’Orient. Fouad Abou Nader avec Natalie Duplan et Valérie Raulin – l’observatoire, 220 pages.
(*2) Liban: citoyenneté, pari risqué pour les chrétiens. Entretien avec Luc Balbont, bulletin de L’œuvre d’Orient N° 801, octobre 2020.
Comment s’est arrangée cette rencontre avec le pape François?
Mgr César Essayan: C’est Mgr Aram 1er Kechichian, catholicos arménien de Cilicie au Liban*, qui a demandé audience au pape. Suite à la réponse positive du Vatican, les chefs des Eglises libanaises se sont réunis le 8 juin dernier au patriarcat maronite de Bkerké, afin de préparer cette journée pour le Liban. Le pontife a fixé la date de la rencontre au 1er juillet.
Qu’avez-vous décidé lors de cette réunion du 8 juin?
Chacun s’est d’abord exprimé et nous nous sommes beaucoup écoutés. Nous n’avons pas coécrit de feuille de route, ni de texte final. Nous avons seulement mis sur la table les problèmes actuels de notre pays, et proposé des solutions pour sortir de cette crise… savoir dans quel Liban nous voulons vivre.
Savez-vous ce que le pape va vous demander?
Non, il faut attendre le 1er juillet. François est un pape plein de surprises, il se prononce là où on ne l’attend pas. Pour lui, l’Eglise est en devenir perpétuel.
«Nous n’avons pas coécrit de feuille de route, ni de texte final.»
Pourquoi cette rencontre exceptionnelle?
Le pape François est très préoccupé par la situation catastrophique que traverse notre pays. Nous sommes en faillite. Aujourd’hui, un Libanais sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté: crise politique, crise économique, crise sociale, émigration massive. La présence des chrétiens au Liban est pourtant capitale. Non seulement pour notre pays, mais aussi pour tout le monde arabe. Ils sont un facteur de paix et de diversité nécessaires à l’équilibre de la région. Le Liban est le seul pays du Moyen-Orient où les chrétiens de sont pas une communauté juste tolérée sans pouvoir.
Quels sont ces problèmes?
La division et la corruption. Division, non seulement entre chrétiens et musulmans, mais entre chrétiens, où chacun défend son propre territoire sans se soucier du bien commun. C’est ce communautarisme confessionnel qui engendre la corruption, l’autre grand problème de notre pays. Une partie de la communauté a quitté le pays, mais une autre continue à lutter courageusement contre ces politiciens corrompus qui utilisent la religion pour s’approprier les richesses du pays.
«Ce confessionnalisme nous ronge. Beaucoup de Libanais, chrétiens comme musulmans, ne se reconnaissent plus dans ce système.»
Beaucoup de chefs religieux chrétiens craignent qu’en mettant fin à la répartition confessionnelle, ils perdent leur pouvoir face aux musulmans.
C’est un risque, mais, selon moi, un risque qu’il faut prendre pour sortir de ce bourbier. Ce confessionnalisme nous ronge. Beaucoup de Libanais, chrétiens comme musulmans, ne se reconnaissent plus dans ce système. Sortir de ces ghettos, de ces clans, c’est poser les bases d’un vivre ensemble réel, c’est penser un autre Liban.
Vous évoquez le vivre ensemble, comment les Eglises libanaises peuvent-elles aider à le réaliser?
Nos Eglises doivent être plus unies, plus solidaires, plus synodales. Nous devons cesser de nous diviser et marcher main dans la main. C’est au prix de cette unité que nous règlerons nos problèmes en cessant d’attendre que les autres les règlent à notre place. Si la diplomatie vaticane peut nous aider auprès des instances internationales (ONU, Union Européenne), nous devons aussi œuvrer pour sortir de cette situation dramatique. L’exhortation apostolique du pape Jean Paul II en 1997, qui appelait les Libanais à travailler ensemble, est un exemple à suivre. LBA
*La présence de cette Eglise au Liban s’explique par le génocide arménien de 1915, qui poussa le catholicossat à s’établir à Beyrouth. L’autre catholicos a son siège en Arménie, indépendante depuis 1991.
Rédaction
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