Propos recueillis à Rome par Arthur Herlin, I.MEDIA
Vous avez fréquenté le pape François pendant cinq ans et acquis sa confiance au fil du temps. Pouvez-vous nous éclairer sur sa psychologie ?
Nous avons à faire à un homme de l’écoute, une écoute non pas superficielle mais très active et compréhensive. Le pontife est d’abord et avant tout un homme, un pasteur et un frère en humanité. C’est le cœur de la vision qu’il porte de la rencontre : pour lui, ce qui est déterminant, c’est d’apprendre à rencontrer et à se rencontrer.
Le pape François est aussi un jésuite, qui est en capacité de discerner, mesurer, interpréter ce qu’il écoute. Cela s’observe chez lui en termes de défi pour l’avenir et en termes d’analyse des contradictions. Plus qu’un jésuite, il est surtout un ignacien, au sens du discernement.
On trouve de plus chez le pape quelque chose de l’ordre de la vision. Il me semble qu’il poursuit un chemin avec un horizon en vue. Je suis très sensible à cela, par exemple quand il écrit dans Fratelli Tutti : « on ne peut pas construire quoi que ce soit en terme de confiance et de paix sans vérité ». Car au fond, c’est un homme de la vérité. Évidemment parfois le travail de la vérité, qu’on soit en psychanalyse ou que l’on soit dans la morale théologique, est un travail coûteux. On le voit autant lorsqu’il remercie publiquement un cardinal ou quand il «provoque» la Curie – lors du discours des «quinze maladies» par exemple – ou encore quand il demande l’évaluation des services du Saint-Siège.
Cette forme de provocation est à comprendre au sens «pro-vocation», c’est-à-dire «pour ta vocation». «Je te dis cela, pour que tu te trouves toi-même et m’aides à me trouver moi-même», semble-t-il nous dire.
D’ailleurs, François est lui-même un homme qui cherche continuellement qui il est, et comment il peut être un authentique pasteur. Ses entretiens avec les cinéastes, journalistes, éditorialistes, écrivains, sont autant d’occasions pour lui de dire : «cela m’aide de vous parler». François n’est pas quelqu’un qui a déjà un message, mais qui est en train d’écrire le message pour l’Église, la mission, pour que ce monde trouve sa propre vocation.
Le pontife a délivré de nombreux messages. Croyez-vous qu’il en ait encore beaucoup à partager?
Je dirais que l’architecture théologique et pastorale est posée. Dans Fratelli tutti, le pape dit : « nous avons besoin d’une architecture de la paix mais surtout d’un artisanat de la paix ». Il faut que l’architecte et l’artisan se rencontrent. Les années qui viennent vont être des années de précision, notamment avec sa réforme pastorale. Elle devrait être sortie, mais on sent qu’il l’ajuste. Il est encore dans la finition de quelque chose qui engage l’avenir. De même, ses nominations de cardinaux ou ses visites participent d’une volonté d’affiner cette posture missionnaire de la rencontre entre l’Église et le monde. Il se donne le temps d’aller jusqu’au bout.
Votre vision du Saint-Siège est-elle la même que lors de votre arrivée?
Une pesanteur des instances du Vatican demeure. Il y a des processus administratifs, de décision, qui restent lourds. À certains égards, cela impatiente François. Il est impatient de voir une administration plus transparente, plus lucide, responsable et souple, avec une capacité d’être dans la responsabilité missionnaire. Par ailleurs, son pontificat a été marqué par des résistances fortes.
Quelles sont-elles?
En Europe et outre-Atlantique, on observe des sensibilités qui «résistent» à ce pape du dialogue de la fraternité. On sent bien qu’un certain nombre de propositions ont mis en inconfort des partisans d’un catholicisme institutionnel, classique, autocentré. Les chantiers et les pesanteurs sont donc identifiés. Ce qui me frappe, c’est qu’il y un certain nombre de collaborations qui sont plus faciles aujourd’hui, avec la Communication, la Secrétairerie d’État, le Dicastère pour la culture et pour l’éducation. Tout cela fonctionne de manière plus dynamique et plus directe. Cela, nous le devons à François. Sa posture n’est pas simplement de nous permettre de travailler ensemble mais de travailler avec nous. C’est de créer des interactions, de l’interactivité, de la synergie et ne plus être dans le cloisonnement. Le cloisonnement est clairement en train de se réduire. Nous avons un rapport au temps encore trop lent, disons les choses, mais quand on le veut on peut décrocher le téléphone et on se parle. Le pape l’a dit : un charisme important est la capacité à être ensemble. C’est dans la coopération que nous pouvons progresser.
Votre départ implique un recul de la présence française dans la Curie romaine. Doit-on s’inquiéter de la perte d’influence de la France au Saint-Siège?
Il y a d’abord une perte de la langue française. Je fais partie de ceux qui se battent pour que le français continue à être pratiqué et parlé au Vatican. Je trouve triste que cette langue ne soit plus considérée comme la langue officielle et diplomatique du Saint-Siège.
La France, sa culture et son histoire ont un rôle à jouer dans l’Église et sa mission. C’est difficile de comprendre la France quand on est au Vatican. Les débats sur la laïcité parasitent beaucoup les échanges avec l’Église, mais aussi avec les pays du monde entier. Les gens ne comprennent pas pourquoi on déploie une telle énergie intellectuelle, politique, sociale, sur ces questions de société. Le pape François a de la peine à savoir où nous allons avec cela et à se demander pourquoi nous n’avons pas plus de facilité dans un pays qui a une histoire très marquée par le dialogue des cultures. Entre la vocation d’accueil de la France et le pontificat de François, on a l’impression parfois d’un rendez-vous manqué. Plus d’une fois, j’ai sollicité le Saint-Père pour qu’il vienne en France. Il m’a dit : « qu’est-ce que j’ai à dire à la France ? Qu’est-ce que je peux vous dire ? Que pouvons-nous partager ? »
Il a finalement exprimé l’intention d’aller à Marseille. Le projet serait de rencontrer une Église lieu de rencontre et non pas une Église qui se raidit par rapport à un État laïc… non, cela, ça ne l’intéresse pas. Je lui ai dit de venir à Marseille, mais aussi à Taizé pour prier avec les jeunes Français et européens qui vivent la fraternité. Il n’est pas opposé à cela. Ça lui parle. Cela ne doit pas être une visite protocolaire où l’on dira : « la France est laïque, pourquoi reçoit-on le pape ? » C’est hors de propos. Il s’agit pour nous, la France, de montrer que ce pays, qui a une belle histoire marquée par la dignité de l’homme et la résistance à l’oppression, est témoin de foi et d’espérance.
Quelle vision le pape a-t-il des prélats français ? Est-il en mesure d’en appeler au service du Saint-Siège?
Il n’a pas abandonné la France contrairement à ce que certains croient. Je suis moi-même Français. J’ai toujours été considéré et reçu de manière chaleureuse. J’ai été troublé d’entendre qu’il avait attiré l’attention sur une réflexion que j’avais pu avoir. L’Église en France et le pays en général doivent simplement être plus en capacité d’offrir. Nous devons faire notre examen de conscience, nous ne sommes pas assez proposants en terme de théologie, de compétences diverses et sur le plan du dialogue avec la modernité, la médecine et la technologie. La richesse de la France est incroyable. Pourquoi est-ce si cloisonné par rapport à la dimension religieuse ? C’est comme si les convictions religieuses étaient une faiblesse, mais c’est une force ! Et cela ne correspond plus aux nouvelles générations. (cath.ch/imedia/ah/mp)
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