Une petite révolution est en marche dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). Fin mai, l’évêque, Mgr Charles Morerod, a opéré un remaniement profond dans l’organisation de son diocèse. Les vicaires épiscopaux et les vicariats ont laissé la place aux représentants de l’évêque et aux régions diocésaines.
Céline Ruffieux, de Riaz, agente pastorale, enseignante et psychologue, prendra ainsi la suite de l’abbé Jean Glasson au 1er septembre 2021 pour la région diocésaine de Fribourg (partie francophone). D’ici là, elle continue d’occuper son poste d’enseignante en religion et formatrice au vicariat. Elle répond aux questions de cath.ch sur les enjeux de sa future mission.
D’après ce que vous en savez, vos tâches en tant que représentante de l’évêque seront-elles tout à fait les mêmes que celle du vicaire épiscopal?
Céline Ruffieux: Nous allons d’abord assurer la continuité. Sur le principe, les mêmes tâches me seront attribuées, sauf bien sûr celles qui sont propres à un prêtre. L’évêque a clairement posé les lignes directrices. Gardons à l’esprit que nous sommes dans un processus, on va voir et construire au fur et à mesure des besoins, des réalités, déterminer ce qui sera le plus pertinent.
En tant que femme, laïque et mère de famille, que pensez-vous pouvoir spécifiquement apporter dans votre fonction?
Je me considère avant tout comme une personne avec mes compétences propres, et je pense que c’est davantage pour cela que l’évêque m’a appelée que parce que je suis une femme. Après, il est sûr que mon identité de femme, laïque et mère de famille est une richesse complémentaire, qui apportera d’autres couleurs à ce poste. Nous avons chacun une manière différente d’entrer en contact avec les personnes, d’être en lien, d’être dans le monde selon notre histoire de vie, notre formation.
«Si on n’accepte pas cette diversité, on passe à côté de l’Eglise»
Concrètement, comment cela se manifestera?
J’ai une expérience «intérieure» de la communauté, qu’elle soit familiale ou paroissiale. Car je suis avant tout paroissienne. Cela me donne une perspective différente, une vision particulière de l’Eglise. Je ne parle pas en termes d’avantage ou de désavantage. C’est une particularité qui va faire évoluer les choses dans un axe différent.
Ce nouvel état de fait n’induit cependant aucun éloignement entre le corps des laïcs et celui des prêtres. Car en tant que baptisés, nous sommes complémentaires, nous sommes tous là pour faire vivre l’Eglise ensemble, avec des rôles, des missions, des statuts, des états de vie différents. Je me réjouis de travailler dans cet esprit avec les prêtres.
Que pensez-vous de cette démarche de valorisation des laïcs effectuée par Mgr Morerod?
Je suis très heureuse et enthousiaste de ce projet et de cet appel de notre évêque pour le diocèse. C’est un renouveau, un dynamisme, un élan. Il parle de saut dans la foi, et j’aime bien cette idée de mouvement. Cela implique que les choses sont en train de bouger. Mais un saut comprend aussi des risques, qui sont autant de «kairos», de lieux qui peuvent devenir des tremplins dans ce processus ecclésial.
Les laïcs ont toute leur place dans l’Eglise. Le pape François n’arrête pas de le souligner et de poser des gestes en ce sens. Donner une place aussi importante aux laïcs, aujourd’hui, c’est un signe fort. Nous tous, les baptisés, nous sommes l’Eglise. Si on n’accepte pas cette diversité, on passe à côté de l’Eglise, qui doit être représentative de son peuple.
Pensez-vous courir le risque d’être «cléricalisée»?
Cette crainte existe. Quand on a un pouvoir, un statut, on a la tentation de l’utiliser pour imposer des choses qui n’ont aucun sens. Mais, à mon avis, le risque est autant présent pour un laïc que pour un clerc. Je ne pense pas que ce soit le sacrement de l’ordre qui rende «clérical». Ce sont les choix que le prêtre fait par la suite et comment il se positionne par rapport aux autres dans son état ordonné. C’est une question sociologique, un laïc peut devenir clérical s’il adopte une posture du genre: «Parce que j’ai cette mission-là, vous devez m’obéir, parce que j’ai tel statut, je sais mieux que vous, etc.». Le prêtre est transformé par le sacrement de l’ordre, mais reste malgré tout humain. Et personne ne peut s’épargner de travailler sur son rapport aux autres et à la société.
«Il ne faudrait pas être dans une attitude du ‘tout va bien, on fonce'»
Comment éviter ce piège de la «cléricalisation»?
Plus on est explicite dans nos relations, dans les rôles qu’on tient, dans le genre de mission qu’on a, moins on risque de se cléricaliser. Mais cette tentation guette chacun de nous et il faut rester vigilant. A mon niveau, je prévois de faire le point à intervalles réguliers, pour m’interroger sur mon fonctionnement.
Avez-vous rencontré des personnes ayant une vue critique de la démarche de l’évêque?
Comme c’est tout frais, j’entends peu de remarques directes. Par contre, je sais qu’il y a des craintes. Dès qu’il y a un changement, cela crée un flou, on doit changer de repères, déconstruire quelque chose qu’on connaît bien. Et même si l’on n’est pas d’accord avec un système, ce dernier reste confortable, parce qu’on connaît son fonctionnement, ses rouages. La crainte peut fabriquer une réponse d’agressivité, de rejet ou de déni. Ce sont des réactions humaines et normales. J’en ai conscience et je vais les accueillir. Il ne faudrait pas être dans une attitude du «tout va bien, on fonce». Il est important de se poser des questions et de créer des espace-temps pour en parler.
Quelles seront vos premières actions à votre poste? Quels sont les chantiers auxquels vous allez vous atteler en premier?
Un premier défi est justement d’appréhender, d’expliciter ces craintes, ces questionnements, ces rejets. Discuter, trouver des solutions ensemble. Moi-même, je dois trouver ma place, ainsi que toutes les autres personnes impliquées dans cette nouvelle dynamique. Le dialogue va être primordial, dans un processus de synodalité. On est ‘Eglise’, et pas une multinationale avec un patron qui change.
Sinon, c’est un peu tôt pour parler des dossiers. Un point qui me tient à cœur, ce sont les articulations entre les diverses structures existant dans le canton, les équipes pastorales, les paroisses, la corporation ecclésiastique, les organes de communication, etc, ainsi qu’avec les autres régions du diocèse. On a déjà commencé à réfléchir ensemble pour ne pas réinventer la roue chacun dans notre coin, mais essayer d’apporter des réponses selon nos réalités respectives. L’évêque a parlé de transversalité, et là je vois vraiment l’occasion de synergies pour des thématiques particulières qui traversent le diocèse. La collaboration est déjà bien présente, mais on peut certainement faire encore mieux.
J’ai envie d’aller vers cette Eglise où les personnes se sentent bien, dans laquelle on a envie de venir et revenir. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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