Pour le théologien Philippe Becquart, le pape François est en train de changer les pratiques ecclésiales, en procédant par étapes. Il donne des signaux clairs d’une transformation lente, mais décisive. «Cette transformation conduira à terme à revisiter nos évidences, nos idéologies sous couvert de théologie, et ainsi à changer radicalement de modèle pastoral. En bref, lentement mais sûrement, le pape est en train de tout changer», prévient le responsable du Département des adultes de l’ECVD. Interview.
Vous avez affirmé, dans la revue jésuite Choisir, que le pape François en train de tout changer, comment concrètement?
Par son Motu proprio Spiritus Domini, promulgué le 11 janvier 2021, le pape a modifié le code de droit canon, donnant la possibilité à des femmes d’accéder au ‘ministère du lectorat’. Celui-ci comprend la proclamation liturgique de la parole et l’enseignement de la foi. Et le ‘ministère de l’acolytat’, qui désigne le service du prêtre dans l’action liturgique (service de l’autel, distribution de la communion, …). Le lectorat et l’acolytat deviennent ainsi des ministères institués, donc à caractère permanent, conférés «à vie», désormais accessibles aux femmes.
Puis vient l’officialisation du ministère de catéchiste…
Avec ce deuxième Motu proprio, Antiquum Ministerium, le pape institue le ‘ministère de catéchiste’, ouvert à tous les baptisés. Ministérialité très ancienne dans l’Église où des chrétiens et des chrétiennes ont participé activement à son édification. Les catéchistes, souvent des laïcs, hommes et femmes, ont joué un rôle primordial et «efficace» dans la diffusion de l’Évangile. Ils ont permis de donner vie à des communautés, là même où les ministres ordonnés étaient absents ou ne pouvaient les rejoindre que très ponctuellement.
«Ce n’est plus le sacrement de l’ordre, réservé aux hommes, qui est la matrice de la ministérialité, mais le baptême»
Philippe Becquart
Comment le pape justifie-t-il ces ministères proprement féminins?
En instituant trois ministères ouvertement accessibles aux femmes, en leur donnant une place dans le chœur, près de l’autel ou dans une charge d’enseignement de la foi, on signifie la nature avant tout baptismale et tout entière ministérielle de l’Église. Ce n’est plus le sacrement de l’ordre, réservé aux hommes, qui est la matrice de la ministérialité, mais le baptême. Chaque baptisé, homme ou femme, est donc apte et même appelé à rendre efficace la grâce de son baptême selon les dons disposés en lui et en elle par Dieu, et à le faire parfois dans des ministères reconnus.
N’y a-t-il pas un risque d’affaiblir le ministère sacerdotal?
Le pape François, sans contester la distinction historique entre ministères laïcs et ministères ordonnés, opère un virage dans la compréhension de ces mêmes ministères, rattachés jusque-là au cheminement vers le sacrement de l’ordre et à son exercice. Cela résulte de la rupture religieuse historique que traversent les sociétés occidentales, qui n’ont plus assez de prêtres pour accompagner et vivifier les communautés croyantes. Mais il y a plus. Il s’agit de dépasser le blocage que représente la condition sexuée de la personne – distinction entre homme et femme–, pour revenir à ce qui nous constitue comme chrétiens: la grâce du baptême qui nous greffe à la vie même du Christ.
«La réception d’un ministère laïc met davantage l’accent sur l’engagement missionnaire typique de chaque baptisé»
Pape François, AM 7
Comment le pape communique cette distinction entre ministère et sacerdoce?
Par sa déclaration solennelle – «après avoir examiné tous les aspects, en vertu de l’Autorité apostolique, j’institue le ministère laïc de catéchiste» – François ne remet pas en cause, frontalement, le lien entre ministère et sacerdoce, hérité du concile de Trente. Mais il déplace adroitement le centre de gravité de la ministérialité vers le baptême, les dons et les charismes, pour adapter l’Église aux défis de la sécularisation et au devoir d’annoncer partout l’Évangile. «La réception d’un ministère laïc, comme celui de catéchiste, met davantage l’accent sur l’engagement missionnaire typique de chaque baptisé qui doit être accompli sous une forme entièrement séculière sans tomber dans aucune expression de cléricalisation». (AM 7)
Mais le danger de cléricalisation des ministères laïcs est réel…
Il ne s’agit pas de cléricaliser les baptisés en les substituant aux ministres ordonnés, mais de déployer la grâce baptismale dans un service missionnaire, celui de l’annonce de la foi, chez ceux et celles où un don de Dieu est reconnu pour le faire. D’autres ministères institués pourraient également signifier la reconnaissance de vocations spécifiques des baptisés, hommes et femmes indistinctement, et peut être même aider à découvrir ou redécouvrir des ministères féminins attestés dans l’Église apostolique, comme le ministère de femmes diacres. Je vous renvoie à l’ouvrage du Père jésuite, Bernard Pottier, Le diaconat féminin, jadis et bientôt, 2021.
«Le pape a rappelé l’importance du célibat sacerdotal, tout en ouvrant trois ministères institués à des laïcs»
Philippe Becquart
Sur certains points, comme le célibat de prêtres, le pape toutefois a réaffirmé son attachement…
Lors du synode sur l’Amazonie en 2019, un désaccord a été constaté, à propos de l’ordination d’hommes mariés dans des Églises locales, privées de pasteurs et de sacrements. François a estimé que la discussion synodale engagée ne valait pas discernement. Rappelant l’importance du célibat sacerdotal, le pape n’a pas voulu – dans son exhortation de février 2020 – porter la responsabilité de revenir sur la discipline de n’ordonner prêtre que des hommes engagés dans le célibat. Pourtant, en cohérence profonde avec la redécouverte de la synodalité de l’Église, qui est le soubassement et la ligne de fond du pontificat de François, le pape a bel et bien ouvert trois ministères institués à des laïcs, hommes et femmes, indistinctement.
«Avec la nomination de représentants laïcs, Mgr Morerod rejoint l’intention du pape, par une autre voie»
Philippe Becquart
Comment mettre en œuvre les changements souhaités par le pape François?
Pour notre diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, la récente décision de Mgr Charles Morerod de nommer comme ‘représentants’ dans trois ‘régions’ (cantons VD, FR, NE) du diocèse, une théologienne laïque, un théologien laïc, ainsi qu’un diacre, mariés et pères de famille, n’illustre pas cette ouverture des ministères. Mais elle montre la volonté de l’évêque de confier conjointement la charge pastorale de son diocèse aux prêtres et aux laïcs. Ce changement est un acte courageux, voire prophétique, qui signifie précisément que tous les baptisés portent la responsabilité de la mission. Cela rejoint l’intention du pape François par une autre voie. (cath.ch/gr)
Grégory Roth
Portail catholique suisse
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