Par Camille Dalmas/I.Media
Et pour cause: celle que le cardinal Angelo Becciu – en disgrâce depuis son éviction par le pape en septembre dernier – avait employé dès 2015 en tant que «consultante en relations extérieures» dispose d’un réseau personnel bien connu des spécialistes de tous les scandales qui ont émaillé l’histoire du Vatican ces quarante dernières années.
Actuellement, Cecilia Marogna est la seule personne directement inculpée par le Saint-Siège que l’on puisse assurément relier au cardinal Becciu. La jeune femme est accusée d’avoir touché 500’000 euros de la part de l’ancien substitut. Elle déclare avoir utilisé ces sommes pour d’importantes dépenses en produits de luxe – pour des tiers et pour elle. Des frais faisant partie, selon elle, des impératifs de son travail de diplomate «informelle». La Cour de la Cité du Vatican, semble-t-il, voit les choses d’un autre œil.
Dans un documentaire produit par l’émission d’investigation italienne Report, diffusé le 12 avril 2021, l’Italienne en dit un peu plus sur son travail. Elle a notamment déclaré être entrée en contact avec Al-Qaïda au Maghreb islamique sur la demande du cardinal sarde.
Il s’agissait, selon elle, d’obtenir une preuve de vie du Père Luigi Maccalli, enlevé par des djihadistes en 2018 – et libéré le 7 octobre dernier. Elle déclare avoir aussi obtenu des renseignements sur une sœur enlevée en Amérique du Sud, toujours à la demande du cardinal Becciu.
Mais ses services ne se seraient pas arrêtés là. Cecilia Marogna affirme en effet avoir compilé des dossiers, pour le compte du cardinal Becciu, sur des personnes travaillant au Vatican. Une information que le haut prélat a «catégoriquement» démenti dans un communiqué transmis par son avocat. Cecilia Marogna prétend enfin être au courant de «la conduite amorale» de certains prélats du Saint-Siège…
Les journalistes italiens notent que les conditions de l’embauche de Cecilia Marogna par le cardinal Becciu sont peu claires. Elle-même affirme être entrée en contact après lui avoir «discrètement» envoyé un mail.
Cependant, c’est moins la relation énigmatique qu’elle a nouée avec l’ancien substitut de la Curie qui interroge. Dans le même entretien à la Rai 3, l’Italienne admet avoir été initiée à «la maçonnerie, à l’ésotérisme et à la Kabbale», une nécessité dans son métier, explique-t-elle.
Cecilia Marogna déclare avoir tissé une amitié importante avec Gioele Magaldi, grand maître du Mouvement Roosevelt, une organisation maçonnique italienne. Celui-ci fut d’ailleurs le seul à la défendre publiquement lors de son arrestation cet automne.
Gioele Magaldi, dit-elle, l’aurait introduite à de nombreux contacts pour son travail. À la télévision italienne, elle en cite quatre, qui ont tous en commun d’avoir des liens directs avec les plus importants scandales politico-financiers de ces dernières années en Italie; et par dessus tout, avec Licio Gelli, intellectuel fasciste et «vénérable maître» de la loge maçonnique Propaganda Due. Soit le dirigeant de la tristement célèbre «Loge P2», organisation secrète ayant ourdi de nombreux crimes dans les années 1980-1990.
Le premier de ces contacts est Gianmario Ferramonti, un homme d’affaires et activiste politique qui a œuvré en coulisses dans de nombreuses nébuleuses de la droite et de l’extrême droite italienne. En 2016, il s’est fait remarquer en constituant un groupe de soutien à Donald Trump. Il se vante d’avoir œuvré à la chute du dernier gouvernement Conte – sans que rien ne le prouve à l’heure actuelle.
Se définissant lui-même comme «gelliste» – c’est-à-dire disciple de Licio Gelli – Ferramonti déclare avoir participé aux cinq dernières célébrations du Nouvel An chez l’ancien grand maître de la Loge P2, décédé en 2015.
Pour obtenir des informations sur le Père Macalli, la consultante a fait appel à un autre personnage haut en couleurs: l’espion Francesco Pazienza, un proche de Gelli lui aussi.
Francesco Pazienza a utilisé ses compétences dans bien des campagnes de désinformation dans sa carrière. Il serait à l’origine de l’affaire BillyGate, un scandale monté de toutes pièces qui avait empêché la réélection de Jimmy Carter en 1980. D’aucuns disent – lui compris – qu’il est aussi l’instigateur de la «fausse piste bulgare» dans l’enquête sur les réseaux ayant commandité l’assassinat manqué de Jean Paul II en 1981.
Ses mains ne sont pas propres: la justice italienne l’a condamné dans le cadre du procès de l’attentat de la gare de Bologne en 1980 – 85 morts – et l’a inculpé pour l’enlèvement du gouverneur de la Campanie (région de Naples) en 1981.
Cecilia Marogna se serait aussi fait présenter Flavio Carboni, l’une des figures les plus suspectes de l’affaire de la Banque Ambrosiano, le grand scandale financier du Vatican, survenu dans les années 1980. Dans le livre Le Mani della Mafia (Chiaralettere, 2014) la journaliste Maria Antonietta Calabro le décrit comme un intermédiaire entre la mafia sicilienne et la Loge P2.
Accusé d’avoir commandité la tentative d’assassinat du directeur adjoint de la Banque Ambrosiano, il a été condamné puis relaxé en seconde instance puis en cassation. Idem pour avoir vendu à un prélat de l’Institut des œuvres de religion (IOR) des effets et documents appartenant à son directeur, le «banquier de Dieu» Roberto Calvi, assassiné puis pendu sous un pont à Blackfriars, à Londres, en 1982. Flavio Carboni est la dernière personne à l’avoir vu en vie.
Plus récemment, il a aussi été entendu comme témoin dans l’enquête à propos de l’enlèvement d’Emanuela Orlandi, la fille d’un employé du Vatican disparue mystérieusement en 1983.
Enfin, Cecilia Marogna concède avoir rencontré une fois, grâce à Gianmario Ferramonti, l’ex-journaliste Luigi Bisogni. Journaliste à l’ANSA et chef de bureau de presse de ministères, il a été radié de l’ordre des journalistes en 2000 après plusieurs démêlés avec la justice.
Membre possible de la loge P2 – il est sur la fameuse liste découverte par la justice –, il a été condamné dans le cadre du procès Enimont, la plus grande affaire politico-financière italienne de ces dernières années, dans laquelle le Saint-Siège était encore une fois impliqué, puisque la majorité des fonds illégaux de cette opération de corruption massive transitaient via l’IOR.
Il faut noter que Luigi Bisogni serait un proche conseiller de Francesca Immacolata Chaouqui. Cette dernière – régulièrement invitée lors de dîners organisés par Gianmario Ferramonti – était l’une des principales protagonistes de l’affaire Vatileaks II, en 2015. Elle a été inculpée pour avoir fait fuiter des documents confidentiels, et a été condamnée à dix mois de prison avec sursis.
En somme, Cecilia Marogna a été amenée à fréquenter un réseau qui évoque les épisodes les plus controversés de l’histoire du Vatican. Le fait que la Secrétairerie d’État, par l’intermédiaire du cardinal Becciu, ait missionné l’Italienne interroge. Le travail de la justice vaticane, qui prend le cas de Cecilia Marogna très au sérieux devra éclaircir ces nombreuses zones d’ombres. (cath.ch/imedia/cd/rz)
Rédaction
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