«Ce livre fascinant de 280 pages est une lecture obligatoire pour quiconque s’intéresse aux relations entre musulmans et chrétiens au 21e siècle», souligne Gerard O’Connell, dans la revue jésuite America du 13 avril 2021. Le journaliste américain fait référence à l’ouvrage The Pope and the Grand Imam: A Thorny Path (Le pape et le grand imam: un chemin épineux), de Mohamed Abdel Salam.
Le livre a été présenté au pape François au Vatican, le 8 avril. Il a été validé et préfacé par le pape François et le cheikh Ahmed al-Tayyeb, grand imam de l’Université d’Al-Azhar, au Caire. L’ouvrage, susceptible de passionner à la fois les spécialistes de l’islam et du catholicisme, est une sorte de «making of» du Document sur la fraternité humaine, signé par les deux dirigeants, le 4 février 2019, à Abou Dhabi, aux Emirats arabes unis. Son auteur, Mohamed Abdel Salam, bénéficie d’une autorité indiscutable sur le sujet, puisqu’il a été l’une des principales chevilles ouvrières du Document. Le juge égyptien a été pendant des années conseiller de l’imam d’Al-Azhar sur les questions juridiques. Il a également la particularité d’être le premier musulman à avoir participé à la présentation d’une encyclique papale. Il s’agissait de Fratelli tutti, le 4 octobre 2020, à Assise.
Fort de cette expérience «intérieure», Mohamed Abdel Salam met en perspective la portée historique du dialogue entre le pape François et le cheikh al-Tayyeb. Pour cela, il commence par résumer l’histoire d’Al-Azhar et des relations entre musulmans et chrétiens, depuis la première rencontre du prophète Mahomet avec les chrétiens, à nos jours.
Le juge s’attarde sur l’épisode récent de «refroidissement» entre Al-Azhar et le Vatican. Les relations s’étaient dégradées à la suite de la conférence donnée par Benoît XVI à Ratisbonne, le 12 septembre 2006, au cours de laquelle il avait utilisé une citation d’un empereur byzantin à propos du prophète Mahomet qui avait offensé les musulmans du monde entier. Des relations qui s’étaient encore détériorées suite à des déclarations du pontife allemand après l’attentat à la bombe contre une église copte à Alexandrie, en janvier 2011. Elles avaient été perçues comme une ingérence dans les affaires intérieures de l’Égypte. Le grand imam avait alors déclaré «un gel permanent» des relations avec le Vatican.
Mohamed Abdel Salam explique que les choses ont commencé à changer avec l’élection du pape argentin, en mars 2013. Selon l’expert en droit islamique, Ahmed al-Tayyeb a tout d’abord salué le choix du nom de François, en rapport à la visite du saint d’Assise au sultan Al-Kâmil, au 13e siècle, vue comme le premier acte de dialogue islamo-chrétien de l’histoire.
Le cheikh a donc envoyé un message de félicitations à l’Église catholique au nom d’Al-Azhar, en attendant une réaction. Un signal positif est arrivé quelques mois plus tard, rapporte le juge. Le pape François a envoyé un message de salutation au Grand imam, à l’occasion du Ramadan, en qualifiant les musulmans de «frères». Une réponse qui a plu au dirigeant d’Al-Azhar, qui «a immédiatement, sans hésitation, répondu par un message de remerciements».
Pendant près de trois ans, le grand imam et Mohamed Abdel Salam ont observé les actions de François. Ils ont noté sa préoccupation pour les migrants, son attention aux pauvres, son encyclique Laudato si’, sur le soin de notre maison commune, en 2015. Ils ont suivi son voyage avec des réfugiés sur l’île de Lesbos, en avril 2016, et comment il a ramené avec lui à Rome 12 réfugiés syriens musulmans. Ils ont observé sa visite en Jordanie et en Palestine et son soutien au peuple palestinien, en mai 2014, ainsi que sa condamnation de la violence en Syrie. Ils ont noté son refus, en août 2016, d’associer l’islam au terrorisme, suite à l’assassinat du prêtre français Jacques Hamel.
Le juge Abdel Salam se souvient, dans le livre, comment, un soir de novembre 2015, le grand imam l’a surpris en disant: «Cher conseiller, les souffrances du peuple ne peuvent être réparées uniquement par des réunions, des discussions, du protocole et des courtoisies (…) Des mesures audacieuses doivent être prises en faveur de la paix pour toute l’humanité. J’ai décidé de me rendre au Vatican». Il a confié au juge la responsabilité d’organiser la visite.
Mohamed Abdel Salam fait un récit détaillé de la première rencontre entre le pape François et le cheikh al-Tayyeb dans le palais apostolique du Vatican, le 23 mai 2016. Il rappelle qu’en chemin vers le Vatican, il a suggéré au grand imam de parrainer une conférence internationale sur la paix à Al-Azhar, avec des personnalités des différentes religions – et d’inviter le pape lors de leur rencontre privée. François «a salué le Grand imam avec beaucoup d’enthousiasme» et a accepté l’invitation.
La conférence s’est tenue les 27 et 28 avril 2017. Le pape François et le cheikh al-Tayyeb ont pris la parole le deuxième jour et la photo de leur étreinte a «fait le buzz» dans tout le Moyen-Orient et au-delà. Elle est devenue «une icône d’espérance», écrit le juge.
Six mois plus tard, le pontife a accompagné le Grand imam à Rome pour une réunion internationale, et le pape les a invités à déjeuner au Vatican. Lors de ce repas, le juge a proposé que le pape et le dignitaire musulman s’appuient sur le succès de la conférence de paix pour rédiger ensemble un document sur la fraternité humaine. Dans l’objectif de guider tous les peuples, en particulier les jeunes générations, et d’indiquer le chemin vers la tolérance et la paix. Il a proposé qu’ils rédigent et signent tous deux ce document, puis qu’ils le présentent ensemble au monde entier. Les deux dirigeants ont aimé l’idée et lui ont donné leur bénédiction.
La rédaction du document s’est déroulée dans un mouvement de va-et-vient entre Le Caire et Rome. Le Grand imam ayant proposé le texte, plusieurs fois amendé et complété par le pape avant sa finalisation.
Pendant le processus de rédaction, le juge Abdel Salam a de nouveau rencontré le pape François et lui a proposé de se rendre dans la région du Golfe, en commençant par les Émirats arabes unis, «un pays qui a choisi la voie de la tolérance depuis sa fondation». Il a suggéré que le pape et Ahmed al-Tayyeb se rendent à Abou Dhabi pour présenter au monde le Document sur la fraternité humaine. Une idée accueillie favorablement par l’évêque de Rome.
Le pape François et le Grand imam sont entrés dans l’histoire lorsqu’ils ont présenté le Document, dans la capitale émiratie, le 4 février 2019, souligne Mohamed Abdel Salam.
Le juge mentionne également les épisodes de rapprochement entre le Vatican et Al-Azhar, qui ont suivi la cérémonie d’Abou Dhabi. Notamment la création de l’Abrahamic Family House, un complexe religieux à Abou Dhabi qui comprend une mosquée, une église et une synagogue; la création du Haut Comité pour la fraternité humaine (dont le juge Abdel Salam est le secrétaire général); ainsi que la sixième rencontre entre le pape et le grand imam au Vatican, en novembre 2019.
L’ouvrage présente en outre de courts portraits des deux dirigeants religieux mettant en évidence leurs points communs. Mohamed Abdel Salam note: un mode de vie simple, l’intérêt pour les pauvres et les jeunes, le désir de faire tomber les barrières entre les peuples et les nations, le rejet de la rigidité, du fondamentalisme et de l’utilisation de la religion pour soutenir la violence ou le terrorisme, ainsi que le rejet de la guerre et de la course aux armements. Le juge égyptien salue en outre «deux hommes qui respectent profondément la foi de l’autre et considèrent la religion comme une force de paix dans le monde». (cath.ch/america/arch/rz)
Raphaël Zbinden
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