«Silence!», cet ferme injonction de Jésus à de quoi surprendre. Elle apparaît deux fois dans la bible: face à l’homme en esprit impur dans la synagogue de Capharnaüm et face à la tempête, comprise comme un esprit mauvais qui désorganise la Création. «Tais-toi» une injonction pour inscrire du silence dans la foi, le grand silence vécu durant l’attente du Samedi-Saint. Interview du bibliste Jean-Michel Poffet, auteur d’un récent livre, 7 petits mots de l’Évangile, parmi lesquels: ‘Silence’ et ‘Alléluia’.
Pourquoi Jésus demande à cet homme de Capharnaüm de se taire, alors qu’il vient de proclamer une sorte de «mini-credo»?
Jean-Michel Poffet: Cette parole «Tu es le Saint de Dieu», déclamée par cet homme en esprit impur, est, en effet, une juste affirmation de foi (Mc 1, 21-28 / Lc 4, 31-37). Mais la foi n’est pas une affaire de mots, elle est une affaire de relation. Cet homme n’est pas en train de confesser sa foi en Jésus et d’entrer en relation avec lui, mais il veut se protéger de lui.
Il ne suffit donc pas de prononcer une parole juste…
Cet homme n’est pas libre, il est occupé, possédé par quelqu’un qui parle pour lui. Jésus ne veut ni d’une confession de foi hurlé, ni de quelqu’un qui ne soit pas libre, ni simplement de mots justes crié n’importe quand à n’importe qui et n’importe où. «Tais-toi», traduit du grec: «Que Dieu mette une muselière» à celui qui aboie.
La foi demande du tact et du temps, et c’est avec le temps que les hommes vont s’interroger: Dans la synagogue, on dira: c’est un enseignement nouveau. Et qui est-il celui-là que la mer et les flots obéissent? Jésus a une parole: quand elle sort, elle fait ce qu’elle dit. Lui-même dit à ses disciples: ‘ne bavardez pas comme des païens’. Quand il dit à cet esprit impur de sortir, l’homme est libéré. C’est une qualité de parole, qui suppose un arrière-fond de silence.
Vous expliquez que le silence est comme une ‘discrétion de la foi’. Comment cela?
Dans la foi, il y a de la place pour de la discrétion. Lorsque l’on propose la foi, ce ne doit jamais être au mépris de la liberté de celui qu’on désire accompagner. Mais dans un respect total de son intimité, de son intégrité et de sa liberté. On montre une direction, on fait découvrir Quelqu’un, on y met notre personne et notre amitié. Mais avec une certaine discrétion, qui veille à ne pas prendre l’autre en otage, à ne pas le priver de son jugement et de sa liberté. On exprime la foi de l’Église, de manière toujours neuve et qui tient compte de l’interlocuteur. On exprime du ‘sur-mesure’ plutôt de du ‘prêt-à-porter’.
«On ne crie pas sa foi n’importe où, mais on est prêt à rendre compte de l’espérance quand on nous le demande»
Il en va de même lorsqu’un chrétien exprime sa foi…
Dans la foi, il faut avoir un espace de silence pour les mots adviennent face à Jésus, qu’ils viennent du plus profond de notre être. Ce sont des mots que nous avons dû apprendre, mais ce sont des mots qui doivent renaître sur nos lèvres, au moment d’être en face de Lui. Les chrétiens doivent faire attention à ne tomber dans l’intempérance de la foi. Une espèce d’indiscrétion de la foi. On ne crie pas sa foi n’importe où, mais on est prêt à rendre compte de l’espérance quand on nous le demande. Le chrétien ne doit ni être enfoui, ni être un perroquet.
Comment faire le lien du silence biblique avec le celui du Samedi-Saint?
A partir du Vendredi-Saint, on entre dans un grand Silence jusqu’au tombeau. Ce n’est pas tout à fait du même ordre, pourtant il y a bien un lien. Jésus est trahi par les siens, abandonné et méprisé par tous, et il meurt. On a beau savoir que Jésus a dit dans les Évangiles: «le Fils de l’homme sera crucifié, mais il ressuscitera le troisième jour». Mais ce ne sont, encore une fois, que des mots. L’Église prendre la mesure de la souffrance et de la violence du monde, de l’attente de tous ceux qui sont face au silence de Dieu. Il ne faut pas trop vite parler.
Puis le silence fait place à l’Alléluia dans la nuit de Pâques…
Dans la nuit de Pâques, qui commence par le récit de la création, en passant par les grandes promesses de l’Ancien Testament, les promesses de la sagesse, d’un cœur nouveau et de l’Esprit de Dieu, voilà que naît l’alléluia grégorien. Il sort tout doucement de la nuit. Il n’est pas crié, mais c’est un alléluia paisible, qui sort de tout ce silence. Cette louange discrète dit qu’envers et contre tout, le mal et la mort n’ont pas le dernier mot.
«Il y a la souffrance, il y a la mort, mais il y a la victoire de Jésus»
D’où vient ce terme ‘Alléluia’?
Alléluia, en hébreux, signifie littéralement «Que Dieu soit loué». Il exprime qu’il y a l’espérance malgré tout. Il y a la souffrance, il y a la mort, mais il y a la victoire de Jésus. L’alléluia, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas le feu d’artifice du 1er août ou du 14 juillet. Mais c’est le chant du «malgré tout». Dans l’Ancien Testament, l’Alléluia n’intervient pratiquement que dans le livre du Psautier (Ps 104, 106 à 151). Le Psautier n’est pas qu’un recueil de louanges: il y a des supplications, des cris de douleur, des actions de grâce et des psaumes de sagesse. Pourtant, on l’appelle ‘Livre des louanges’, comme si – malgré les interrogations, les doutes, la souffrance et la mort – la louange est un peu le dernier mot du croyant qui peut faire confiance à son Dieu.
L’Alléluia est-il donc lié à la Résurrection de Jésus?
Pas directement. Dans de Nouveau Testament, les ‘Alléluia’ ne sont pas dans les Évangiles. Si l’on prend les récits de Résurrection de Jésus, les disciples sont plutôt anéantis. Dans Marc, les femmes veulent parfumer le défunt, car elles n’ont que des pensées de mort. Dans Matthieu et Luc, les apparitions de Jésus sèment le doute parmi les disciples. Et dans Jean, il y a le doute de Thomas et de Marie-Madeleine. Ces récits nous racontent, que face à la mort, ce n’est pas joie de l’Alléluia chez les disciples. Il faudra au moins trois jours pour se remettre du choc. Tout est vécu dans une grande sobriété, une grande souffrance. Et petit à petit, Jésus va les gagner à la vie.
«Dieu a ressuscité celui que vous avez crucifié». L’espérance chrétienne est un Alléluia malgré tout.»
On retrouve ce trois jours d’attente dans la liturgie…
Avec le Triduum pascal, l’Église donne cet espace de l’attente inquiète et silencieuse. C’est une manière de rendre compte de l’absence de la mort. Avant de reconnaître que Jésus a vaincu la mort. Ce n’est pas rien de le dire… Nos contemporains disent souvent: personne n’est revenu de la mort. C’est faux! Parce que le Christ est revenu. Mais c’est le seul. Le christianisme offre en cela quelque chose d’inouï. Mais de vrai. Parce qu’il est réapparu. Aux femmes, à Paul, à Pierre et ainsi qu’à 500 frères, dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens.
Alors où se situe cet ‘Alléluia’ dans l’histoire de Jésus?
L’Alléluia n’intervient que dans le livre de l’Apocalypse (Ap 19). Ce contexte de louange est introduit par Jean – le voyant de Patmos –, lorsqu’il voit la scène du trône (Ap 4). Dans sa vision, la victoire sur le mal ne viendra pas par un lion, mais par un Agneau de Dieu immolé. Et tous vont se prosterner devant lui. Autrement dit, c’est au ciel qu’une chorale de 100 millions d’anges chantent et acclament. On est au ciel, et non sur la Terre. C’est victoire sur la mort, c’est au ciel. Ce n’est pas le statut de l’Église aujourd’hui. Mais il y a toutefois, dans l’Église, de la place pour cet Alléluia. N’y vient-on d’ailleurs pas pour cela? Oui. Mais peut-être pas de manière tonitruante. Avec discrétion. En outre, il faut savoir que l’Église chante les cantiques de l’Apocalypse essentiellement pendant les vêpres, durant toute l’année. C’est une manière de prendre quelque chose de ces chants célestes, pour orienter la marche des croyants qui prient.
L’Alléluia, un chant de louange qui relie le ciel à la terre…
Si dans l’Ancien Testament, «Dieu se soucie de son peuple» et «il s’est fait proche», dans le Nouveau Testament, «Dieu s’est fait l’un de nous», il s’est fait chair, il a vécu la violence et a été transpercé. C’est dans ce monde de violence et de crime – et de pandémie–, que surgit l’Alléluia pascal. »Dieu a ressuscité celui que vous avez crucifié», exprime le premier discours du livre des Actes des Apôtres. L’espérance chrétienne, c’est cet Alléluia malgré tout. C’est une joie qui a pris la mesure de la violence et de la solitude. C’est une joie qui – comme l’Alléluia grégorien de Pâques – est discrète. Discrète, mais forte à la fois. Et qui ne cessera de grandir. (cath.ch/gr)
A lire aussi: Jean-Michel Poffet, 7 petits mots de l’Évangile, Ed du Cerf, Paris, 2021.
Grégory Roth
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