Par Luc Balbont pour cath.ch
Il y a encore trois ans Mounir, chrétien grec-catholique ne voulait pas quitter la Syrie. Il comptait s’y marier et y construire sa vie. A 35 ans, il avait des projets. Patron de son entreprise de taxi, Il convoyait, chaque semaine des «VIP» entre Beyrouth et Damas. Des allers et retours d’une centaine de kilomètres, qui lui rapportaient environ 120 dollars par voyage, plus d’un mois de salaire d’un fonctionnaire syrien. «Pourquoi irai-je à l’étranger, répétait-il, pour être exploité, méprisé et loin des miens?»
La révolte libanaise de 2019, les routes bloquées, la crise financière, la montée vertigineuse du prix de l’essence, ainsi que la prolifération du Covid en 2020, en Syrie, dépourvue de structures hospitalières pour faire face au fléau, lui ont été fatales. Plus de clients, plus de revenus. «J’ai des cousins en Allemagne, Je compte bien les rejoindre», projette-il aujourd’hui.
En dix ans de guerre civile, le nombre de chrétiens à diminué de moitié, 2% de la population totale (voir encadré). Une communauté coincée entre les islamistes qui les persécutent, et un pouvoir qui les manipule, tout en les protégeant.
Un argument que rejettent totalement Boutros Hallaq, un universitaire syrien résidant en France. Selon lui, la protection des chrétiens n’est qu’une stratégie masquée par une idéologie laïque mensongère, puisque depuis l’arrivée au pouvoir du clan Assad, «le nombre des moquées a été multipliée par vingt, et que l’aide de l’Arabie saoudite aux associations salafistes s’est largement accrue. Voilà un demi-siècle que cette clique assure son emprise en Syrie, en dressant les communautés les unes contre les autres. Chrétiens contre musulmans, chiites contre sunnites, kurdes contre Arabes».
A Damas le Père Georges, prêtre grec-orthodoxe rétorque: «il est si facile d’être opposant quand on habite l’Europe ou les Etats-Unis. Mais en Syrie, c’est une autre histoire. Ici les trois-quarts des chrétiens soutiennent le régime».
Dans les paroisses, les bureaux des patriarcats, ou les associations culturelles chrétiennes, la photo du patriarche local ou du pape François pour les confessions rattachées à Rome, côtoie celle du président Bachar.
Houda 32 ans, se rappelle qu’au début de la révolution, elle avait rejoint un groupe de jeunes chrétiens à Alep, dont la mission était de faire le tour des églises de la ville, afin de demander aux prêtres et aux évêques de défendre le camp de la démocratie, «On nous accusait d’être des ennemis de la Syrie, des agents de l’étranger, et de discréditer un régime, ami des chrétiens et protecteur du pays contre l’islamisme radical». Dénoncé aux sbires du régime par des paroissiens, le groupe a fini par se disperser.
Natif d’Idlib, au nord de Damas, Wissam, un grec-catholique de 28 ans, avoue que sa plus grande peur, serait que ses parents apprennent qu’il fait partie de l’opposition. «Ils sont contre cette révolution, qui, selon eux, fait le jeu des islamistes».
Si la famille Assad est un obstacle à la démocratie, l’islamisme en est un autre, et non des moindres. Jusqu’à la chute de Raqqa, capitale de l’organisation Etat islamique en Syrie, en octobre 2017, l’EI a fait régner la terreur, notamment chez les chrétiens: enlèvements, exécutions filmées, expulsions, rançons, destructions d’églises et de monastères. Si la presse internationale a surtout médiatisé les assassinats des personnalités religieuses (*1), elle a peu fait cas de ces villageois, victimes anonymes des groupes islamiques armés. Les prêtres notamment qui restent des cibles privilégiées.
«Les musulmans ne nous aiment pas, et la convivialité est un leurre», dit un avocat chrétien, rencontré sur le parvis de la cathédrale grecque-catholique de Damas, «il suffit de lire la Constitution (*2) pour se rendre compte que les chrétiens seront toujours considérés comme des citoyens de seconde zone.»
Pour l’association «Syriens Chrétiens pour la Paix» (SCP), créée en 2012 aux Etats-Unis par des opposants, forcés de s’exiler après avoir connu les geôles du régime, le message est diffèrent. Samira Mobaied, la Présidente de la branche française de SCP le résume: «il faut aider les chrétiens à sortir du dilemme ›Bachar ou Daech’, en les incitant à construire avec les autres communautés, une citoyenneté syrienne commune, dans un pays uni, c’est toute notre raison d’être.»
En réalité, murmure avec une prudence de sioux Hala, une opposante proche de SCP, croisée avec son cousin chez Baghdech, le grand café, situé en face de la mosquée des Omeyyades à Damas, «Si nous pouvions nous exprimer librement, la famille Assad serait mise hors-jeu depuis un bon bout de temps.»
Les Syriens sont pris en étau entre une dictature féroce et une barbarie religieuse. Seule possibilité: subir ou s’exiler. Pour le chrétien Nader Jabali, ex-ministre de l’Energie dans le gouvernement syrien en exil, et réfugié en France, après son incarcération par le régime en 2012, «l’islamisme politique et le pouvoir qui se nourrissent l’un de l’autre sont les deux obstacles majeurs à la construction d’une société civile démocratique.» Une société où les chrétiens ne seraient plus considérés comme une minorité tolérée. (cath.ch/lba/bh)
(*1) Mgr Yohanna Ibrahim, évêque syriaque-orthodoxe d’Alep er Mgr Boulos Yazigi, évêque grec-orthodoxe de la même ville, enlevés tous les deux en avril 2013, Le jésuite Paolo Dall Oglio, disparu en juillet 2013.Le Père Frans Van der Lugt, assassiné en avril 2014.
(*2) Article 3-1: la religion du président de la République est l’islam. Article 3-2: le droit musulman est la source principale de la législation.
Chrétiens syriens, qui et combien sont-ils?
Selon le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, il restait en janvier 2019, 2% de chrétiens en Syrie, soit environ 470’000 fidèles, sur une population estimée à 20 millions d’habitants, contre 6% en mars 2011, juste avant la guerre civile et 25% à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les chrétiens Syriens se répartissent en 11 confessions; les Grecs-orthodoxes sont les plus nombreux: 169’000 fidèles. Puis viennent les Arméniens-orthodoxes avec 110’000 membres. Les Grecs-catholiques ou Melkites: 55’000, les Syriaques-orthodoxes: 51’300, les Syriaques-catholiques, les Arméniens-catholiques. Les Maronites, les Chaldéens, les Nestoriens, les Latins, et les Protestants forment le reste de la communauté (Etant donné la situation du pays, ces chiffres ne sont que des estimations). LBA
Les grandes dates du conflit
–Mars 2011 : première manifestation contre le régime Assad.
–Juin 2011 : militarisation du conflit.
–Juillet 2012 : conquête d’Alep par la rébellion.
–Septembre 2015 : intervention des Russes en faveur du régime.
–Aout 2016 : intervention turque contre les kurdes.
–Mars 2019 : chute de dernier bastion de l’organisation Etat islamique.
Un lourd bilan: entre 300’000 et 500’000 morts, 1,5 million de blessés, 5,6 millions de réfugiés et 6.2 millions de déplacés. LBA
Rédaction
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